Direction générale de l’aviation civile : l’innovation par le pilotage organique

La Direction générale de l’aviation civile a mis en œuvre une démarche innovante de management organique. Objectif : élaborer une vision nouvelle de l’organisation et de ses flux d’informations, d’actions et de décisions. Les explications de Francis Massé, secrétaire général de la DGAC et de Jean-Pierre Desbenoit, directeur des systèmes d’information et de la modernisation de la DGAC.

Vous avez créé une « direction des systèmes d’information et de la modernisation ». Pourquoi la DGAC a-t-elle choisi cette dénomination ?

Francis Massé À la DGAC (Direction générale de l’aviation civile), nous associons effectivement système d’information et modernisation. Et nous accordons beaucoup d’importance à ce rapprochement. Certes, comme beaucoup de directions des systèmes d’information, celle de la DGAC gère l’informatique de gestion et se positionne en tant qu’offreur de services et d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour les métiers. Mais l’objectif est d’utiliser la technologie et la capacité des outils comme des leviers de transformation et de modernisation. Autrement dit, nos chantiers sont avant tout des projets de conduite du changement et d’évolution de la culture d’entreprise.

Cela impose toutefois de très bien connaître et d’intégrer la culture de l’organisation, notamment celle des directions métiers, principalement la navigation aérienne et la sécurité de l’aviation civile, en sus des métiers régaliens et supports. La DGAC est essentiellement un univers d’ingénieurs remplis de passion professionnelle et partageant l’esprit pionnier des débuts de l’aviation ; ces ingénieurs sont 8 500 sur un total de 11 500 collaborateurs. C’est également un monde qui n’est pas façonné par une surabondance de processus, naturellement en dehors des activités critiques opérationnelles liées à la sécurité, et, de fait, dans lequel l’informel, l’oralité et les réseaux entre les individus occupent une grande place.

Dans un tel contexte, comment susciter une homogénéité ?

Francis Massé L’outil fédérateur a été notre portail d’entreprise, lancé en 2010, qui combine plusieurs aspects : la communication, la collaboration et les applicatifs. Le retour sur investissement est d’ores et déjà très positif. Par exemple, nous réalisons 250 000 euros d’économies par an en supprimant les abonnements papier à des journaux et revues, que nous consultons désormais à travers les flux RSS. Second exemple : dans la mesure où le portail devient un bureau virtuel, qui a vocation à intégrer de plus en plus d’applications avec un point d’accès unique, nous avons créé de nouveaux métiers, notamment des postes de rédacteurs et des contributeurs Web.

Ce portail a transformé nos relations quotidiennes avec les métiers : nous mettons en avant les notions de partenariat, de relations client-fournisseur, de catalogue et de contrats de services, et de plan d’actions opérationnel. Nous sommes parvenus à ce que nous ambitionnions depuis longtemps : élaborer un plan de charges qui prenne en compte la réalité des ressources disponibles, tant du côté de la maîtrise d’œuvre que celui de la maîtrise d’ouvrage.

Quelle est la place du collaboratif ?

Francis Massé Il a toujours existé de multiples réseaux à la DGAC, mais ils étaient informels et échappaient parfois aux structures verticales. Il était ainsi difficile d’identifier qui en faisait partie, ce qui s’y traitait, avec quelles approches et quelles visées. Nous avons donc organisé des communautés qui travaillent sur des données structurées. Concrètement, pour créer une communauté, il faut trois ingrédients indispensables : un sponsor, une feuille de route et un référent. Aujourd’hui, nous avons une centaine de communautés qui représentent à peu près 3 000 membres et plus de 35 000 documents.

Quels en sont, selon vous, les facteurs clés de succès ?

Francis Massé Outre l’implication forte de la direction des systèmes d’information et de la modernisation et une bonne intégration technique, la principale clé de succès réside dans le degré de liberté que nous avons laissé aux participants aux communautés. Concrètement, le référent gère trois niveaux : ce qui est public, ce qui est partagé par les membres de la communauté et ce qui est privé, réservé à une partie des membres. Le référent est systématiquement membre d’une « communauté des communautés ». Celle-ci est comme un « laboratoire du Web 2.0 » : les référents ont le droit de tout essayer, la seule limite étant la sécurité. Résultat : nous n’avons quasiment plus de demandes d’outils de la part des métiers. Quand un besoin s’exprime, les référents testent les solutions dans leur communauté. C’est un véritable recentrage sur l’usage et la valeur.

