Pour innover et être créatif, faut-il penser « en dehors du cadre » ? Oui, mais nous expliquent Luc de Bradandère et Alan Iny dans leur dernier ouvrage, cela ne suffit pas : il faut surtout inventer de nouveaux cadres qui font davantage appel à la pensée inductive, par opposition à la pensée déductive. Les auteurs proposent une démarche en cinq étapes pour y parvenir.
Pour analyser notre environnement, « notre cerveau nous ramène systématiquement vers le familier, nous nous accrochons donc à de vieux schémas mentaux qui ne sont peut-être plus pertinents, affirment les auteurs, l’horreur du risque pousse la plupart d’entre nous à tenter de confirmer des opinions existantes et à refuser de reconnaître à quel point les choses changent vite et radicalement. »
Au final, cela peut coûter très cher, en particulier dans les entreprises. Partant de ce constat, Luc de Brabandère et Alan Iny nous invitent à nous appuyer sur « des cadres mentaux neufs pour une réalité nouvelle ». Pour illustrer ce qu’est un cadre mental, on peut se référer à un arc-en-ciel. Si l’on demande à quelqu’un combien de couleurs compte un arc-en-ciel, il répondra probablement entre cinq et dix. En réalité, un arc-en-ciel comporte une infinité de couleurs.
« Pour traiter des idées aussi compliquées qu’un nombre infini de couleurs, le cerveau simplifie en plaçant la réalité physique dans un modèle mental, dans un cadre d’une taille plus commode, plus maniable », expliquent les auteurs. Évidemment, une telle simplification aboutit très souvent à une représentation approximative, à une certaine vision du monde. Dès lors, on conçoit qu’il soit très difficile d’être créatif si l’on reste enfermé dans des cadres mentaux que l’on a toujours connus et si l’on n’a pas conscience de la nécessité d’en sortir.
Les auteurs rappellent qu’il existe deux types de pensée : déductive et inductive. Dans le premier cas, « votre cerveau utilise un processus logique pour résoudre un problème ne comportant qu’une solution ou un ensemble limité de solutions. » Autrement dit, la déduction consiste à prendre les modèles mentaux que l’on a en tête et à les utiliser pour agir.
La bonne idée existe, cinq étapes essentielles pour la trouver, par Luc de Brabandère et Alan Iny, Eyrolles, Boston Consulting Group, 2013, 323 pages.
Dans le second cas, celui de la pensée inductive, le cerveau est libre de faire des associations, d’inventer et d’imaginer. « Rien ne s’oppose à ce que le résultat final soit logique, mais il peut relever d’une logique beaucoup plus inattendue », expliquent les auteurs qui résument ces deux principes de la manière suivante : « La déduction utilise des cadres existants, l’induction en crée de nouveaux. » Cette dernière est ainsi beaucoup plus riche. Elle pousse à « se poser des questions, à remettre en cause des règles rigides et des schémas usés jusqu’à la corde pour prendre des risques absolument impossibles à imaginer quand on raisonne par déduction », assurent les auteurs.
Selon que l’on utilise la pensée déductive ou la pensée inductive, on se retrouve dans l’une ou l’autre des situations : la créativité qui conduit à la performance… ou un manque d’idées qui peut conduire à l’échec. Deux situations que les auteurs désignent par deux mots : « Eurêka ! » et « Caramba ! ». Luc de Brabandère et Alan Iny expliquent que « les moments « Eurêka ! » peuvent se traduire par des innovations de produits, la création de nouveaux marchés, de business models ou de processus, comme l’invention de l’iPhone par Apple ou le développement, par Toyota, de ses formidables stratégies de production Lean qui ont posé un défi à l’ensemble des constructeurs automobiles. »
Les moments « Caramba ! », eux, s’observent lorsque « vous êtes du mauvais côté du progrès social, technologique ou économique, du côté des perdants, vous êtes totalement dépassé, il ne vous reste qu’à regarder une fusée s’élever dans le ciel, sans vous », expliquent les auteurs. « D’autres sont en train de développer avant vous de puissants nouveaux modèles et stratégies. Ils sont aux commandes : vous, votre entreprise, votre industrie ou votre environnement, êtes les victimes du changement et non ses agents. Il ne vous reste plus qu’à espérer rattraper le terrain perdu, tout cela parce que vos perceptions n’ont pas changé assez vite. »
Comment, dès lors, transformer ses cadres mentaux ? Les auteurs proposent une démarche en cinq étapes. La première consiste à douter de tout ce que l’on croit savoir et à reconnaître que « vos modèles mentaux actuels vous enferment dans votre zone de confort. Si intelligents et rationnels que puissent être les gens, ils se rendent rarement compte du caractère automatique de leurs perceptions, de leurs réactions et de leurs hypothèses, pourtant parfois erronées ou carrément fausses. » Les auteurs proposent dans l’ouvrage quelques exemples visuels (photos, dessins, formules) de perception faussée. La seconde étape consiste à explorer essentiellement par la connaissance du client, la veille concurrentielle, l’identification des tendances majeures, à travers une réflexion prospective.
