Les DSI sont-ils des bons vendeurs ?

Les DSI peuvent-ils s’inspirer des approches utilisées par les commerciaux et les experts de la relation client pour mieux valoriser leurs actions dans l’entreprise ? Tel était le fil rouge de la dernière soirée organisée par Best Practices Systèmes d’Information le 11 mars 2014, avec les points de vue de deux experts : Philippe Bloch et Evelyne Platnic-Cohen.

Le service client, mais pas seulement : « Dans les années 1980, j’ai écrit l’ouvrage Service compris, dont l’objectif était de rendre les français souriants et serviables. Le moins que l’on puisse dire est cet objectif est loin d’être atteint ! Le sous-titre choisi pour ce livre (Les clients heureux font les entreprises gagnantes) est aujourd’hui relativement démodé : tout a tellement changé, avec de nouvelles habitudes de consommation et de connexion, que rendre simplement ses clients internes heureux est devenu insuffisant pour se différencier de ses concurrents. »

Les entreprises françaises sont-elles performantes ? « Les entreprises françaises ne sont pas Customer service oriented. C’est souvent le négativisme qui prévaut. Dans les entreprises on se souhaite régulièrement « bon courage ! » Cela fait partie des étranges expressions que l’on utilise au quotidien, et que j’ai recensées dans mon dernier ouvrage : Ne me souhaitez plus jamais bon courage, lexique anti-déprime. Vous avez certainement, dans votre entourage, des collaborateurs ou des collègues qui, dès lors que vous devez leur « vendre » un projet ou leur soumettre une idée, utilisent des expressions telles que « Tu as raison, mais le problème c’est que… ». Ou dès que vous avez un rêve ou une envie, les mêmes vous expliqueront pourquoi cela ne marchera jamais… Autre expression tout aussi insupportable, surtout à l’ère où les systèmes d’information nous font changer nos habitudes de travail : « On a toujours fait comme ça… » ».

France vs Etats-Unis. « Je vis en partie aux Etats-Unis et il est frappant de constater que, face aux crises, les américains se relèvent toujours plus vite que nous. L’américain se lève le matin en se disant : « Pourvu qu’il m’arrive quelque chose ». Le français, lui, dira plutôt : « Pourvu qu’il ne m’arrive rien… ». Un tel état d’esprit débouche sur l’application du principe de précaution qui empêche d’innover. »

Le négativisme à la française. « L’échec n’est toujours pas toléré en France, y compris dans les équipes des DSI. Mais si elles ne vous semblent pas assez innovantes, c’est peut-être que vous ne laissez pas suffisamment de place à la prise de risque et à l’échec. »

Petit : le mot le plus utilisé. « Il existe un adjectif représentatif de cet état d’esprit négatif, qui rend incapable de penser pour « démolir avant de reconstruire », de voir ce qui ne fonctionne pas avant de voir ce qui fonctionne. C’est un adjectif que l’on ne doit plus tolérer et qui est pourtant le plus utilisé par les français : petit ! Cet adjectif rythme d’ailleurs la vie quotidienne : on commence par le petit déjeuner, on fait un petit bisou à sa (son) petit(e) ami(e), on prend un petit café en arrivant au bureau, avant d’organiser une petite réunion en petit comité avec un petit chef, puis de déjeuner dans un petit restaurant qui fait des petits plats aux petits oignons. Il y a également des expressions ridicules comme « petit patron » ou « petit boulot »… Cette habitude doit interpeller les managers qui doivent en effet avoir un « grand » rêve pour mobiliser leurs équipes. »

La vitesse prime sur la taille. « Aujourd’hui, le concept de la vitesse est fondamental : ce ne sont plus les gros qui mangent les petits, mais les plus rapides qui mangent les plus lents. Et c’est lorsque tout va bien qu’il faut changer ! Il est fascinant de constater la vitesse incroyable de disparition des entreprises qui oublient le client et les nouvelles technologies et la façon dont elles réinventent les business models. On l’a vu avec Kodak, par exemple, qui n’a pas voulu tuer le business de la pellicule sous prétexte qu’un de ses collaborateurs avait inventé le premier appareil numérique qui, disait-on, n’avait aucun avenir. De même pour Nokia, dont le PDG, Stephen Elop, disait que son entreprise était une Burning platform, une plateforme en feu, mais que cela ne préoccupait personne. Il disait notamment à ces équipes : « Pendant que vous passez du temps à peaufiner vos présentations Powerpoint, les chinois ont créé deux nouveaux modèles de téléphones mobiles. »

