En mai 2003, Nicholas Carr publie, dans la Harvard Business Review, un article volontairement provocateur : « IT doesn’t Matter ! ». Ce texte fait l’effet d’une bombe dans l’écosystème des technologies de l’information. Nicholas Carr explique en effet que les technologies de l’information sont à leur apogée en matière de généralisation, qu’ils ne constituent plus un élément concurrentiel pour les entreprises et que l’investissement dans les technologies de l’information n’a plus d’importance.
« Ils deviennent invisibles », affirme Nicholas Carr, qui explique que l’évolution des technologies de l’information suit la même tendance que ce que l’on a observé dans le domaine des chemins de fer ou de l’électricité.
Cet argumentaire a pu faire l’effet d’une révolution car il correspond à la pensée, notamment européenne, de bien des dirigeants d’entreprise. Les auteurs du baromètre IDC- Syntec Numérique, publié en 2012, sur la maturité numérique des dirigeants d’entreprises français, notent ainsi que « la perception des dirigeants semble évoluer vers une approche externalisée de l’informatique en adéquation avec les tendances observées sur le marché. » Reconnaissons également qu’un tel discours sied à un ensemble de fournisseurs qui voient, par l’externalisation qu’ils encouragent, le système information s’intégrer durablement dans leur giron.
Poussé à l’extrême, le cloud computing est aujourd’hui l’expression même de cette énergie informatique diffusable partout instantanément, à l’image de la puissance électrique, pour un prix modique à la transaction ou à l’unité, évitant tout investissement technique initial et qui offre un service métier de très haut niveau de qualité. Dix ans après, l’article de Nicholas Carr prend tout son sens !
Pourtant, l’été dernier, il s’est passé un événement qui aurait dû susciter la même effervescence, la même émotion, comme celle qui a agité l’univers des technologies de l’information dix ans plus tôt. Que s’est-il donc passé ? Steve Wozniack, le premier associé de Steve Jobs et co-fondateur d’Apple, a expliqué qu’il entrevoyait « des incidents majeurs pour des sociétés qui se seraient appuyées sur le cloud computing ». Son argumentation relève d’une logique implacable : nous sommes dépossédés de toutes les informations que nous stockons dans les nuages et, plus on transfert de données, plus on perd le contrôle des systèmes d’information.
Ces incidents graves liés au cloud, que prédisent également beaucoup d’observateurs et d’experts avisés de l’évolution des systèmes d’information, constituent des risques bien réels. Ils sont liés, notamment, à la multiplication des applications en mode cloud qui, chacune dans sa spécialité propre, gère des milliers d’utilisateurs, des teraoctets de données et les services, souvent stratégiques, rendus à l’entreprise.
Alors pourquoi Steve Wozniack ne fut-il pas autant entendu et relayé que ne le fut Nicholas Carr ? Pourtant, tous les deux ont formulé des opinions tout aussi porteuses de sens pour le monde des systèmes d’information. Pour l’un, l’espoir d’une réelle rupture dans les modèles historiques d’émergence et de développement des systèmes d’information. Pour l’autre, la perspective d’un chaos pour ces mêmes systèmes d’information.
En réalité, Steve Wozniack n’a pas été entendu probablement pour les mêmes raisons que Nicholas Carr l’a été. Les décideurs perçoivent dans le cloud computing la perspective d’une baisse des coûts de leur informatique et, plus largement, un affaiblissement durable du « pouvoir de la technologie » sur l’entreprise. D’aucuns utiliseraient même l’expression de « dictature technologique »… Ces mêmes décideurs plébiscitent le cloud computing comme un eldorado libérateur leur permettant de s’affranchir de la DSI.
C’est aussi dans le prix à payer que se situe la réponse à la question qui nous préoccupe. L’un de mes clients m’a dit un jour : « Je n’ai pas les moyens de me payer du gratuit ! » Il parlait bien sûr de l’Open Source. Mais il en est de même avec le cloud computing, si l’on considère le « transfert de risques » de l’entreprise vers un tiers, la réversibilité, l’intégration dans le système d’information, ou encore le le BPaaS (Business Process as a Service) qui constitue la forme ultime du fameux BPO (Business Process Outsourcing).
Qui, de Nicholas Carr ou de Steve Wozniak, aura vu juste ? Il ne faudra probablement pas attendre dix ans pour le savoir. En attendant, nous voyons beaucoup de DSI à même d’accompagner le mouvement du cloud, de contribuer à créer de la valeur pour leurs clients internes et de garantir au quotidien la qualité de service pour offrir « plus que de l’informatique » à leur sponsor !
Cet article a été écrit par François Koehl, Directeur associé d’Advese.