La troisième étape consiste à favoriser la divergence. Pour les auteurs, « la meilleure façon d’avoir une bonne idée, c’est d’en avoir beaucoup. » Cela n’est possible que si l’on promeut un environnement créatif. Les auteurs suggèrent plusieurs exercices utiles pour favoriser la divergence. Par exemple : décrire votre entreprise sans jamais utiliser les cinq mots qui lui correspondent le mieux, imaginer qu’elle ait disparu, scinder votre entreprise en deux entités, ou encore imaginer que vous êtes obligé de créer une co-entreprise avec une autre entreprise. Les auteurs proposent un intéressant tableau dans lequel ils mentionnent les différentes manières de tuer une idée nouvelle : ils n’en recensent pas moins de 82, depuis « Nous n’avons pas le budget » jusqu’à « Je ne vois pas le rapport », en passant par « Demandons l’avis d’un expert. »
Dans la quatrième étape, on privilégiera la convergence qui consiste à transformer une longue liste d’idées en un groupe plus restreint, voire à une seule idée qui pourra être réalisée. Les auteurs rappellent la phrase de l’expert en management Peter Drucker : « Quand vous voyez une entreprise florissante, vous pouvez être certain que quelqu’un, un jour, a pris une décision courageuse. » Au cours de cette étape, il convient de s’intéresser non plus à la production d’un maximum d’idées, mais d’en évaluer la cohérence, la faisabilité et l’impact.
Enfin, la dernière étape aboutit à une réévaluation, selon le principe « qu’aucune bonne idée n’est éternelle et que pour ancrer la créativité dans la durée, il faut continuer à créer de nouveaux concepts, les modifier, les sélectionner, les mettre en œuvre, puis les rejeter et, à un moment ou à un autre, les remplacer par un nouveau modèle mental », soulignent les auteurs. Mais comment savoir qu’il est temps de passer à autre chose ? Pour Luc de Brabandère et Alan Iny, il faut apprendre à reconnaître les signes avant-coureurs et à y réagir.
Certains sont faciles à découvrir, d’autres sont quasiment indétectables. « Si vous ne faites pas le nécessaire pour anticiper le changement et y réagir, vous finirez peut-être, comme Henry Ford, par proposer un modèle désuet à un marché qui, entre-temps, est passé à autre chose. Parfois, quand on a le sentiment que tout va vraiment pour le mieux, c’est que l’on prête le flanc aux pires catastrophes. » C’est ce qui est arrivé aux fabricants de téléphones, déstabilisés par l’iPhone, aux parfumeurs face à Sephora qui a réinventé l’expérience client dans ses magasins, ou aux fabricants de café face à Nespresso…
D’où la nécessité de déceler les signaux faibles sur un marché : altération de la proposition de valeur, nouveaux concurrents ou fournisseurs, nouvelles offres, variations brusques des indicateurs de l’entreprise, nouvelles réglementations et, pourquoi pas, l’intuition ! Les auteurs recommandent d’utiliser une approche par scénarios à partir de quatre matériaux : des tendances, des éventualités extrêmes (les « coups du sort »), des variables et des hypothèses. Les scénarios sont des moyens « relativement peu coûteux mais très rentables d’étendre votre perception du possible, d’échapper aux contraintes de votre manière habituelle de traiter les choses. » En suivant, tout de même, le conseil d’Einstein de ne pas trop en faire : « Tout devrait être rendu aussi simple que possible, mais pas plus. »