Cosea : le système d’information à grande vitesse

Cosea, groupement d’entreprises en charge de la construction de la future ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, a mis en œuvre un système d’information avec des contraintes fortes de gestion des délais, de sécurité, de supervision et d’efficacité opérationnelle.

Un millier d’ouvrages d’art, dont 21 viaducs, 1 200 kilomètres de rails, 50 millions de mètres cube de terre : ce sont les chiffres des travaux de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, dont le chantier doit s’achever en 2017. Cela représente un investissement total de près de huit milliards d’euros, dont six milliards pour les travaux, et place donc ce projet comme le plus important PPP (partenariat public-privé) jamais conclu en France. Cosea, groupement d’entreprises piloté par Vinci Construction, s’est chargé de la conception et de la constructions de cette ligne à grande vitesse. Soit au total, pas moins de 5 000 personnes impliquées dans la construction des 302 kilomètres de voies, sans oublier les 45 kilomètres de raccordements.

Enjeux de ce vaste projet : réussir la livraison de la ligne à grande vitesse dans des délais très courts, et relever les défis techniques et humains que pose un projet d’une telle dimension, tout en respectant l’environnement. Mais, au-delà, dans le contexte économique actuel où le développement des infrastructures tend à se faire de plus en plus sous la forme de PPP, l’objectif est de capitaliser sur les processus, méthodes et systèmes d’information développés dans le cadre de ce projet.

Parmi les 5 000 collaborateurs impliqués dans le projet, 2 100, répartis sur une trentaine de sites tout au long de la future LGV, sont équipés de terminaux (ordinateurs fixes ou portables, tablettes, smartphones). Les applications sont hébergées sur des serveurs redondants entre le siège de Cosea à Poitiers (Haute-Vienne), le siège de Vinci Construction à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) et le datacenter IBM de Montpellier (Hérault).

Avec un chantier résolument « zéro papier », les équipes réparties entre les différents sites et le siège à Poitiers doivent pouvoir s’appuyer sur un système d’information à haute disponibilité. Et c’est à l’équipe de Bruno Chiumino, DSI de Cosea, que reviennent les rôles de conception, d’accompagnement, d’exploitation du SI avec le reporting et le pilotage du projet associé.

Les solutions collaboratives, indispensables pour des équipes géographiquement dispersées

La DSI doit ainsi mettre en œuvre des solutions qui supportent les processus d’ingénierie système, de réalisation et de pilotage du projet en phase de conception et de construction. Ces mêmes processus doivent être réutilisables en phase de maintenance et d’exploitation, et accessibles par des utilisateurs provenant de sociétés d’origine différentes et basés dans divers endroits. Enfin, les technologies doivent répondre à des exigences de disponibilité, de sécurité et de fiabilité. La DSI ne doit également pas perdre de vue la gestion du changement et offrir un niveau de service élevé qu’exige un chantier de travaux, notamment en termes de réactivité.

Dans ce grand projet d’infrastructure, la DSI a tout d’abord mis en place des applications collaboratives avec pour objectif de proposer un premier niveau de partage d’informations, de connaissances et de processus. « Ce sont ces applications dites collaboratives qui nous permettent de répondre aux besoins des différents métiers (finance, RH, documentation…), mais aussi aux besoins de données géographiques et environnementales », rapporte Bruno Chiumino.

Plus globalement, les fonctionnalités du SI sont divisées en quatre familles :

  • le socle collaboratif (gestion de projet, planification, RH, messagerie etc…) ;
  • le socle documentaire, pour assurer la traçabilité lors de la conception, du suivi et de la réalisation ;
  • le socle géographique, permettant la synthèse des données de conception et d’environnement ;
  • le socle BI (business intelligence), d’aide à la décision.

Une des difficultés que la DSI doit affronter est d’avoir à bâtir un système applicatif cohérent sans disposer au départ d’une vision globale des besoins. De plus, elle doit garantir un niveau de services pendant toute la durée de vie du projet et gérer l’évolution des besoins. Pour apporter des réponses satisfaisantes à ces problèmes, la DSI s’appuie sur trois éléments clés : une équipe d’experts terrain, des technologies adaptées et évolutives, et une méthodologie de déploiement.

