La division Granulats et Bétons du groupe Lafarge a transformé les modes de circulation de l’information avec un outil de partage des connaissances, dont le déploiement s’accompagne d’un effort significatif en matière de communication.
Einstein a aussi réussi à abattre les pyramides. Il ne s’agit pas du scientifique, ni des monuments égyptiens, mais du système de partage des connaissances mis en œuvre par le Groupe Lafarge, pour sa division A&C (Aggregates & Concrete, granulats et bétons), qui compte 25 000 personnes réparties dans 28 pays. « Dans les organisations pyramidales, pour que l’information circule entre plusieurs points du bas de la pyramide, elle doit souvent passer par le haut, et dans les 28 pays où nous sommes présents, il faut gravir 28 pyramides…, observe Jean-Luc Abelin, Knowledge Manager de la division Granulats et Bétons. le principe qui a guidé la mise en œuvre de notre système de gestion des connaissances est d’abattre les pyramides pour placer tous les collaborateurs au même niveau. »
Lafarge A&C s’est fixé plusieurs objectifs : « Améliorer la performance, conserver et enrichir notre savoir-faire, accélérer le transfert des best practices, réduire les délais de mise en œuvre », résume Jean-Luc Abelin. Et identifier les best practices locales pouvant devenir des standards pour l’ensemble de la division : « Si on réussit, par exemple, à économiser ne serait-ce que dix centimes d’euro par tonne de béton, cela représente un volume financier significatif au niveau du groupe », précise Jean-Luc Abelin.
Concrètement, « il s’agit de stocker, structurer et organiser notre savoir-faire, de supprimer les frontières géographiques et hiérarchiques, de faciliter l’ajout de nouveaux contenus et l’accès quelle que soit la langue, d’améliorer la confiance des utilisateurs envers ces contenus, de partager des documents confidentiels au sein de communautés. »
De multiples freins potentiels
Cette approche passe par la création d’un réseau de partage des connaissances, animé par 25 knowledge managers, eux-mêmes épaulés par des managers de communautés, soit, au total 600 personnes. « Le partage de connaissances est un état d’esprit, estime Jean-Luc Abelin. Notre travail est de faire évoluer les comportements et éliminer les freins et les multiples points de blocage. »
Et les points de blocage ne manquent pas : la barrière linguistique, l’accès à l’outil, le manque de temps, les sentiments d’infériorité ou de supériorité, le manque de confiance dans les contenus. « Sans parler du simple manque d’envie ou des syndromes du « ici, c’est différent » ou du « ça ne vient pas de chez nous » », ajoute Jean-Luc Abelin.
Le projet s’est également appuyé sur un certain nombre de principes, de bon sens, mais qu’il n’est jamais inutile de rappeler afin de faire évoluer les comportements et renforcer les messages lors des opérations de communication. « Nous sommes partis de quelques vérités simples, liste Jean-Luc Abelin. Telles que : ne pas réinventer la roue ; le partage commence près de chez soi ; la connaissance n’a pas de frontière ; nous sommes tous experts dans notre domaine ; le partage est un travail au quotidien ; tout ce qui n’est pas partagé est perdu. »
Ces réflexes n’ont rien de naturel, notamment pour les collaborateurs français : « Nous sommes confrontés à un problème culturel dans la mesure où on nous a toujours appris à l’école de ne pas copier sur son voisin alors qu’en matière de partage de connaissances, il faut évidemment faire l’inverse ! », souligne Jean-Luc Abelin.
En matière d’outils (c’est Knowledge Plaza qui a été retenu), plusieurs prérequis ont été définis, en particulier une intégration dans l’intranet existant, la possibilité de transférer quelque 2 500 bonnes pratiques existantes avec les métadonnées, un moteur de recherche puissant, une facilité d’ajout ou de modification de documents, une interface et un moteur multilingue, une gestion individuelle des profils, le management de communautés, des possibilités d’interactions interpersonnelles et des outils d’animations. Il a fallu huit mois pour définir les besoins et élaborer le cahier des charges, et quatre mois supplémentaires pour la mise en place de l’outil, finalisée en septembre 2011.
