Analyse des besoins : canaliser les exigences

Elaborer un cahier des charges exige un subtil dosage de compétences à la fois techniques, métho­dologiques mais surtout humaines. Et de ne pas se tromper durant la phase-clé : l’analyse des besoins.

Lorsqu’un projet informatique échoue, « on entend souvent dire « c’est la faute de l’informatique », mais, en fait, il convient de dire que, par principe, c’est toujours la faute du métier que le produit informatique devait outiller. » C’est en ces termes que Michel Volle, président d’honneur du Club des maîtres d’ouvrage des systèmes d’information, introduit l’ouvrage d’Yves Constan­tinidis, consultant et informaticien ayant participé à l’élaboration de cahiers de charges sur de nombreux gros projets, qui traite de cette phase si cruciale qu’est l’expression des besoins. Bien souvent, en effet, les différents problèmes que rencontre un projet informatique puisent leur origine dans une mauvaise définition des exigences : la maîtrise d’ouvrage ne savait pas précisément ce qu’elle voulait faire, les priorités n’ont pas été identifiées, les ambiguïtés de vocabulaire levées… Éviter ces difficultés fait partie intégrante du rôle de la maîtrise d’ouvrage déléguée (MOAD) ou assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMOA), une fonction pivot pas toujours bien comprise par les entreprises, malgré son importance.

Une démarche structurée

Dans cet ouvrage, Yves Constantinidis propose « une démarche structurée d’ingénierie des exigences », destinée en premier lieu aux MOAD, consultants, analystes et architectes amenés à intervenir lors des phases d’expression et de gestion des besoins, mais aussi à tout acteur impliqué dans la définition de cahiers des charges. Cette démarche, faisant de l’élaboration du cahier des charges « un projet dans le projet », est plus particulièrement adaptée aux projets de développement complexes ou à ceux portant sur le choix de solutions stratégiques. Néanmoins, elle fourmille de conseils pratiques qui peuvent être mis en œuvre dans d’autres types d’approches, comme les méthodes agiles.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à la méthodologie générale. Elle présente tout d’abord les concepts de la gestion des exigences, puis les enjeux de cette phase, rappelant notamment que le coût d’une erreur lors de l’élaboration des besoins peut être jusqu’à cent fois supérieur si l’erreur est découverte en production que si elle est découverte et corrigée tout de suite. De la même façon, « si le cahier des charges est utilisé pour le choix d’un logiciel « sur étagère », le coût d’un mauvais choix est nettement supérieur au coût d’un bon cahier des charges ».

L’auteur pointe également quelques-uns des risques que peut rencontrer l’analyste chargé de définir les exigences : évolution des exigences non contrôlée, recherche de perfectionnisme ou au contraire manque de détails, méconnaissance des différents profils d’utilisateurs amenés à travailler sur l’application. Il décrit ensuite les compétences et savoir-faire au cœur du métier des AMOA, rappelant qu’il n’existe pas de profil-type.

Ces professionnels occupent en effet un rôle de médiateurs et de négociateurs, à la croisée du métier et de l’informatique. « L’art de poser les bonnes questions » est à la base de leur activité. Ils doivent connaître le métier, les techniques de modélisation, mais aussi les métiers du développement et leurs contraintes. Enfin, une connaissance des technologies existantes, si elle n’est pas obligatoire, évitera néanmoins de « chercher l’impossible là où des solutions toutes prêtes sont sur le marché », et permettra de connaître « les limites imposées par certaines technologies ».

Un chapitre résume ensuite les grandes étapes du cycle de vie des logiciels et les rapports liant l’AMOA et son client, la maîtrise d’ouvrage. Cette partie s’achève par une vue globale de la démarche. Celle-ci ne peut démarrer sans une définition rigoureuse du produit auquel on souhaite aboutir, des objectifs associés et du périmètre du projet, ni sans une identification exhaustive des parties prenantes. Yves Constantinidis rappelle, enfin, que l’élaboration des exigences constituant en soi un projet, celui-ci doit être planifié.

