Réussir l’externalisation d’un système d’information RH

Pour les DRH excessivement sollicités en période de crise et contraints d’optimiser la fonction RH, une des voies consiste à externaliser une partie du SIRH. Avec toutefois quelques précautions.

« Chez nous, on outsource fort ! », assène Nicolas Borgel, directeur du SIRH chez Azko Nobel, qui est intervenu sur ce thème lors d’un colloque organisé par le Club DeciDRH le 19 mars 2013. L’industriel, spécialiste des peintures et vernis, emploie 55 000 personnes dans le monde dont 2 200 en France, réparties dans une dizaine de sociétés. Dans le groupe, la gestion des RH s’appuie sur des centres de services partagés (CSP) par pays. En France, le CSP est au service de dix clients, qui disposent chacun d’un ou plusieurs « HR Business Partners » selon leur taille. Ceux-ci sont chargés de travailler sur la mobilité et l’organisation, ainsi que sur le développement de l’engagement et des compétences. Grâce au CSP, ils sont affranchis de la gestion administrative, de la paie, du recrutement et de la gestion des formations.

En matière d’externalisation comme dans tous les domaines du management des systèmes d’information, rappelle Nicolas Borgel, il faut toujours « réfléchir avant d’agir ! ». Ainsi, dans le cadre de telles démarches d’externalisation, le directeur du SIRH évoque différentes questions qui peuvent se poser et auxquelles il faut répondre au préalable : ainsi, au niveau de l’infrastructure, l’entreprise peut avoir investi auparavant, auquel cas il faut se demander que faire des ressources existantes. En termes de développement, si l’entreprise ne dispose pas de ressources techniques en interne, comment juger de l’efficacité du prestataire sans avoir son niveau d’expertise ? « On ne sait pas forcément ce que l’on paye, il peut là aussi y avoir des coûts masqués, avertit Nicolas Borgel. Par exemple, un prestataire qui facture six jours pour une évolution qui aurait demandé une demi-journée en interne. » Enfin, au niveau des processus : s’ils sont matures, l’externalisation est envisageable, mais s’ils restent flous, elle n’est pas forcément pertinente. Azko Nobel a choisi d’externaliser auprès de HR Access le paramétrage, le développement, la plate-forme et l’infrastructure des processus de gestion administrative et de paie, mais de conserver la gestion du service en « insourcing ».

Air Liquide : optimiser vingt systèmes de paie

Chez Air Liquide, spécialiste des gaz pour l’industrie, la santé et l’environnement (50 000 personnes dans le monde dont 11 800 en France), on trouve pas moins d’une vingtaine de systèmes de paie. Il faut dire que les effectifs sont répartis dans près de 60 sociétés allant de 6 à 3 000 salariés… Le groupe est organisé comme « une mosaïque cohérente de structures et de prestataires », reconnaît Alain Delboy, directeur administratif gestion du personnel au sein de la direction des relations et du développement social, qui précise : « Deux domaines évoluent très vite, le système d’information et la paie. » Dans ce contexte, le groupe a choisi de privilégier deux axes stratégiques en matière de gestion des RH : la proximité du besoin et le niveau de service. Pour le premier axe, il s’agit de donner plus d’autonomie aux filiales et de développer une organisation RH par activité métier, tout en mettant en place des outils et des guides au niveau du groupe. Le deuxième axe consiste à rendre un service au plus bas coût, à travers la mise en place de CSP (centres de services partagés), le développement de prestations externalisées et la standardisation des processus.

Au niveau du SIRH, cela se traduit par une répartition des activités entre le groupe, les pays et les prestataires. Le groupe gère par exemple la base mondiale des salariés, la formation et le développement des salariés, ainsi que le recrutement. La France dispose de sa propre gestion de la paie, mutualisée à travers un CSP en cours de déploiement, ainsi que d’un SIRH en développement spécifique. La gestion des dossiers personnels est dématérialisée et externalisée depuis peu (auprès d’Iron Mountain).

