Les DSI et le digital : c’est pas gagné

Une partie des dépenses IT échappe à la DSI. La tendance est, semble-t-il, irréversible. En particulier pour les budgets marketing… En 2000, environ 20 % des dépenses IT étaient réalisées en dehors des DSI, proportion qui serait passée à 90 % à la fin de la décennie. C’est du moins ce qu’affirme Gartner. Même si les chiffres peuvent paraître discutables, ils reflètent néanmoins une tendance réelle.

Selon IDC, le digital représente aujourd’hui en moyenne 10 % des budgets marketing (campagnes médias comprises) des entreprises françaises. Cette proportion atteint près de 15 % pour les entreprises ayant plus de 50 000 clients. Mais la DSI ne voit passer que 35 % de ce budget de marketing numérique.

Cette tendance, mise en exergue par IDC, va évidemment persister : « Le marché français des logiciels applicatifs pour les directions marketing atteindra 230 millions d’euros en 2016, détaillent les consultants d’IDC. La croissance viendra d’abord des ventes d’applications en mode SaaS dont le rythme de croissance moyen entre 2012 et 2015 se situera autour de 11,9 %. » Selon le référentiel des pratiques marketing et digitales 2013, publié par l’EBG (Electronic Business Group) et Infosys, entre 2010 et 2012, les budgets marketing on-line ont augmenté de 8 % dans les entreprises françaises alors que, dans le même temps, les budgets off-line ont diminué de 6 %.

Les directions marketing en première ligne pour gérer les données numériques

« Les CMO (chief marketing officers) font face à des évolutions très nettes dans le comportement des clients et à des stratégies et tactiques agressives sur chaque marché », ajoute IDC. Deux domaines clés d’investissement se dégagent. Le premier est la gestion des données clients : intégration de données et contenus nouveaux, conservation dans une optique d’analyse « big data », qualité des données pour améliorer la connaissance client et personnaliser les ciblages… Le second est la gestion du contenu numérique (avènement du « brand management ») et du contenu généré par les utilisateurs /consommateurs, explosion de la vidéo, invention et mobilisation de nouveaux contenus interactifs et ludiques sur des canaux multiples…

« Le CMO se retrouve ainsi en première ligne et bien placé pour s’imposer comme un vecteur de transformation de l’entreprise en « data driven company », explique Cyril Meunier, analyste chez IDC. Il a en effet de plus en plus de cordes à son arc avec des responsabilités accrues en matière de propriété des données client et de gestion des actifs numériques et un rôle de plus en plus évident à jouer dans le domaine de l’e-réputation. »

Ainsi, même si des nuances intéressantes se révèlent en fonction des secteurs d’activité et de taille des bases de données clients. Cyril Meunier ajoute que « les garanties apportées par les canaux les plus matures comme les sites Web et l’e-mailing sont extrêmement solides. Quant aux canaux mobiles et sociaux, ils sont à la fois émergents et incontournables. Les investissements vont s’intensifier en direction d’une interaction client toujours plus subtile, qui prendra en compte l’ensemble des canaux numériques et traditionnels. »

L’étude d’IDC dévoile également que la DSI n’est pas systématiquement associée au choix des solutions de marketing numérique, notamment pour les logiciels en mode SaaS. « Dès lors que les projets sont financés par trois sources budgétaires (le marketing, l’informatique et la direction générale), ces directions se partagent chacune en moyenne un tiers du financement des solutions retenues », précise Cyril Meunier.

Les éditeurs l’ont bien compris et visent de plus en plus les directions marketing. Par exemple, Microstrategy propose son offre Wisdom, base de données de 20 millions de consommateurs dont les profils sont récupérés sur Facebook (avec leur accord), dans des bases de données classiques ou de références produits. « Ce sont des données non structurées dont les entreprises ne disposent pas et qui intéressent les marques pour transformer des « fans » en clients », précise Jean-Pascal Ancelin, DG de Microstrategy France. Les informations sont utilisées à des fins d’analyse sociodémographiques, géographiques, comportementales et d’affinités avec les marques.

Des budgets informatiques limités face à des besoins illimités

Le numérique figure en bonne place sur l’agenda des directions de la relation client. Selon une étude du CXP et de Colorado Conseil, dont les résultats ont été présentés lors du dernier salon Stratégie Client, à Paris, l’usage des nouveaux canaux se développe : « 79 % des directions de la relation client s’attendent à une hausse, voire une forte hausse de l’usage des médias sociaux et 59 % de l’usage des canaux synchrones (chat, Web call back et visio) », précisent les auteurs de l’étude. « Après plus d’une décennie d’investissements modestes, il est temps de reconnaître la nécessité de s’engager dans le e-commerce, la mobilité, le cloud, et les réseaux sociaux, car les budgets informatiques existants ne suffisent pas », complète Mark Raskino, vice-président de Gartner.