Instaurer des relations de confiance

Côté humain, pour répondre aux besoins des projets, les équipes de la DSI, composée d’experts en interne et de prestataires, s’organisent comme un centre de services « pour s’affranchir de l’organisation de Cosea », précise Bruno Chiumino, qui ajoute : « Le succès de cette approche repose sur trois facteurs : la relation de confiance entre la DSI et les différentes entités qui constituent Cosea, l’entente sur un catalogue de services et la synergie dans le fonctionnement. » Une fois les règles définies, l’équipe de support métier, pour l’assistance à la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, se charge des projets et de leur bonne administration tandis qu’une autre équipe est, quant à elle, responsable de l’exploitation et du support infrastructure.

Organisées en cellules, les équipes peuvent ainsi gérer les solutions en production et les demandes d’évolution par la mise en place de processus. « Il est essentiel, pour l’équipe SI de Cosea, de hiérarchiser, planifier, gérer et exécuter les programmes et les portefeuilles. »

Côté méthodologie, pour coller au mieux aux besoins des utilisateurs, la DSI divise les projets en cinq lots : l’expression des besoins opérationnels, la conduite du changement, les données, le reporting et le pilotage du projet. « L’écosystème s’est construit au fil de l’eau autour de deux applications de base : la GED et le SIG, mais avec des contraintes de délais, la première version de la GED devant être déployée moins de deux mois après le démarrage du projet », rapporte le DSI.

Prévoir un budget d’accompagnement à la hauteur de la complexité

Côté technologie, Bruno Chiumino précise : « Il nous semblait naturel de faire appel à différentes compétences, et nous avons donc sollicité plusieurs éditeurs dont Exosec et Oracle pour nous accompagner dans ce vaste projet, car plusieurs technologies devaient s’intégrer dans ce chantier. » Outre Exosec pour la supervision (voir encadré), Cosea s’appuie sur Oracle, qui a dans son catalogue applicatif des solutions qui ont été retenues après consultations et analyses : notamment des solutions de gestion de projets (Primavera), une architecture de business intelligence (Oracle OBIEE) et également des outils tels Golden Gate, Grid Control pour lier et superviser les bases de données Oracle et Oracle Spatial. Le système d’exploitation repose sur les applications Linux et Windows Server 2008, tandis que la virtualisation est gérée sous VMWare.

La gestion électronique de documents est avant tout la mise en œuvre d’une méthodologie de travail collaboratif, de manière à faciliter la réduction des coûts de production de documents, la disparition de la duplication de données, et la réutilisation des données. Plus de 150 0000 documents sont d’ores et déjà numérisés, avec une production de plus de 1 000 documents par semaine, soit une gestion moyenne de 10 000 processus actifs. « De 15 % à 20 % des utilisateurs sont connectés en simultanée de 8 à 18 heures, soit environ 350 personnes », précise Bruno Chiumino.

Cosea a aussi mis rapidement en place un système d’information géographique (SIG) permettant ainsi de créer, d’organiser et de présenter des données géoréférencées, et de produire des plans et des cartes. « Ce système permet de produire 10 000 pages de cartographies par jour pour des dossiers ou atlas fonciers, archéologiques, environnementaux ou techniques », précise Alain Vignon.

En ce qui concerne la gestion du planning, Primavera a été mis en place également dès le démarrage afin de cadrer une tâche loin d’être évidente, dans la mesure où le projet nécessite plus de 60 planificateurs chargés de gérer pas moins de 250 plannings !

Définir un référentiel commun de processus

Pour gérer au mieux ses équipes, qu’elles soient centralisées ou bien réparties sur le terrain, Cosea a élaboré un référentiel « commun » de processus et de procédures afin de fédérer les différents acteurs et de déterminer les priorités stratégiques. Pour garantir la disponibilité au quotidien de ce référentiel, les équipes DSI (support, administratif, terrain) se réunissent tous les jours pour établir le « bulletin météo du SI », point de situation pendant quinze minutes, reliant ainsi les équipes support centrale et les équipes terrain.