 

Vers une réorganisation permanente

Globalement, Hélène Mouiche, analyste senior responsable de l’expertise « Capital humain » chez Markess International, souligne : « Dans cette période économique incertaine, la fonction RH est mise à rude épreuve. Elle doit concilier des missions parfois antinomiques tout en préservant la cohérence sociale et préparant l’entreprise à la sortie de crise : 60 % des DRH français perçoivent une attente de la part de leur direction générale pour une contribution forte de la fonction RH à la performance globale de leur entreprise. » Pour sa part, Olivier Lajous, président du club DeciDRH, directeur du personnel de la marine nationale, élu DRH de l’année 2012, estime : « Les projets d’externalisation répondent généralement à trois grandes attentes : le contrôle des coûts bien sûr, mais aussi une réorientation des investissements là où réside de la valeur, et enfin l’amélioration de la capacité à anticiper les changements. » Selon la dixième édition (novembre 2012) du baromètre RH et transformation, réalisé par CSC en partenariat avec Challenges et TNS-Sofres, les réorganisations restent une préoccupation constante des 182 DRH européens interrogés. En effet, 53 % des répondants ont déclaré devoir transformer en profondeur leur organisation. Dans ce contexte, l’externalisation de certaines fonctions s’avère un levier précieux pour accroître la flexibilité des RH et libérer du temps afin qu’ils puissent accompagner la transformation de leur entreprise. De fait, de plus en plus d’entreprises envisagent d’externaliser tout ou partie d’activités comme la paie, la gestion administrative, le recrutement ou les formations…

Externaliser pour se recentrer sur le cœur de métier

L’externalisation bien menée permet, tout d’abord, de pousser plus loin les gains acquis par l’informatisation de la fonction RH, en l’aidant à se recentrer sur les activités plus stratégiques qui constituent son cœur de métier. Selon le baromètre RH et Transformation de CSC, ces thèmes prioritaires sont notamment la gestion des compétences clés (45 % en 2003, 83 % en 2012), l’amélioration de la mobilité professionnelle (48 % en 2003, 51 % en 2012), l’anticipation des nouvelles organisations du travail (50 % en 2003, 41 % en 2012), ou encore l’amélioration de l’employabilité et de la polyvalence des salariés.

Une démarche d’externalisation permet surtout de faire appel à des compétences spécialisées et de réduire les risques de pertes de compétences liés à des équipes RH internes souvent de petite taille. Elle offre, potentiellement, une meilleure qualité de service, encadrée contractuellement, car « le prestataire a intérêt à ce que cela marche. », assure Bernard Just, directeur associé de l’observatoire SIRH. L’externalisation s’accompagne aussi d’une certaine flexibilité et d’une souplesse d’action, comme le souligne le baromètre de CSC : « Le bilan des SIRH a longtemps été terni par leur manque de flexibilité et leur rapport coût/qualité. Nombre de fonctions RH se sont alors tournées vers des solutions en mode hébergé (Software as a Service) et des outils de niche. » Enfin, elle offre un meilleur contrôle des coûts. « L’entreprise sait ce qu’elle va payer, note Bernard Just, mais à une condition : rester dans ce qui est prévu par le contrat. »

