Sans DSI pendant deux ans, le Conseil général de la Manche a souhaité rétablir cette fonction à l’approche d’échéances importantes. Pour faciliter la prise de poste, un manager de transition a préparé le terrain en amont.
Depuis 2011, la fonction de directeur des systèmes d’information était inoccupée au Conseil général de la Manche (CG 50) à la suite d’une réorganisation inaboutie. Les compétences informatiques de la collectivité sont alors réparties dans deux entités : un département informatique de 39 personnes au service des 2 400 agents de la collectivité et une délégation d’une quarantaine de personnes, le syndicat mixte Manche Numérique, chargé notamment de la mise en œuvre du très haut débit sur le territoire, de la promotion des usages numériques innovants et du développement de services numériques (cloud communautaire, centrale d’achats…).
En 2013, de nombreux événements nécessitant un support numérique sont en préparation dans la Manche, comme le 70ème anniversaire du département ou l’accueil des jeux équestres mondiaux. Le département doit, en parallèle, mener plusieurs projets informatiques tout aussi importants : avec la loi Peillon, il se voit notamment confier la gestion de l’ensemble du parc informatique des collèges, soit 6 000 postes qui viennent s’ajouter à l’existant.
La collectivité travaille également sur la géolocalisation des réseaux routiers, afin de mettre des outils numériques à disposition des citoyens, sur la dématérialisation des achats publics dans le cadre du RGS ou sur la mutualisation des moyens entre les différents laboratoires de recherche de sa région. En prévision de ces échéances, le budget attribué au département informatique passe de huit millions d’euros en 2012 à neuf millions d’euros pour 2013.
Faire face à l’urgence
A cette époque, le contexte social est difficile et la direction des systèmes d’information souffre d’une image dégradée en interne. Les réponses à la demande s’effectuent le plus souvent dans l’urgence, et il n’existe ni catalogue de services, ni engagements sur le niveau de service pour répondre aux requêtes des métiers. Enfin, les budgets IT ne sont pas vraiment centralisés, ce qui se traduit par des coûts non maîtrisés, notamment en ce qui concerne les prestations externes.
Le CG 50 envisage alors de réunir les compétences de la DSI et celles du syndicat dans une Direction Unifiée des Systèmes d’Information (DUSI) confiée à Morgan Hervé, directeur général adjoint du syndicat. Dans cet objectif, il décide également de recréer un poste de directeur des systèmes d’information afin de permettre une identification claire de la fonction et des processus associés. Pour cette réorganisation, il se fait accompagner par le cabinet de conseil Amettis.
« L’objectif était de mutualiser les DSI et de poursuivre la transformation déjà entamée vers le service et l’adoption des processus ITIL », explique Raphaël Coche, consultant chargé du projet chez Amettis. « Pour cela, il fallait notamment créer un portefeuille de projets et un catalogue de services, mais aussi définir des engagements de niveau de service et les respecter. » À terme, la collectivité souhaite également monter une offre multi-services et multi-clients, basée sur l’infrastructure cloud et le réseau de fibre optique de la Manche.
Pour préparer le terrain avant le recrutement du nouveau DSI, le directeur général, sponsor du projet de réorganisation, a voulu mettre en place un management de transition. Celui-ci a été confié à Raphaël Coche. Cette décision était motivée par plusieurs raisons : il s’agissait, en premier lieu, d’assumer le poste vacant tout en amenant le projet de transformation. Cela permettait également de bénéficier temporairement d’une compétence externe spécialisée dans la transformation IT, capable de mener à bien les missions suivantes :
- Établir un état des lieux objectif sur les dysfonctionnements, les compétences présentes…
- Définir l’organisation cible et mesurer l’écart à combler.
- Organiser la nouvelle DSI et « la mettre sur les rails ».
- Accompagner le changement et motiver les équipes.
- Supporter les décisions impopulaires, mais nécessaires.
Le recours à un manager externe à la collectivité était également une façon de mettre en perspective les changements en les replaçant dans un contexte national. Enfin, ce manager devait aider à définir les profils adaptés à l’organisation et préparer l’arrivée des futures personnes recrutées ou repositionnées.
Un relais pour le futur DSI
Un tel management de transition peut être utilisé à plusieurs niveaux : pour piloter l’entité DSI toute entière, pour gérer les équipes ou pour superviser les processus IT comme la gestion des incidents, celle des demandes… « Il s’agit par exemple de faire comprendre à l’équipe qui va gérer les demandes que sa manière de travailler va influencer celle d’à côté », illustre Raphaël Coche.
