Le cabinet de conseil Booz & Company a publié, en octobre 2013, la nouvelle édition de son classement annuel Global Innovation 1 000, des entreprises les plus innovantes. La France, avec 2,2 % du PIB investis en R&D est sixième mondial, les premiers mondiaux, ex-aequo, étant le Japon et la Corée du Sud (3,5 % du PIB).
Dans un focus sur la France, les consultants de Booz & Company expliquent : « Il y a une prise de conscience généralisée de l’importance de l’innovation. Mais, malgré les déclarations faites, l’environnement reste moins favorable en France pour innover dans les entreprises où il manque souvent les processus d’innovation adéquats, et malgré la volonté de l’Etat, le cadre réglementaire reste compliqué. Dans ce contexte, les investissements en R&D en France génèrent relativement peu de résultats en termes de nouveaux produits innovants, de brevets et de croissance. »
Le diagnostic repose sur une relative inadéquation des modèles d’innovation : « La culture de l’innovation dans les entreprises en France se caractérise par un modèle d’innovation dominant que nous appelons « Technology Driver », expliquent les consultants de Booz & Company. Dans ce modèle, les entreprises se caractérisent par une volonté de pousser leurs technologies sur les marchés, avec le risque inhérent d’un manque d’adéquation entre leurs choix technologiques et les besoins du marché.
Il apparait donc nécessaire de contrebalancer ce manque avec le développement d’une innovation beaucoup plus orientée vers les besoins clients « Need Seekers » ». À cela s’ajoutent « des lacunes en termes de culture de l’innovation dans les entreprises françaises. Les entreprises françaises ne manquent pas d’idées et des processus de gestion de l’innovation sont généralement en place. Mais il faut continuer à stimuler et développer une culture entrepreneuriale au sein de l’entreprise ou « intra-preneuriale » qui ne va pas toujours de soi. »
Ainsi, au-delà du montant des investissements en R&D, beaucoup d’autres facteurs entrent en compte pour expliquer le dynamisme de l’innovation. Dans son étude Innovation in 2013, le Boston Consulting Group a demandé à 1 503 managers quels sont les facteurs d’amélioration des processus d’innovation (voir tableau) : davantage que les aspects budgétaires, les facteurs organisationnels, l’implication des parties prenantes sont tout aussi essentiels.
Ce constat a été partagé dans l’étude publiée en avril 2013 par le Cigref et le Cefrio. Les auteurs distinguent trois facteurs essentiels d’influence de l’innovation et de la performance : la présence d’une culture qui favorise l’expérimentation et la tolérance au risque, la préparation de l’organisation et l’intensité d’utilisation des technologies de l’information pour « jouer sur le temps, l’espace ou la matérialité des produits ou services des entreprises. » Sur ce point, les auteurs notent que les organisations les plus innovatrices sont de fortes utilisatrices des TIC : « La taille et le secteur d’activité n’apparaissent pas comme des déterminants essentiels de la capacité à innover. Grandes comme petites, les entreprises qui utilisent intensivement les TIC accroissent leurs capacités d’innovation. L’effet important vient de l’intensité d’utilisation, pas simplement de la présence de la technologie dans l’entreprise. »
Lors de la dernière convention de l’USF (Association des utilisateurs SAP francophones), Philippe Durance, enseignant-chercheur au Conservatoire national des Arts & Métiers (CNAM), a rappelé qu’une innovation « est une invention qui a réussi à rencontrer son marché et ses utilisateurs, mais une invention ne produit pas systématiquement une innovation. » Selon lui, le modèle dominant d’innovation, linéaire, de celui qui conçoit vers celui qui utilise, souffre de plusieurs insuffisances et d’idées reçues. D’abord, l’innovation n’est pas qu’une affaire publique : « Les dépenses publiques sont dix fois plus faibles que celles des entreprises », assure Philippe Durance.
Ensuite, l’innovation est surtout incrémentale et n’est pas que technologique. « Les innovations de rupture sont plutôt rares avec un modèle linéaire », souligne Philippe Durance « et l’innovation n’est jamais le résultat de la mise en œuvre que d’un seul élément, des gains de compétitivité peuvent être obtenus avec de l’innovation financière ou du marketing… ». Enfin, ajoute Philippe Durance, contrairement à ce que beaucoup pensent, « la R&D n’est pas le seul ingrédient de l’innovation. » Celle-ci fait appel à la recherche de besoins non satisfaits, à l’intuition et à la créativité. « Pour développer la créativité, il faut sortir des laboratoires de recherche car c’est l’individu qui en est le vecteur », assure Philippe Durance.
Ce lien entre créativité et innovation est également mis en exergue par Luc de Brabandère, senior advisor au Boston Consulting Group, et Alan Iny, spécialiste de la créativité et des scénarios au Boston Consulting Group, dans leur dernier ouvrage : La bonne idée existe, cinq étapes essentielles pour la trouver (Ed. Eyrolles, lire pages 10 et 11). Pour les auteurs, « le vrai défi consiste à construire de nouveaux cadres. Si la plupart des organisations ne parviennent pas aujourd’hui à réaliser de sauts imaginatifs suffisants pour s’assurer un succès à long terme, ce n’est pas faute d’idées nouvelles, mais plutôt parce qu’elles ne savent pas en tirer tout le potentiel. »
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L’innovation dans les entreprises françaises, Booz&Co, 26 pages, 2013. www.booz.com/fr
- « The Most Innovative Companies 2013, Lessons from, Leaders », septembre 2013, www.bcgperspectives.com.
- L’innovation dans l’entreprise numérique : résultats d’une étude menée auprès des grandes entreprises françaises, Cigref, Cefrio, 48 pages, 2013.
- « Never let a good crisis go to waste », McKinsey Quarterly, n° 4, 2013. www.mckinsey.com/insights/strategy
Les facteurs d’amélioration des processus d’innovation | |
Un soutien du top management | 70 % |
Des équipes transversales sur les projets | 70 % |
Le management laisse le temps nécessaire | 70 % |
Une bonne compréhension des besoins du marché et des utilisateurs | 70 % |
Une définition claire des rôles et des responsabilités | 70 % |
Les bonnes infrastructures sont disponibles | 70 % |
Les équipes sont correctement dimensionnées | 70 % |
Les processus de décision sont clairs et transparents | 70 % |
Des ressources sont dédiées à l’innovation | 70 % |
Source : Boston Consulting Group, 2013. |
Rang | Entreprises | Dépenses R&D 2012 (millions d’euros) |
1 | Sanofi | 4 922 |
2 | EADS | 3 313 |
3 | Alcatel-Lucent | 2 444 |
4 | Peugeot | 2 047 |
5 | Renault | 1 915 |
6 | Orange | 812 |
7 | Total | 805 |
8 | L’Oreal | 791 |
9 | Alstom | 737 |
10 | Vivendi | 718 |
Source : Booz & Company, 2013. |
Les trois principaux modèles d’innovation | |||
Modèle dominant | Modèle social | Modèle hybride | |
Principe | Celui qui conçoit n’est pas celui qui utilise | L’utilisateur est le concepteur : tout le monde a des idées | L’utilisateur conçoit mais il est accompagné, les bonnes idées viennent de n’importe où |
Problématique | Concevoir et diffuser | Identifier ceux qui ont des idées | Traduire les idées |
Enjeu | Appropriation | La généralisation | La démultiplication |
Validation | Processus d’expérimentation | De l’expérience vers l’idée | La co-conception |
Vecteur | La technologie | Centré sur l’individu | Le projet |
Source : Philippe Durance, CNAM. |