Pour Bernard Just, les choix d’externalisation peuvent intervenir à différents niveaux, selon le type d’expertise et le degré d’intervention du prestataire. Le partenaire peut offrir une expertise purement technique, comme l’hébergement d’applications, ou apporter des services et des compétences métiers, comme dans le cas de l’externalisation de services ou de processus. « Aujourd’hui, poursuit Bernard Just, 80 % des responsables SIRH sont rattachés à la DRH et seuls 20 % dépendent de la DSI : c’est une évolution récente, encore impensable il y a vingt ans. » Pour cette raison, l’externalisation RH concerne en premier lieu le SIRH et les fonctions associées. Si, pour Bernard Just, le cloud computing est « un modèle de déploiement, non de services, dans lequel les organisations perdent la main sur la sécurité », il précise néanmoins : « Il faut examiner de près le SaaS, car il ne s’agit plus seulement d’une application, mais d’une logique de service. Il existe plusieurs modèles, certains prestataires proposant par exemple une montée de version à la carte ou la prise en charge de particularités. » Pour sa part, Christian Sérieys, président de la Commission BPO, European Outsourcing Association (EOA), estime qu’avec le cloud computing « nous sommes au tout début d’une aventure ».

Un dosage de l’autonomie des DRH

Pour la DRH, ces choix impliquent différents niveaux de maîtrise du système RH, avec une autonomie plus ou moins importante. « Si le SIRH est en interne, la DRH est totalement autonome », assure Bernard Just. À une condition néanmoins : ne pas dépendre uniquement des ressources de la DSI pour l’évolution du SIRH. En effet, « même si la gestion d’un SI ne fait pas partie du métier des DRH, celles-ci sont plus efficaces lorsqu’elles disposent de quelques développeurs en interne, capables d’effectuer rapidement de petites adaptations. »

Si la DRH décide d’externaliser uniquement l’exploitation de ses serveurs, dans un modèle de type infogérance, elle conserve la maîtrise de ses applications et la connaissance métier reste en interne. Confier la gestion des applications à travers des modèles de type Tierce Maintenance Applicative (TMA) ou externalisation d’applications implique une moindre autonomie applicative, mais les applications appartiennent encore à l’organisation et la DRH garde la maîtrise des aspects métiers et réglementaires en tant que donneur d’ordres.

Dans le cas de modèles de type SaaS, elle utilise une solution fournie par le prestataire, qui n’appartient pas à l’organisation, mais elle peut néanmoins disposer d’une certaine souplesse sur le processus. Dans le cas du BPO (Business Process Outsourcing), serveurs, applications et processus sont gérés en externe. « Le BPO n’est pas ce que je souhaite à une équipe RH, car elle perd tout son pouvoir », affirme Bernard Just.

La médaille de l’externalisation a donc quelquefois son revers : le premier inconvénient réside dans la perte de maîtrise et de savoir-faire de la fonction RH. Il faut également se méfier « d’éventuelles difficultés relationnelles avec le prestataire », avertit Bernard Just. Les coûts externes sont plus visibles, et, de ce fait, ils peuvent paraître élevés, même si les coûts internes étaient supérieurs, mais en grande partie cachés. Enfin, dans le domaine RH, « tout ne peut pas être externalisé », note Bernard Just, évoquant, par exemple, la gestion d’informations sensibles comme l’attribution des voitures de fonction ou les rémunérations des dirigeants.

Pour Olivier Lajous, le président du club DeciDRH, les projets d’externalisation présentent des risques, « au premier rang desquels la perte de compétences fondamentales, le décalage du prestataire avec la culture de l’entreprise, la mauvaise réversibilité du contrat ou encore des coûts mal estimés qui explosent ». Externaliser une part plus ou moins importante des activités de gestion des RH peut en effet entraîner un changement important dans l’organisation, et comme tout changement, celui-ci peut provoquer des résistances. Les freins sont avant tout culturels : les collaborateurs qui réalisaient auparavant, en interne, les tâches externalisées, craignent de perdre leurs compétences, et leur devenir doit être évoqué (et géré…) en amont.

Il existe aussi un risque de dépendance au prestataire : « Il ne faut pas hésiter à le remettre en concurrence tous les trois ans, même si l’opération est lourde », recommande Bernard Just. Avoir une vision claire des économies réalisables peut également s’avérer difficile. Enfin, dans le domaine RH, la confidentialité des informations peut être un point délicat. « En interne, on sait que les informaticiens peuvent y avoir accès, mais l’entreprise les connaît, alors qu’en externe, on ne sait pas qui peut accéder aux informations sensibles », observe Bernard Just.