En parallèle, tout au long de ce chantier, Cosea déploie des mesures d’accompagnement et affecte une structure à la formation des utilisateurs sur les outils collaboratifs, la GED et le SIG. « Sur 24 mois (de janvier 2011 à janvier 2013), ce projet a représenté près de 5 000 heures de formation sur les outils, réparties entre les outils de GED (4 000 heures), le SIG (500 heures) et la BI (400 heures), soit l’équivalent de trois années-hommes », argumente Bruno Chiumino.

La question de la sécurité n’a pas été facile à appréhender. Le DSI rapporte : « Nous ne savions pas quels équipements allaient être connectés à notre réseau. À partir de là, nous avons orienté la sécurité au niveau des services applicatifs et des accès. » Dès lors, les réflexions menées par Cosea résident dans la mise en place de technologies et d’architectures qui permettent de rationaliser et mutualiser les moyens (matériels, opérationnels et organisationnels), d’optimiser l’exploitation par une interface unifiée et des interactions entre systèmes (contrôle d’accès, vidéo, gestion visiteurs…) et pérenniser les investissements. Ces objectifs ont été atteints grâce à la centralisation des fonctions de sécurité et au choix de solutions ouvertes.

Toutefois, pendant le déploiement du projet, Cosea a rencontré quelques difficultés techniques. « Les difficultés majeures survenaient pratiquement à chaque changement de technologie et chaque mise en production, explique Bruno Chiumino. Nous avons donc décidé de procéder aux modifications pendant les week-ends, pour éviter tout impact pour les utilisateurs »

Encourager une « co-construction » collective

Aujourd’hui, les outils collaboratifs permettent à plus de 100 bureaux d’études de travailler simultanément sur le projet impliquant, selon Bruno Chiumino, « une véritable « co-construction » » collective. Les données sont « accessibles à tous, de partout, les processus de validation documentaire accélérés, avec un suivi au plus près des activités des ressources et de la facturation en conséquence aux sociétés d’origine, avec des données sécurisées ». Cosea note aussi la capacité à générer rapidement des dossiers administratifs cartographiques, avec une capacité de pas moins de 10 000 pages de cartographie générées en seulement 24 heures.

Désormais, la fonction de la DSI se concentre sur le maintien de la qualité et de la disponibilité des services. Mais, déjà, quelques évolutions, qui concernent aussi bien la collaboration que l‘accès à l’information, devraient voir le jour, demandées par certains utilisateurs. « À plus long terme, il s’agira de se préoccuper des besoins et des convergences des différents métiers, en particulier la GMAO (maintenance) », conclut Bruno Chiumino, qui vient de remporter le Trophée Oracle des Clubs Utilisateurs 2013 dans la catégorie « Innovation et créativité ».

Surveiller en temps réel plus de 3 000 points de supervision

Au-delà de la GED et du SIG, c’est l’ensemble d’un système d’information centralisé et distribué qu’il est nécessaire de superviser depuis les serveurs hébergés dans les datacenters jusqu’aux routeurs permettant d’accéder au réseau Orange, en passant par la téléphonie sur IP. Il s’agit d’obtenir une visibilité en temps réel du fonctionnement des systèmes et réseaux, d’être alerté en cas de problème, et de bénéficier de mesures de performances ou d’un historique pour l’aide à la décision, si besoin. Alain Vignon, responsable infrastructures au sein de la DSI de Cosea, souligne : « Nous ne pouvons pas nous permettre une rupture du service, car c’est l’arrêt du chantier assuré. Il était donc indispensable de nous doter d’une solution de supervision, pour surveiller la disponibilité et les performances de ces applications. »

Les enjeux sont évidemment critiques : une seule minute d’indisponibilité de la GED entraîne jusqu’à six heures de perte de production opérationnelle. « Nous étions conscients qu’une « simple » solution de monitoring ne se suffirait pas à elle-même, poursuit Alain Vignon. Pour que la supervision soit efficace, nous avions besoin d’une cartographie exhaustive du SI afin de visualiser les liens de dépendance entre les différents équipements. Nous savions également que nous allions devoir régler les paramètres de l’outil, pour ne pas être envahis d’alertes inutiles » En matière de supervision, Exosec, éditeur de solutions de pilotage de la qualité de service du système d’information, a proposé son logiciel POM Monitoring, basé sur l’outil open source Nagios, qui permet au groupement Cosea de superviser les nombreux indicateurs sans se perdre dans les méandres de la configuration.