Dans une organisation, toute la transversalité que l’on peut susciter, en particulier avec un portail, doit être un « plus » pour les métiers, la stratégie et la mobilisation des ressources. à la DGAC, nous y sommes parvenus et nous pouvons désormais passer à une deuxième étape : un réseau social d’entreprise qui va s’appuyer sur des données non structurées, de manière à organiser l’intelligence collective, et à capter toutes les idées du terrain qui ne trouvent pas à s’exprimer à travers les structures et processus traditionnels.

Cela ne risque-t-il pas de déstabiliser le management intermédiaire ?

Francis Massé Cela peut être un risque, en effet, notamment pour le premier niveau de management. Mais le management que nous valorisons n’est pas nécessairement fondé sur une expertise technique singulière. L’objectif est de valoriser les managers intermédiaires au travers des compétences des équipes qu’ils encadrent. Nous démontrons ainsi que s’acharner à détenir toute l’information n’est guère pertinent et qu’il faut, au contraire, exploiter de manière collective l’information, pour libérer l’initiative, exploiter la variété des approches, permettre aux idées de rebondir, de se « challenger », pour aller bien au-delà du petit périmètre commun des « idées-toutes-faites ».

Ainsi, nous contribuons à réconcilier le terrain et le niveau national. Dans les grandes organisations, on observe souvent un clivage entre ces deux niveaux : les personnes, de part et d’autre, se parlent peu. Mais lorsqu’elles commencent à communiquer, à travers une communauté ou un réseau social d’entreprise, la donne change : les collaborateurs de terrain perçoivent que, finalement, leurs problèmes s’intègrent dans la vision globale de l’organisation, et ceux des structures centrales voient remonter plus facilement de bonnes idées, proches de la réalité du terrain.

C’est d’ailleurs un des points forts qui était apparu lors de la démarche de modernisation des services publics lancée sous Michel Rocard où le travail en commun entre services déconcentrés et administration centrale avait été efficace. Il n’y a pas d’un côté les théoriciens et de l’autre ceux qui mettent en pratique. En outre, à un moment donné, les collaborateurs éprouvent le besoin de se rencontrer physiquement, lorsqu’ils s’aperçoivent que chacun peut apporter de la valeur dans ses domaines de compétences. Les strictes frontières hiérarchiques et géographiques perdent ainsi leur raison d’être et nous nous créons ainsi peu à peu un service public plus holomorphique, plus communiquant. Ceci permet de consolider notre culture du management de la sécurité, laquelle concerne tout aussi bien le contrôle du trafic aérien, la construction aéronautique, que la sécurité et la sûreté de l’aviation civile sans omettre de citer la formation des ingénieurs, des pilotes et des contrôleurs que l’Enac assure.

Vous avez initié avec la direction des ressources humaines une approche de management organique : de quoi s’agit-il ?

Francis Massé Le management organique, tel qu’il a été défini par Aerial, a pour objectif de rendre plus transparente l’organisation et la circulation de l’information, notamment en laissant s’exprimer les capacités individuelles (Cf. encadré page 25). Le management public doit en effet absorber de plus en plus des situations de complexité, des interdépendances croissantes entre plusieurs thématiques ainsi que des services diversifiés à apporter aux citoyens et aux usagers.

Une telle démarche ne peut que favoriser une approche synthétique et transversale pour offrir un meilleur service, qu’il soit interne au service ou externe, tournée vers l’usager du service public. Aerial a outillé cette démarche par un dispositif de pilotage organique (DPO), capable de gérer à la fois de la transversalité et de la verticalité. C’est un levier de transformation. Et la sous-direction des ressources humaines constitue un terrain privilégié d’expression de cette transformation. Nous avons privilégié une double approche, avec une MOA métier GRH et une MOA métier DSI, qui travaillent conjointement. Nous avons réussi à faire évoluer les relations entre la GRH de proximité et la GRH nationale.