Réinventer les modèles. « Les collaborateurs d’une entreprise veulent de l’action. Si vous leur supprimez, par exemple, les multiples réunions de comité de pilotage, ils vont adorer parce qu’ils n’en peuvent plus ! Mais cet appétit d’action se trouve freiné par des tâches totalement inutiles. Pourtant, la capacité à porter un regard neuf, avec ses équipes, est fondamental. Dans les années 2000, Jack Welch, patron de General Electric, avait organisé pour ses 200 plus importants managers un séminaire baptisé destroyyourbusiness.com. Ils ont passé en revue leurs différents métiers selon la question suivante : comment s’y prendrait un nouvel acteur pour réinventer les règles du jeu en s’appuyant sur les technologies de l’information ? Ils avaient ainsi identifié leurs points faibles. Ils ont organisé une seconde série de séminaires baptisés rebuildyourbusiness.com. Nous avons tous cette obligation de ne plus regarder dans le rétroviseur, mais de porter un regard neuf sur des métiers que d’autres pourraient réinventer. Comme le disait un futurologue américain : « On devrait tous dresser le portrait-robot de son assassin potentiel ». On peut également retenir ce qu’affirmait Steve Jobs : les individus ne savent jamais ce qu’ils veulent tant qu’on ne leur a pas proposé. »

Économie anxiogène. « Nous sommes entrés, depuis 2008, dans une économie anxiogène. Les français sont les champions du manque de confiance, les sondages le montrent. Les individus ont peur, tous comme les clients, internes ou externes. Dans l’économie de la peur, l’obligation managériale de tout dirigeant, c’est de rassurer. »

L’exigence de l’expérience client. « On ne parle plus que « d’expérience client » et, pour les entreprises, cela place la barre très haut. Tout est comparé au meilleur, il faut donc être meilleur en tout : en qualité de service, en suivi des clients, en réactivité, en disponibilité… La clé du succès de l’expérience client est de satisfaire celui-ci au-delà de ces attentes, autrement dit de créer un effet « Whaou… » de manière à ce que le client pense : « Je n’en attendais pas tant que ce que j’ai obtenu ». Les américains utilisent le principe underpromise, overdeliver (sous-promettre et sur-délivrer), élément majeur en matière de qualité de service. »

Payer pour le service ? « Nous sommes dans l’économie du prix bas : le français adore le service, mais ne veut pas en payer le prix. Probablement parce qu’on ne sait pas vendre le service, en expliquer les « plus », en démontrer les avantages, en justifier la différenciation… J’ai la conviction que l’on ne gagne jamais sur le terrain des autres, or, le client vous entraînera toujours sur le terrain de vos concurrents. On peut illustrer ce point avec la devinette suivante : un ours et un crocodile doivent se battre, qui sera vainqueur ? La réponse ? Tout dépend du terrain : sur la terre ferme, l’ours a toutes ses chances, dans un marécage, il se fera probablement dévorer. Vous serez de plus en plus mis en concurrence avec des entités externes : la concurrence se fera sur les prix, mais ceux qui gagnent sont ceux qui ont la capacité à vendre le service, à le rendre tangible. »

Se mettre à la place du client. « La mode est au Do it yourself customer, principe selon lequel le client assure lui-même une partie du service. Dans ce contexte, ce qui compte, ce n’est pas de satisfaire le client, mais de l’aider à réussir. Lorsque l’on abandonne des tâches au client, il faut en effet l’assister. Il en est de même pour le cloud, qui change les usages. En outre, le consommateur passe du temps à comparer et à chercher l’information. Résultat : les vendeurs en savent toujours moins que leurs clients qui passent des semaines à s’informer sur le Web. Tout comme les internautes qui consultent les sites sur la santé et qui sont persuadés d’avoir fait des études de médecine… Conclusion : lorsque le client peut se passer de vous, vous devez devenir des vendeurs de services. »

Chercher ses domaines d’excellence. « On ne peut exceller dans tous les domaines : il faut donc choisir, en partant des frustrations des clients, des domaines d’excellence dans lesquels on est reconnu comme le meilleur. Comme les VTC l’ont fait face aux taxis…Autrement dit, identifier ses forces, ses points d’aspérité et rendre tangible l’intangible. L’enjeu est aussi de fidéliser les clients : votre job est de simplifier la vie de vos clients, même si cela complique la vôtre. Le client se fiche de vos contraintes… »

La gestion des équipes. « Soyez exemplaire avec vos équipes : elles n’agissent pas comme vous leur demandez de le faire, elles agissent comme vous agissez avec elles. Lorsqu’un manager s’occupe de ces équipes comme il rêve qu’elles s’occupent des clients, tout va mieux. Embauchez donc des collaborateurs plus « grands » que vous, qui apportent une vision différente. On a hélas tendance à embaucher selon le principe des poupées russes : le plus grand embauche un plus petit, qui embauche un encore plus petit, etc. Il importe de donner du pouvoir à vos équipes, même si le mot anglais empowerment n’existe pas en français. La critique n° 1 des jeunes générations à l’égard du management est le manque de reconnaissance : réapprenez à dire merci et bravo lorsqu’il y a des tensions et que vos collaborateurs font des efforts… »