Les facteurs clés de succès

En amont du projet :

  • Déterminer les motivations pour externaliser : il peut s’agir, par exemple, de réduire le coût moyen du bulletin de paie, d’encadrer et limiter les risques opérationnels, de pérenniser la connaissance métier…
  • Établir une stratégie RH claire : celle-ci permettra de limiter les compromis du type, « le rapport entre la qualité et le coût de la prestation », aidera à réfléchir au devenir des équipes et à déterminer quels processus sensibles garder en interne. Cette stratégie permettra d’aboutir à un cahier des charges de qualité, nécessaire pour choisir le bon modèle.
  • Identifier avec soin les fonctions externalisables : il est préférable d’éviter d’externaliser ce qui est mal organisé et non maîtrisé. Par exemple, si un processus tel que la paie n’est pas maîtrisé, l’externalisation ne va pas résoudre le problème. Il n’est pas forcément pertinent non plus d’externaliser ce qui fonctionne très bien, « car le retour sur investissement sera faible », précise Alain Delboy, pour qui les meilleurs candidats sont les processus matures mais perfectibles.

En début de projet :

  • Trouver un ou plusieurs « sponsors » « forts » dans l’organisation, nécessaires pour mettre en place certaines ruptures.
  • Mener une évaluation des gains et des pertes qui prend en compte les évolutions à apporter aux solutions, « celles-ci étant souvent un gisement de rentabilité pour les prestataires », selon les mots d’Alain Delboy.

Durant le projet et après :

  • Conserver en interne une équipe disponible, compétente et impliquée pour définir le cahier des charges et gérer la relation: « La taille et les compétences nécessaires sont souvent sous-estimées », a constaté Alain Delboy.
  • Mettre en place un engagement de résultats réciproque, mixant bien les enjeux de l’entreprise et la performance du prestataire. Pour Alain Delboy, il s’agit d’éviter, par exemple, que celle-ci soit mesurée en se basant sur la vitesse de résolution de certains problèmes fréquents, alors que nul ne s’interroge sur les causes à l’origine des problèmes. « Il ne faut pas hésiter à se faire aider par des analystes financiers et des juristes pour définir la performance, les bonus et malus, le maintien du service ou l’arrêt du contrat », estime Olivier Lajous.
  • Prévoir un plan de communication auprès des salariés et des partenaires, pour expliquer ce qui est confié au prestataire et « vendre » les solutions.
  • Mettre en place un pilotage pour suivre l’activité du prestataire : comité de pilotage, tableaux de bord et reporting efficaces, indicateurs de qualité. « Il ne faut pas hésiter à solliciter d’autres clients du prestataire pour se faire une idée des indicateurs », conseille Bernard Just.

Les points de vigilance

Ne pas oublier les demandes ponctuelles hors contrat, « qui peuvent considérablement gonfler la facture si le périmètre du contrat est mal taillé », prévient Bernard Just. Pour Nicolas Borgel, Directeur du SIRH chez Azko Nobel : « Il faut contractualiser avant même de parler d’un nouveau besoin. En effet, dans le cadre de contrats de sous-traitance l’entreprise connaît les coûts récurrents, pas les coûts ponctuels. »

  • Gérer la réversibilité du contrat et la récupération des données.
  • Suivre de près les indicateurs de qualité mis en place.
  • Prévoir les déclarations à la CniL si des fichiers de données sensibles sont confiés au prestataire.
  • Veiller à la durée du contrat : idéalement celui-ci ne doit pas être trop long pour éviter le risque de dépendance de l’entreprise par rapport au prestataire.
  • Ne pas négliger le plan de secours, et vérifier que le prestataire est en mesure de préserver les données et d’assurer les fonctions sensibles comme la paye en cas d’incident.