Une étude de Gartner révèle également que 52 % des dirigeants affirment avoir défini une stratégie digitale pour leur entreprise. Mais ils devront mettre en place des équipes spécifiques pour préciser ce qu’est réellement une stratégie digitale et comment celle-ci est reliée à la stratégie de l’entreprise. Et cela pourrait se concrétiser par l’émergence de nouvelles fonctions dans l’entreprise tels que les chief data officers ou encore les chief digital officers…

En 2014, 19 % des dirigeants pensent qu’ils auront nommé un chief data officer et en 2017, 17 % auront mis en place un chief digital officer. D’après le cabinet d’études, le rôle du DSI est capital. S’il décide de rester dans l’entreprise au-delà de deux ans, il doit développer la stratégie numérique, la gouvernance de l’information de l’entreprise numérique et l’innovation au sein de son équipe. S’il décide de partir ou bien d’évoluer vers un autre poste, il doit accompagner l’entreprise à former la prochaine génération dans les domaines du digital, de l’exploitation de l’information et de l’innovation.

« Les DSI et les responsables marketing doivent donc travailler ensemble, même si les relations sont quelquefois délicates », conseille Laetitia Pfeiffer, senior manager chez Infosys, qui identifie trois modèles d’organisation possibles : le digital dans la DSI, ou externalisé, ou au sein de la direction marketing, cette dernière configuration étant la plus courante. Le Référentiel des pratiques marketing et digitales 2013, publié par l’EBG (Electronic Business Group) et Infosys aborde cette question des relations entre les DSI et les directions marketing.

Et l’on ne peut pas dire que la perception du rôle des DSI par les directions marketing soit très positive. Par exemple, pour Pascal Defaux, directeur marketing et commercial de Darty.com : « La DSI est transverse au niveau du groupe, avec des équipes dédiées aux BU. Il y a donc un problème de réactivité au global, mais aussi à la DSI où il y a une inertie dans les prises de décision, une proximité avec la DSI serait un plus. » Les auteurs de l’étude de l’EBG mettent en exergue le fait que « l’embouteillage des projets au niveau de la DSI est courant, alors que dans le digital, il faut aller vite, cela génère parfois des frustrations. » Yann Bry, en charge du business digital chez Axa Group, estime, pour sa part, que « à la DSI, il y a beaucoup de donneurs d’ordres, le marketing se heurte à deux difficultés : une grosse partie de l’activité IT est sur du legacy et l’organisation par lignes de métiers rend plus difficile le financement de projets transversaux comme le CRM ».

Même si rien n’est gagné, tout n’est pas perdu ! La DSI a en effet un rôle incontournable (voir encadré), d’autant que l’essentiel du marketing digital repose pour longtemps encore sur des outils de CRM, des sites Web, des outils de gestion de communautés et collaboratifs. Qu’il faut bien un jour ou l’autre intégrer avec le système d’information. Les auteurs du Référentiel des pratiques marketing et digitales recommandent d’ailleurs « d’utiliser la technologie comme moteur de l’innovation »…


Marketing digital : le rôle de la DSI

  • Rencontrer régulièrement la direction marketing.
  • Identifier les processus marketing qui nécessitent une automatisation.
  • Auditer les processus marketing pour identifier leur niveau de maturité et d’intégration avec le système d’information.
  • Garantir de la conformité de la solution.
  • Exercer un droit de véto sur la solution à mettre en place.
  • Établir le leadership sur le planning d’implémentation.
  • Nommer un responsable des projets Web à la DSI.
  • Regrouper les développeurs et les collaborateurs du marketing dans un même espace physique.
  • Créer un comité d’arbitrage et de pilotage pour les projets digitaux.
  • Créer un comité IT qui, en lien avec le marketing, valide les choix des solutions techniques.

Source : d’après EBG et Gartner


Directions métiers et entreprise numérique : quatre profils

Une enquête Opinion Way-Microsoft, réalisée début 2013 dresse une typologie des directions métiers en quatre catégories, selon leurs attitudes vis-à-vis de l’entreprise numérique :

  • Les spectateurs (23 %) travaillent dans des entreprises dont le modèle économique reste assez traditionnel et sont peu technophiles. Ce sont des profils plutôt attentistes, qui sont peu convaincus que le numérique va transformer leurs métiers et le modèle économique de leur entreprise.
  • Les réticents (18 %) travaillent dans des entreprises en avance dans le domaine numérique mais sont peu technophiles. Ce profil fait ressortir une certaine crainte du changement.
  • Les enthousiastes (21 %) travaillent dans des orga­nisations traditionnelles mais s’appuient beaucoup sur les technologies numériques dans leur vie personnelle.
  • Les influenceurs (38 %) font partie d’entreprises où le numérique occupe une place importante et sont eux-mêmes technophiles. Leur vision du numérique est marquée par la recherche du retour sur investissement.