Le DPO repose sur des faits et s’affranchit des biais, déformations et interprétations que les reportings introduisent inévitablement. Il n’est pas besoin de savoir ce que l’on cherche pour qu’émergent les points sensibles de l’environnement, sous forme de risques et d’enjeux. Dans un contexte d’« infobésité » généralisée, le DPO propose des tris intelligents et suggère des connexions entre des éléments dont on n’imagine pas qu’ils puissent être reliés, ce que Google ne propose pas.

Concrètement, comment fonctionne le DPO ?

Jean-Pierre Desbenoit C’est un outil de retour d’expériences, d’accompagnement de projets. Les collaborateurs s’expriment en intégrant des informations et des faits. Ils peuvent aussi commenter les processus RH et formuler un avis sur telle ou telle donnée, telle ou telle procédure et suggérer une proposition. Cela permet de recueillir le sentiment de chacun et l’outil agrège toutes les informations au fur et à mesure qu’elles sont intégrées. Mieux, nous sommes capables de renvoyer à la fois vers les dirigeants et vers le terrain ce que deviennent leurs informations. Résultat : on voit alors apparaître des connexions entre certains dossiers, là où on pensait a priori qu’il n’y avait pas de relations. Il est ainsi possible de se pencher sur un paramètre donné, d’identifier quels sont les éléments structurants qui sont liés.

Un fait, considéré isolément, peut paraître anodin, mais, lorsqu’il est agrégé avec d’autres informations, va montrer des corrélations et faire émerger des dossiers importants. La DRH a par exemple vu émerger une problématique forte sur les congés maternité pour certaines catégories de cadres, qu’elle n’avait pas identifiée auparavant et qui a pu être gérée de manière anticipée. Le DPO aide à identifier des seuils et à valider des choix. Il permet aussi de surmonter des incompréhensions.

Par exemple, dans la gestion des ressources humaines, les mots, dont on ne soulignera jamais l’importance dans ce domaine, n’ont pas toujours la même signification au niveau national ou local. Autant éviter que des collaborateurs ne créent un SIRH sous Excel suite à des incompréhensions ! Le DPO oblige à faire reposer les processus sur des faits et non sur des concepts plus ou moins théoriques. Et les faits sont toujours têtus…

Comment incite-t-on les personnes à contribuer ?

Jean-Pierre Desbenoit Il importe avant tout de leur donner envie. Il faut bien choisir les personnes qui vont porter le projet. Elles doivent comprendre ce qu’elles peuvent en retirer et être légitimes, ce qui n’est pas toujours une question d’étendues de compétences. Nous avons commencé par créer des petits groupes que nous avons progressivement élargis. L’inconvénient de cette approche est que la taille réduite des groupes freine la montée en charge, mais elle présente un avantage : inciter ceux qui n’y sont pas à l’intégrer dès qu’ils en ont la possibilité. C’est ce qui s’est passé à la DGAC.

En montrant que le DPO n’est en rien un outil de « flicage » et que, au contraire, il crée de la valeur, on parvient à convaincre les utilisateurs de s’impliquer et de contribuer. Par ailleurs, Aerial nous fournit, à travers le DPO, un ensemble de bonnes pratiques qui nous garantit la bonne fin de son installation, comme le fait de ne pas utiliser « d’avatar » pour les utilisateurs.

Aussi, les collaborateurs ont à se connecter sous leur vrai nom. C’est un élément important de valorisation pour eux, surtout pour ceux qui sont sur le terrain, qui voient que leurs propositions sont prises en compte, commentées, et que les communautés auxquelles ils participent sont valorisées. Même si l’expression « intelligence collective » est souvent galvaudée, c’est bien de cela qu’il s’agit, avec un effet « boule de neige ».

Chaque contributeur reçoit en retour un accusé de réception, à la prise en compte de son apport. Il est ensuite destinataire des thèmes générés, des clusters, c’est-à-dire des thèmes qui émergent naturellement et automatiquement de la masse d’informations introduites, et des informations orphelines associés à sa contribution. Cela donne envie de réagir et il y a un effet d’entraînement…

Faut-il un accompagnement externe ?

Jean-Pierre Desbenoit Oui, c’est indispensable. Les experts d’Aerial sont intervenus à deux niveaux. D’une part, pour paramétrer les moteurs du DPO en fonction de nos besoins et, d’autre part, ils ont activement contribué à l’animation des groupes de travail.

