BoostAerospace : un modèle de collaboration sectorielle

Cinq grands groupes de l’aéronautique ont uni leurs forces pour créer un portail unique afin de fédérer tous leurs sous-traitants. Un exemple de collaboration sectorielle qui réussit à intégrer les contraintes de sécurité.

Pourquoi des entreprises concurrentes ont-elles créé un portail commun, baptisé BoostAeroSpace ? « Parce que nos destins sont liés et cette communauté de destin a une valeur essentielle », résume Jean Ferlus, président de BoostAeroSpace, qui rappelle que dans l’industrie aérospatiale et de défense, 70 % à 80 % de la valeur est produite par la « supply chain ».

Le projet BoostAeroSpace, lancé mi-2008 par cinq grands groupes (Airbus, Dassault Aviation, EADS, Safran, Thales) est devenu une coentreprise fin 2011. Objectif : créer un portail commun, avec des services standardisés et interopérables pour tous les partenaires de l’entreprise étendue. Autrement dit, avec ce hub numérique aéronautique européen, il s’agit de créer le « cloud » sectoriel de l’industrie aéronautique pour « accroître la compétitivité et l’innovation pour l’industrie européenne de l’aéronautique et de la défense ». Et de mettre à la disposition des industriels de toutes tailles (donneurs d’ordres, fournisseurs de rang 1, PME) une plate-forme collaborative mutualisée sécurisée.

Faciliter le partage d’informations et de projets

Dans le monde de l’aéronautique, la collaboration est permanente, notamment dans le cadre du développement de programmes de coopération internationaux. Fluidifier les échanges d’information est donc essentiel. Or, actuellement, la collaboration s’arrête souvent aux fournisseurs de rang 1, les plus importants. Par conséquent, intégrer l’ensemble de la chaîne coûte cher à un donneur d’ordres. Du côté des fournisseurs, se connecter et utiliser autant de systèmes que de clients représente un degré de complexité significatif qui annihile une partie des gains potentiels des portails. Jean Ferlus explique : « Plutôt que mettre en avant des solutions propriétaires, pourquoi ne pas retenir le meilleur de chacun, et construire des services communs mis à la disposition des sous-traitants, qui, eux-mêmes vont pouvoir l’utiliser avec leurs propres sous-traitants ? C’est la philosophie qui a présidé à la naissance de BoostAeroSpace. »Trois services sont actuellement opérationnels, avec pour chacun un fournisseur de services, partenaire stratégique de BoostAeroSpace :

• AirCollab, fourni par Thales Services, pour le partage des documentations et la gestion de projets (tableau de bord, organisation de sous-projets, workflows de validation, planification de e-meetings…). AirCollab compte déjà plus de 2 000 utilisateurs, avec 350 entreprises et une centaine de projets, par exemple : la collaboration entre une université et un industriel de l’aéronautique, un projet d’ingénierie de systèmes entre un avionneur et son sous-systémier, un projet de collaboration entre un avionneur et un spécialiste de l’aménagement des cabines d’avions, ou entre un service d’audit interne et des auditeurs externes. « Bien évidemment ces collaborations avaient lieu avant AirCollab, mais elles se passaient soit par e-mail, avec des limitations, soit par des solutions dont on ne savait pas comment les données étaient hébergées et gérées, poursuit Jean Ferlus. Nous proposons une solution de collaboration dans un environnement sécurisé, contrôlé, de manière à ne pas laisser sans solution les entreprises qui ont besoin de collaborer. »

• AirDesign, fourni par Dassault Systèmes, pour le PLM (Product Lifecycle Management) : maquette numérique collaborative, application PLM en ligne pour PME, services d’échanges entre systèmes PLM hétérogènes… Les premiers déploiements sur AirDesign sont en phase pilote depuis fin 2012. « L’objectif est de faciliter les échanges de données techniques, par exemple des plans, des maquettes 3D, ou des informations de configuration », précise Jean Ferlus. AirDesign ajoute une interopérabilité entre des systèmes PLM hétérogènes, en supprimant des environnements spécifiques à chaque client et en étendant la collaboration à tous les acteurs.

• AirSupply, fourni par SupplyOn, pour la logistique (prévisions de demande, envois de bons de commandes et de livraisons…). Actuellement, douze sociétés ont déployé ou commencent à déployer AirSupply. Près de mille fournisseurs collaborent déjà quotidiennement sur AirSupply. Le service a pour objet par exemple de faciliter la collaboration entre un client et un fournisseur sur les volumes prévisionnels, les ordres et les livraisons de production, avec des ajustements réguliers. « Évidemment, cette relation est privée et nous garantissons l’étanchéité entre les données de chaque industriel, qu’il soit client ou fournisseur, poursuit Jean Ferlus. Les données ne sont accessibles que par ceux qui sont habilités à les consulter ou les gérer. »

La sécurité, pierre angulaire de la collaboration

Une des questions concerne la sécurité, même si les industriels de l’aéronautique collaborent intensivement. « L’externalisation de données sensibles ne va pas de soi, précise Jean Ferlus. Nous avons donc mis en place une SMA (Security Management Authority) qui définit la politique de sécurité, pour constituer un cercle de confiance. »

Cette SMA est formée des RSSI (responsables de la sécurité des systèmes d’information) de chacun des fondateurs : ce sont eux qui définissent les exigences de sécurité à respecter par les fournisseurs de services et les utilisateurs. Concrètement, un service ne peut être ouvert par BoostAeroSpace sans l’aval de la SMA. « Ces principes de sécurité, pierre angulaire de l’initiative BoostAeroSpace, ont été pris en compte dès l’origine du projet, et nous auditons régulièrement leurs applications dans une perspective d’amélioration continue », rappelle Jean Ferlus.

À cela s’ajoute la sécurité liée au mode d’héber­gement : les services AirCollab et AirDesign sont hébergés chez Thales Services. « Cela nous garantit un haut niveau de sécurité pour nos systèmes critiques, assure Jean Ferlus, Thales ayant une stratégie affirmée et claire en matière de cloud, cela nous conforte dans ce choix, d’autant que nous devons toujours savoir où sont stockées et traitées nos données et avoir la possibilité d’auditer à tout moment un hébergeur, ce qui n’est pas possible avec un modèle basé sur le cloud public. En d’autres termes, nous créons un cercle de confiance pour notre communauté de destin.»

BoostAeroSpace, un modèle à suivre ? D’autres secteurs industriels dans lesquels la chaîne de sous-traitance est étendue (l’automobile, le nucléaire, l’industrie navale…) pourraient s’en inspirer. Si les grands industriels européens de ces secteurs se sont intéressés à l’approche des groupes aéronautiques, aucun projet n’est pour l’heure annoncé. BoostAeroSpace conserve toujours sa longueur d’avance…

 

 


Collaboration : les facteurs clés de succès de BoostAeroSpace

  • Créer une structure de gouvernance forte et au plus haut niveau (pendant la phase projet, avancement présenté régulièrement aux PDG).
  • Organiser un financement équilibré entre les fondateurs (investissements à parts égales pour les développements, financement du « triangle de démarrage » au prorata du chiffre d’affaires).
  • Organiser un marketing et une gouvernance communs, avec une structure légère.
  • Créer un « cercle de confiance » entre les parties prenantes.
  • Intégrer la sécurité dès l’origine du projet.
  • Garantir l’étanchéité des informations entre les partenaires.
  • Auditer régulièrement les services.