Transformation digitale par l’agilité : l’exemple de France Télévisions

Quelles sont les bonnes pratiques pour réussir un projet de transformation numérique ? Pour un groupe télévisuel, la stratégie numérique définie par la direction générale repose sur trois principes : rattraper le retard, innover dans les usages et les contenus, et « réinventer la télévision », en particulier avec des chaînes connectées.

France Télévisions Editions Numériques (FTEN) est l’entité du groupe audiovisuel qui gère les sites Internet des différentes chaînes et ceux dédiés au sport, à l’information et à la culture, la TV connectée et de rattrapage (Pluzz)… « Nous sommes confrontés à des volumes de trafic très importants, avec des pics d’audience, notamment lors des événements sportifs ou électoraux, avec jusqu’à 380 000 requêtes par seconde », explique Alain Buzzacaro, directeur technique de France Télévisions Editions Numériques, qui est interevnu dans le cadre de la conférence USI (Unexpected Sources of Inspiration) en 2014. « Dans un tel contexte, nos systèmes doivent être « scalables » pour absorber ces fluctuations de trafic », ajoute-t-il.

La stratégie numérique définie par la direction générale repose sur trois principes : rattraper le retard, innover dans les usages et les contenus, et « réinventer la télévision », en particulier avec des chaînes connectées. Si, sur le papier, une telle stratégie s’avère pertinente pour un groupe audiovisuel, elle se heurte à l’existant, résumé par Alain Buzzacaro : « Des incidents importants et fréquents, des équipes en sous-effectifs, un manque d’expertise pointue, des processus standards inexistants, des frontières entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, un recours à la sous-traitance au forfait et son cortège d’avenants, une infrastructure infogérée et sous-dimensionnée et une organisation inadaptée au produit. » À cela s’ajoutent les contraintes spécifiques au secteur public : « Un appel d’offres européen nécessite un délai de quatre à six mois et faire de l’agilité dans un tel contexte, en définissant à la virgule près les besoins, cela reste très difficile », déplore Alain Buzzacaro.

Créer un sentiment d’urgence

Ce dernier a retenu cinq principes. Le premier consiste à créer un sentiment d’urgence sans lequel « il n’y a pas de changement possible », affirme Alain Buzzacaro. Le second est de moins se focaliser sur le « build », mais davantage sur le « run ». « Cela remet en cause le statut des chefs de projet, au profit des référents infrastructures », explique Alain Buzzacaro. Troisième principe : passer « du projet au produit », avec des équipes dédiées à ces produits. Les deux derniers principes sont probablement les plus délicats : transformer le sentiment de défiance en un sentiment de confiance et abattre les frontières pour développer la collaboration entre les équipes. « Cela suppose de convaincre les ressources humaines, les achats, le juridique… », résume Alain Buzzacaro.

« En deux ans et demi, nous sommes devenus le premier groupe audiovisuel sur le Web », assure le directeur technique. Pour y parvenir, une approche agile a été privilégiée. Pour introduire de l’agilité, il convient, selon Alain Buzzacaro, de « trouver le terreau favorable, de commencer petit et démontrer que cela fonctionne. » Passer du produit au projet suppose de « passer de la notion de planning à celle de roadmap ». Avec deux prérequis : acquérir les bonnes compétences et obtenir le soutien d’un sponsor qui a la capacité de décision pour valider les choix.

Pour le démarrage du projet, Alain Buzzacaro conseille de s’inspirer du principe « 60/30/10 » : « 60 % de l’efficacité d’une équipe se détermine lors de sa constitution, 30 % lors du lancement et 10 % dans la suite du projet. Autrement dit, si un projet démarre mal, c’est très difficile de redresser la barre. » Le directeur technique a ainsi mis en place des ateliers de cadrage qui, en deux à quatre heures, permettent d’aborder les grandes thématiques d’un projet : la vision, les enjeux, la roadmap et la cartographie fonctionnelle, l’architecture, l’organisation, les ressources, le budget, les rôles et responsabilités de chacun, ainsi que les risques. Un document de cadrage est élaboré à l’issue des ateliers.

« Rebooter » les équipes

La gestion d’un projet gagne à être menée avec une approche agile : « Il faut privilégier un développement incrémental, avec au moins une démonstration par semaine et, pour les versions majeures, une démonstration aux sponsors », suggère Alain Buzzacaro. L’un des risques est que l’équipe s’installe dans une certaine routine et en oublie les principes de l’agilité. « Il est bon de « booter » ou de « rebooter » les équipes, en prenant d’abord le temps nécessaire pour qu’elles se connaissent, apprennent à travailler ensemble ; ce temps nécessaire peut paraître superflu, mais on y gagne largement après », ajoute Alain Buzzacaro.

L’un des points clés concerne en effet le partage des connaissances, par exemple en encourageant les communautés de pratiques « en donnant du temps et de l’espace », précise Alain Buzzacaro. La tentation des métiers est de demander toujours plus aux équipes IT : « C’est donc important de protéger les équipes de la pression, en maintenant un rythme de travail cohérent, un développeur ne peut pas être performant plus de six à sept haures par jour », rappelle Alain Buzzacaro, pour qui le « manager doit toujours être protecteur… »

 Les questions  Les bonnes pratiques  Le risque à connaître
Comment introduire l’agile ?
  • Trouver un terreau favorable
  • Accompagner avec du coaching
  • Privilégier une approche pragmatique et industrialisée
Croire que lorsqu’un processus est en place, il va perdurer
Pourquoi passer du projet au produit ?
  • Responsabiliser les équipes
  • Supprimer les frontières (avec des approches agiles, DevOps…)
  • Se focaliser sur des équipes unitaires
Négliger la définition des rôles, de la roadmap et la nécessité d’une transversalité
Comment bien démarrer un projet ?
  • Bien cadrer avec une approche time boxing
  • Consacrer suffisamment de temps pour le kick off
  • Préciser les livrables
Mener des projets  » Ovni « 
Quelles sont les exigences vis-à-vis de la qualité ?
  • Industrialiser le build et le run
  • Privilégier l’amélioration continue
  • Encourager les binômes
Considérer que la qualité va de soi
Comment aider les équipes opérationnelles ?
  • Lever les contraintes
  • Disposer des bons outils
 Na pas savoir distinguer l’urgent et l’important
Comment partager l’information efficacement ?
  • Tester différents formats
  • Ne pas compter son énergie
  • Organiser des occasions de rencontres ludiques et conviviales
 Se contenter de blogs et de wikis
Comment protéger l’équipe et garder l’esprit agile ?
  • Identifier les sources de pression
  • Sensibiliser les décideurs et les métiers
Ne pas considérer qu’un manager doit avant tout être le protecteur de ses équipes
   Source : Alain Buzzacaro. http://lebuzzdubuzz.wordpress.com