Maîtriser les projets IT de grande envergure : réalité ou leurre ?

Le taux de réussite des grands projets informatiques reste relativement faible pour de nombreuses raisons : trop coûteux, délai à rallonge ou abandon en cours. Est-il possible de limiter cette hécatombe ?

Une étude menée en 2012 par le BT Centre for Major Programme Management de l’université d’Oxford, en association avec le cabinet de conseil McKinsey, et concernant 5 400 projets informatiques, conclut que le coût des dépassements des projets IT dans le monde s’élèveraient à 66 milliards de dollars par an, soit plus que le PIB du Luxembourg ! En effet, les grands projets informatiques coûtent souvent plus cher que prévu, et peuvent, de ce fait, mettre l’entreprise en péril. Toutefois, les auteurs de l’étude demeurent optimistes : il serait en effet possible de remédier cette situation.

Pourquoi ces projets IT échouent-ils ? Selon les chiffres dévoilés dans l’étude de l’université d’Oxford, plus de 50 % de ces grands projets IT (d’une valeur de plus de 15 millions de dollars) exploseraient leur budget initial (45 %, mais 66 % pour les projets logiciels), autant ne délivreraient pas la valeur escomptée (56 % en moyenne) et 7 % en moyenne, mais 33 % pour les projets logiciels, dépasseraient les délais prévus.

Quatre bonnes pratiques pour doper la performance d’un projet

Toutefois, observent à juste titre les auteurs de l’analyse de ces milliers de projets, la plupart des entreprises survivent malgré ces dépassements de coûts et de calendrier même si des événements imprévisibles à fort impact – plus communément appelés « cygnes noirs » – ont lieu plus souvent que l’on ne pense. Dans ce cas, que doit faire l’entreprise pour que son projet soit livré à temps tout en respectant le budget ?

La clé du succès résiderait dans la maîtrise de quatre pratiques qui, combinées, constitueraient une méthodologie dite de valeur, spécifique aux grands projets informatiques :

  • se concentrer sur la gestion de la stratégie et des parties prenantes, plutôt que sur le budget et le calendrier,
  • maîtriser la technologie et le contenu du projet en sécurisant les talents (internes et externes) qui interviennent,
  • créer des équipes efficaces en alignant leurs « incentives » avec les objectifs globaux des projets,
  • exceller dans les pratiques de gestion de projets, ce qui semble la moindre des choses.

Concrètement, un manquement aux deux premières pratiques impliquerait un dépassement des coûts à hauteur de 50 %, et même un dépassement de 90 %, si les deux dernières préco­nisations ne sont pas respectées.

1. Gérer la stratégie et les collaborateurs

Les chefs de projet gèrent souvent les projets en fonction du budget et du planning, ce qui, en soi, ne garantit en rien le succès. Car pour juger de la réussite d’un projet, il importe de tenir compte de sa valeur stratégique pour l’entreprise, ce qui va bien au-delà des aspects technologiques et organisationnels. Ainsi, en développant un solide business case et en se focalisant sur les objectifs commerciaux et le calendrier, les équipes peuvent éviter les dépassements de coûts. Elles peuvent aussi, par exemple, garantir des temps de réponses plus courts à leurs clients internes, obtenir une meilleure qualité des données pour le marketing, ou encore réduire le nombre de processus manuels.

Les équipes projets peuvent aussi améliorer la façon dont une entreprise gère les relations entre la DSI et les directions métiers, les fournisseurs et les partenaires. Elles s’assurent que le projet s’inscrit dans la stratégie globale de l’entreprise et analysent avec précision le positionnement des collaborateurs qui interviennent dans le cycle du projet. Les chefs de projets peuvent enfin s’engager avec les directions métiers pour aligner les besoins de l’entreprise avec les solutions en cours de développement. Avec un choix judicieux du ou des fournisseurs, de manière à privilégier une approche de type « gagnant-gagnant ».

2. Maîtriser la technologie et les contenus

En s’appuyant sur les bonnes expertises, qu’elles soient internes ou externes, les équipes orchestrent tous les aspects techniques du projet, y compris l’architecture technologique, l’assurance qualité, la migration, le déploiement, et la planification du projet. Selon les auteurs de l’étude, faire appel à des expert de la gestion de projet pourrait doubler la performance, en particulier grâce à leur capacité à interpréter des schémas de données.

3. Constituer des équipes efficaces

Pour améliorer l’efficacité, les équipes projets doivent intégrer une vision commune et une culture de performance, mais aussi partager les processus. Chaque membre de l’équipe doit donc être associé à l’objectif global du projet, ce qui suppose, bien sûr, d’avoir au préalable défini celui-ci. L’alignement avec les objectifs de création de valeur assurera que toutes les étapes critiques de la gestion du projet soient prises et que la communication avec les directions métiers soit claire, fluide, pertinente et précise.

4. Exceller dans les pratiques de gestion de projets

Pour parvenir à une gestion de projet efficace, il s’agit d’établir une gestion disciplinée et de mettre en place des processus de gestion précis, notamment pour intégrer les inévitables évolutions des besoins et les non moins incontournables demandes de changement. C’est tout l’intérêt d’un bureau de gestion de projets (PMO : Project Management Office), qui doit imposer un rythme de production des livrables, de manière à éviter le gaspillage des ressources humaines, techniques et financières.

Quand le « cygne noir » porte malheur…

En règle générale, les entreprises commencent par réaliser un diagnostic pour établir un état des lieux des projets et des programmes, qu’ils soient finalisés, existants (pour identifier les problèmes) ou futurs (pour estimer leur coût réel et la durée). Ce diagnostic permet de faire le point sur la santé d’un projet en tenant compte des quatre bonnes pratiques de création de valeur. Mais pour éviter tout risque d’échec, il est utile d’analyser toutes les possibilités d’évolution d’un projet, avant de le lancer. Vraiment toutes, c’est-à-dire y compris les plus improbables, celles qui relèvent du « cygne noir », les plus dévastatrices… Selon les analyses de l’université d’Oxford, ces événements « improbables » concerneraient finalement pas moins d’un projet sur six !

Concrètement, pour anticiper les risques liés au « cygne noir », il faut pouvoir par exemple répondre aux questions suivantes : l’entreprise peut-elle absorber le fait que son plus grand projet SI dépasse de 400 % ou plus le budget prévu avec seulement 25 % des bénéfices visés finalement atteints ? De même, une entreprise peut-elle survivre si 15 % à 20 % de ses projets SI d’envergure moyenne (pas ceux qui requièrent toute l’attention de direction générale, mais ceux qui sont souvent négligés) dépassent les estimations de coûts de 200 % ? Si les réponses à ces questions sont négatives, il est temps pour les DSI de s’interroger sur les réelles compétences des chefs de projet…

   Les raisons des échecs des projets informatiques
 % de projets concernés  Principale cause  Pourquoi ?
13 %  Objectifs non atteints
  • Objectifs peu clairs
  • Manque d’alignement métier
 9 %  Périmètre du projet
  • Complexité technique
  • Besoins changeants
 8 %  Problèmes de compétences
  • Équipe mal constituée
  • Compétences mal calibrées
11 %  Problèmes d’exécution
  • Échéances irréalistes
  • Planning géré au jour le jour
 6 %  Inconnue
Source : Université d’Oxford, McKinsey.