Par ailleurs, Aerial exploite pour notre compte les données issues du DPO. Pour l’heure, l’outil est externalisé, mais l’objectif, à terme, est de l’internaliser, avec une équipe spécifique. Aerial a mis en place une cellule d’analyses techniques qui veille à ce que les typologies et les sources d’informations correspondent aux principes sémantiques et aux dictionnaires qui sont constitués par l’outil lui-même. Pour cela, il faut identifier comment les collaborateurs utilisent l’outil et comment ils raisonnent pour l’alimenter. Les consultants qui aujourd’hui accompagnent la DGAC font un travail de cogniticiens.

Pour traiter les signaux faibles, le système produit des clusters. Il produit également des informations qui ne s’intègrent pas dans les clusters existants, c’est-à-dire des informations qui n’ont pas assez de densité pour que le système crée un cluster. Ces informations orphelines peuvent constituer des signaux faibles, ou simplement participer au « bruit » technique généré par les moteurs de corrélation sémantique. Les signaux faibles sont très importants : ils pointent sur un futur problème… ou une future opportunité ! Mais ce repérage est de nature humaine : l’équipe de cogniticiens d’Aerial sait identifier ce qui relève du bruit inopérant et ce qui relève d’un signal faible utile.

Dans le domaine RH, quels clusters avez-vous identifiés ?

Jean-Pierre Desbenoit Les principaux clusters qui ont émergé concernent par exemple la problématique du partage des responsabilités entre le niveau national et le niveau local. Il est également remonté des clusters sur des thématiques liées à la gestion des congés maternité, à la position des agents dans l’organisation et aux fonctionnements interservices.

ITBR Ces thèmes n’étaient-ils pas identifiables a priori ?

Jean-Pierre Desbenoit Pour certains d’entre eux, évidemment. Au départ, la plupart de ceux qui émergent du DPO sont des thèmes que tout le monde connaît. Il reste cependant à trouver des pistes de solution, à fournir des réponses… En associant plusieurs clusters, autour d’un thème principal, on identifie les interactions et les leviers les plus pertinents à actionner. Il est alors possible de faire les bons choix stratégiques. Les clusters sont en fait des chasseurs d’informations dans lesquels s’agrègent en permanence de nouvelles informations, ce qui les rend encore plus riches et plus précis.

Cette approche peut-elle s’appliquer à n’importe quelle activité de l’entreprise ?

Jean-Pierre Desbenoit Oui, absolument. L’approche orga­nique, puisqu’elle permet de s’affranchir des interprétations a priori et des biais hiérarchiques, est pertinente à tous les niveaux : pour un domaine particulier, nous l’avons montré à la DGAC avec les ressources humaines, pour une direction (une DSI par exemple), voire pour l’ensemble d’une organisation ou d’une entreprise…


Qu’est-ce que l’approche organique du management ?

Le modèle du « management organique » déve­loppé par Aerial propose une vision nouvelle de l’entreprise et de ses flux d’information, d’actions et de décisions. Le management orga­nique s’articule autour des principes suivants :

  • Rendre transparent le fonctionnement de la pyramide managériale en matière tant d’organisation que de circulation
    de l’information.
  • Laisser s’exprimer les capacités individuelles en redonnant de l’initiative et de l’autonomie à tous les acteurs de tous les étages de l’organisation.
  • Assurer une cohérence d’ensemble à travers un meilleur fonctionnement des échanges verticaux tant montant que descendant.
  • Faciliter le changement en permettant d’identifier et d’animer des leaders d’opinion.

Cette approche s’appuie sur un dispositif de pilotage (dispositif de pilotage organique, ou DPO), qui intègre une démarche, des méthodes et des outils pour :

  • Exploiter des sources de données externes (conversation de marques, sites Web clients et fournisseurs, revues techniques, comptes rendus de conférences, etc.) et internes (comptes rendus de visite, observations sur le terrain, réclamations clients à travers le help-desk, prise de position d’acteurs internes, etc.).
  • Mettre en relation et corrélation de ces informations.
  • Analyser et traiter par une cellule indépendante, la plus neutre possible vis-à-vis du management et directement rattachée au plus haut niveau hiérarchique.
  • Élaborer des pistes d’évolution et proposition des décisions (informations à diffuser, interpellations, projets à
    instruire, etc.) en vue de leur déploiement dans l’organisation.