Des mécanismes d’incitation à la collaboration
La mise en œuvre d’un outil de partage des connaissances n’est évidemment pas suffisante. C’est avant tout la qualité de la communication autour de l’outil qui est déterminante. « C’est le fil rouge de toute initiative dans ce domaine et la communication occupe la moitié de mon temps », précise Jean-Luc Abelin. La communication a été différenciée selon que les collaborateurs sont plutôt des « Takers » (qui consomment l’information) ou des « Givers » (qui contribuent à la création des connaissances).
Pour les premiers, « on insiste avant tout sur l’atteinte des objectifs individuels et collectifs, la réduction des délais, l’amélioration des connaissances sans oublier une pression du management », détaille Jean-Luc Abelin. Pour les seconds, il s’agira davantage de mettre l’accent sur l’altruisme, la reconnaissance individuelle et collective, la visibilité ou encore la fierté de contribuer au partage des connaissances.
Dans sa stratégie de communication, le groupe Lafarge a utilisé les newsletters (trois à quatre par mois qui expliquent notamment les fonctionnalités de l’outil, à quoi il sert et comment s’en servir), des posters en huit langues et le relais de l’intranet, sur lequel sont mis en avant les bonnes pratiques et les contributeurs.
À cela s’ajoutent des formations. Aux opérations classiques de communication, les équipes de Lafarge ont aussi imaginé des dispositifs plus incitatifs, dont une chasse au trésor, pour accroître l’usage des moteurs de recherche. Mais Jean-Luc Abelin déplore : « Environ 65 % des documents ouverts le sont à travers les newsletters, et les moteurs de recherche sont encore peu utilisés. »
Pendant trois semaines, des questions, des indices et un accompagnement sont proposés afin d’améliorer la maîtrise des mécanismes de recherche puis, les trois semaines suivantes, il faut trouver des réponses à des questions, en utilisant les moteurs de recherche, le but étant de vérifier les acquis, avec, à la clé, des lots à gagner (dix vrais Louis d’or).
« Pour un budget cadeaux de 4 000 euros, nous avons séduit 500 utilisateurs supplémentaires, le retour sur investissement est clair », précise Jean-Luc Abelin. De même, chaque action dans le système Einstein rapporte des points, par exemple en fonction du nombre de contributions, de documents ouverts, du degré de remplissage des profils, de l’ajout de tags, du nombre d’abonnements ou de documents partagés… « Régulièrement, l’auteur de la meilleure pratique est récompensé, par exemple pour la contribution la mieux notée, la plus consultée ou la plus téléchargée… », explique Jean-Luc Abelin.
L’auteur et la best practice sont mis en avant dans la newsletter qui est envoyée à l’ensemble des collaborateurs. « La best practice peut même devenir un standard pour le groupe et porter le nom de son créateur », précise Jean-Luc Abelin. De même, chaque année sont nommés et récompensés les meilleures best practices et les meilleurs transferts de connaissances, dans plusieurs domaines considérés comme stratégiques : la santé, la réduction des coûts, la performance et l’approche clients.
Les lauréats sont sélectionnés par un jury parmi les bonnes pratiques les mieux notées par les utilisateurs. « La récompense est un voyage dans une autre entité du groupe ayant la même problématique où les gagnants présentent leurs cas », précise Jean-Luc Abelin.
Résultat : en cinq mois, Einstein, avec plus de 3 500 utilisateurs, est devenu un outil de référence. « Nous avons réussi à reconquérir 60 % des utilisateurs de l’ancien outil basé sur Lotus Notes », note Jean-Luc Abelin. La soumission des best practices a augmenté de 25 % et le nombre moyen de documents consultés a bondi de 35 %. « Et les managers, dont les noms et photos sont visibles sur Einstein, donnent l’exemple et deviennent leaders d’opinion, c’est un véritable changement », ajoute Jean-Luc Abelin, qui prévoit, à terme, de diffuser des newsletters spécifiques par métier. « Mais il nous faudra une masse critique d’au moins 6 000 utilisateurs », précise Jean-Luc Abelin, que ses collègues ont surnommé Einstein. Comme il se doit…