La seconde partie détaille les différentes étapes du développement des exigences : recueil, cas d’utilisation, analyse, traitement des exigences non fonctionnelles (qualité, facilité d’utilisation, « rendement » ou performance, etc.) et des contraintes, spécification, structuration du cahier des charges et validation. L’auteur présente les enjeux de chacune de ces étapes, puis fournit bonnes pratiques, conseils, ainsi que de nombreuses boîtes à outils de techniques et des astuces.

« Il y a un travers dans lequel nous avons tous tendance à tomber : nous n’utilisons que les outils que nous maîtrisons. […] » Pour éviter celui-ci, « il ne faut pas hésiter à expérimenter », préconise l’auteur. Un chapitre insiste sur une technique utilisée tout au long de la démarche : les ateliers de travail.

L’auteur propose ensuite un modèle de processus et fournit des pistes pour améliorer et adapter celui-ci. Cette partie se conclut sur une présentation des différentes stratégies et tactiques pouvant être mises en œuvre pour l’élaboration des besoins, en fonction de la structure et de la culture de l’organisation. Ce qui prime est l’adaptation permanente, « pour affronter une situation complexe et anticiper les changements au lieu de les subir ». Pour cela, l’auteur suggère de garder à l’esprit plusieurs points, parmi lesquels :

  • il n’existe pas d’approche universelle d’expression des besoins ;
  • la meilleure stratégie est celle qui permet de maîtriser l’information recueillie ;
  • la recherche d’un compromis est un exercice permanent ;
  • pour que les objectifs soient atteints, ils doivent s’exprimer en termes concrets et compréhensibles par tous les acteurs ;
  • l’action à elle seule ne remplacera jamais la réflexion ;
  • les échecs nous apprennent autant que les réussites.

Des exigences vivantes

Dans la troisième et dernière partie, Yves Constantinidis s’attache à la vie des exigences, qui peuvent évoluer tout au long du projet et même après. Il faut donc être à même de gérer ces changements, une activité pour laquelle la « discipline est nécessaire et rentable ». Des outils logiciels peuvent s’avérer utiles pour faciliter la gestion du cycle de vie des exigences, mais « attention aux mirages », avertit l’auteur, dans un chapitre précisant ce que les entreprises peuvent attendre de ces solutions et sur quels critères les choisir.

Parmi les bonnes raisons figure la mise en application des bonnes pratiques, la gestion de changements qui interviennent en permanence et le respect de la conformité, qui impose de tracer les changements, même si, comme l’auteur le note avec humour, « on se dit que bientôt, la forêt de la conformité va cacher l’arbre de la fonctionnalité ». Néanmoins, « le gros du travail est intellectuel », et « si les exigences sont mal gérées, un outil n’y fera rien ». Yves Constantinidis rappelle ensuite que la mission de l’analyste ne s’arrête pas à l’élaboration du cahier des charges, mais qu’il intervient aussi lors de l’évaluation des solutions proposées.

Pour celle-ci, il existe différents types d’études dont l’ouvrage donne un aperçu : étude de choix, étude comparative complexe, étude d’opportunité et étude d’intégrabilité et de design. Le livre se conclut sur neuf conseils pratiques issus de l’expérience de l’auteur, qui aident à réussir l’élaboration d’un cahier des charges.

  1. Ayez toujours l’objectif en tête.
  2. Analysez et validez au plus tôt.
  3. Lancez-vous un défi et donnez-vous les moyens de le réussir, en conciliant rigueur et souplesse et sans éluder les vraies difficultés, qui « sont humaines ».
  4. Conciliez concepts et action de terrain, notamment pour les débutants, pour lesquels « il vaut mieux aller lentement ».
  5. Concentrez-vous sur votre livrable : même les documents intermédiaires ne doivent pas être des « documents poubelle ».
  6. Sachez réussir presque à coup sûr, en travaillant dans le bon ordre.
  7. Mettez en avant votre client : « au cours de l’élaboration, votre ego doit rester au vestiaire ».
  8. Perdez un peu de temps pour en gagner beaucoup.
  9. Faites de la définition des besoins un projet en soi.

Expression des besoins pour le SI, guide d’élaboration du cahier des charges, par Yves Constantinidis, préface de Michel Volle. Éditions Eyrolles, 2e édition, 294 pages.