Une telle mission peut également intervenir à plusieurs moments dans la transformation : en amont, il s’agit de réaliser un état des lieux, de définir la cible et de lancer la démarche, voire, quand les circonstances sont difficiles, de gérer la crise. Durant le projet, cela permet d’accélérer la prise de poste du manager recruté en aidant le nouveau DSI à connaître rapidement l’historique, de maintenir l’effort et le cap ou bien de mettre en œuvre ce qui a été conçu. Le DSI par intérim devient alors un consultant. Enfin, à l’issue de la transformation, ce manager de transition peut venir relayer le DSI en place sur certains projets ou intervenir pour marquer la continuité et la convergence de vue avec celui-ci.
Pour la DSI du CG 50, cette démarche a présenté différents avantages : tout d’abord, elle a fourni un manager rapidement disponible et opérationnel ; ensuite, elle a permis d’avoir une meilleure qualification du poste, « un point important dans un contexte où l’humain prime sur la technique », souligne Raphaël Coche, qui ajoute « rater un recrutement de cet ordre fait perdre près de deux ans à une organisation. » Ce management de transition a également contribué à déminer en amont les sujets sensibles. Il a facilité l’adoption d’un fonctionnement en mode projet, avec des jalons et des objectifs datés, et un accompagnement à plusieurs vitesses adapté aux enjeux.
Frédéric Basroger, le nouveau DSI recruté pendant cette période, souligne également l’implication du DSI par intérim, qui « prend les risques et s’engage sur les résultats », et son objectivité, accrue par le fait de ne pas appartenir à la structure. L’expérience de celui-ci a également fait gagner du temps à l’organisation : « Faire appel à un consultant déjà expert d’Itil a permis de savoir tout de suite à quelles étapes se trouvait la DSI et d’avancer plus vite, tout en aidant à vulgariser la démarche. »
En avril 2013, Frédéric Basroger est entré en poste dans un contexte clarifié : « Je m’étais préparé à des questions techniques, mais, durant l’entretien, une heure a été consacrée à des questions sur le management, car les vrais enjeux étaient identifiés », se souvient-il. Le travail de transformation était, quant à lui, déjà enclenché. « L’organisation cible avait été définie et était en cours de mise en œuvre. Aujourd’hui les 62 agents de la nouvelle DUSI savent qu’ils vont travailler ensemble et quel rôle ils auront dans le cycle de vie des services. » Après sa prise de poste, le nouveau DSI s’est également fait accompagner pendant deux mois par Raphaël Coche.
De premiers résultats rapides ont été démontrés, notamment l’amélioration du Service Desk, tandis que les chantiers de long terme sont identifiés. Enfin, la mobilisation des équipes est au rendez-vous, la quasi-totalité des collaborateurs ayant accepté leur nouveau rôle. Ces changements vont être accompagnés par la direction des ressources humaines à travers un grand plan de formation. « Cela a permis de raccourcir le planning de la transformation. En temps normal, la DSI ne se serait pas adaptée aussi vite », souligne Frédéric Basroger.
A travers la DUSI, deux discours se sont rapprochés, la satisfaction client du côté du syndicat Manche Numérique rejoignant la satisfaction des utilisateurs du côté de l’ancienne DSI. « C’est un vrai métier et une évolution pour le département », estime Frédéric Basroger.
Six clés pour réussir un management de transition
1. Comme tous les projets d’envergure stratégique, il faut un sponsor au plus haut niveau, qui doit non seulement être visible, mais s’impliquer régulièrement.
2. La mission du manager de transition doit être connue de tous.
3. Les règles du jeu et la stratégie doivent être clairement établies, notamment parce que le rôle du manager de transition n’est pas inscrit dans la hiérarchie de l’organisation.
4. Il faut laisser à ce manager une certaine autonomie dans les décisions et ne pas en faire un bouc émissaire.
5. Ce manager doit toujours aller dans le même sens, il dispose d’un temps limité pour engager la transformation, aussi il ne s’agit pas de faire marche arrière.
6. Enfin, il faut bien mesurer toutes les dimensions du contexte (organisationnelle, technique, RH, financière…) et s’assurer que le manager de transition saura les gérer.