En matière de supervision, un collaborateur est chargé d’inven­torier, sur Excel, pendant trois mois, l’ensemble des éléments à superviser, selon une nomenclature précise et homogène. « C’est indispensable pour pouvoir disposer d’une vision d’ensemble du système d’information, comprendre les liens de dépendance et hiérarchiser les problèmes en fonction de leur criticité », souligne Alain Vignon. Suite à ce travail préparatoire, POM Monitoring a été installé et configuré, avec l’aide des consultants d’Exosec, en deux jours seulement.

La console graphique de POM Monitoring permet désormais aux trois administrateurs système de surveiller en temps réel plus de 3 100 points de supervision, évolutifs avec l’état d’avan­cement du chantier, afin d’anticiper ou de diagnostiquer rapidement les incidents et dysfonctionnements. Et, en particulier, les problèmes de performance de la bande passante de chaque site, pour permettre aux collaborateurs de consulter, télécharger ou déposer des documents lourds (GED, SIG), communiquer (téléphonie sur IP, visioconférence, messagerie instantanée très utilisées étant donnée l’étendue géographique du chantier) ou encore accéder à des applicatifs en ligne (tels que la bureautique Office 365). En outre, POM Monitoring facilite la résolution d’incidents avec les fournisseurs. Par exemple, certaines alertes ont été paramétrées pour fournir des informations précises à Orange, lors de l’ouverture de tickets de support, afin d’accélérer le diagnostic et la résolution de problèmes réseau. « Tous les sites ne bénéficient pas du même débit réseau, précise Alain Vignon. Les alertes de latence ont donc été adaptées en fonction de ce paramètre, afin de limiter les alertes inutiles. » Autre exemple : POM Monitoring permet, en cas de problème de performance, de faire remonter des informations très précises à IBM, qui infogère la GED et le SIG.

Avec un trafic réseau en hausse, les équipes vont désormais s’attacher à définir les groupes d’utilisateurs opérationnels destinataires des alertes, et à rajouter des points de supervision externes (applications ou données présentes dans le système d’information d’une des sociétés du groupement, et interfacés avec le SI de Cosea). « Ensuite, il s’agira de tenir la cartographie à jour pour maintenir la qualité de la supervision et du service à long terme. », conclut Alain Vignon.

 

 Comment faire pour… Bonne pratique 
Assurer un système applicatif cohérent sans avoir au départ une vision globale des besoins => Chaque application du SI s’y intègre avec un périmètre de fonctionnalité réduit déterminé tout en s’assurant que le SI Cosea ne soit jamais sur le chemin critique du projet.

« Faire ce qu’il faut maintenant, ce dont nous aurons besoin/ce que l’on aimerait plus tard »

Gérer le fait que le SI n’est pas le cœur de métier de Cosea  => Convertir le plus possible de collaborateurs en utilisateurs IT par une conduite du changement appropriée.
Garantir un niveau de service et gérer l’évolution des besoins => Privilégier une organisation en cellules pour gérer plus efficacement les solutions en production et les demandes d’évolutions.
Source : Cosea

 

  Quatre contraintes majeures
Contrainte à prendre en compte   Pour quoi faire ?
 Sécuriser et fiabiliser
  • Assurer un accès permanent aux données nécessaires au déroulement des activités de conception et de construction.
  • Assurer la traçabilité réglementaire des activités de Cosea, notamment en termes de production documentaire.
 Accélérer
  • Permettre une conception en ingénierie concourante (collaboration entre les différents sous-groupements : conception, infrastructures, énergie, superstructures, signalisation et télécoms).
  • Accélérer les processus d’ingénierie système : validation des documents, revues de conception…
 Piloter
  • Assurer un pilotage sur la base de données métiers et d’indicateurs partagés.
  • Assurer une remontée et une diffusion des informations de et vers les équipes terrain disséminées le long d’un tracé de 302 km et dans plus de 30 bases de vie.
 Couvrir les risques projets
  • Accompagner les métiers dans la maîtrise de leurs coûts, qualité, délais.
  • Assurer une pérennité et une transmissibilité des données pour optimiser toute la phase de maintenance (50 ans).
Source : Cosea