Comment accompagner un service amené à se développer dans une DSI ? Dans le cadre du Programme Executive « Management des Systèmes d’Information » de l’École de Management des Systèmes d’information (EMSI), une des trois écoles de Grenoble École de Management, cinq étudiants se sont penchés sur cette question à travers un cas concret, proposant un modèle d’organisation et des préconisations pour l’organisation, la gestion de projets, la mutualisation des connaissances et la conduite du changement (*).
La DSI d’une institution publique doit réorganiser un service de sept personnes amené à s’étendre. Il s’agit d’intégrer au moins quatre personnes supplémentaires, issues d’autres services, tout en préservant l’agilité de l’organisation actuelle et son esprit d’innovation.
Situation de départ : un besoin de formalisation
Les sept membres de l’équipe existante sont fortement responsabilisés. Les relations sont basées sur la confiance et la motivation dépend avant tout de l’intérêt des projets confiés aux employés. L’équipe a deux managers, qui seuls ont une vue transversale des projets. Ceux-ci sont menés principalement selon des méthodes agiles.
Dans le même temps, la DSI s’apprête à se restructurer et demande de plus en plus à être informée de l’avancement des projets. Le reporting s’effectue de manière informelle, les équipes manquent de visibilité et le partage d’informations est jugé insuffisant. Les déplacements sont limités à trois ou quatre par an, et les échanges avec les intervenants sur d’autres sites passent principalement par le téléphone, la messagerie instantanée et la visioconférence. Le travail à distance est un facteur d’inquiétudes et de tensions pour l’équipe.
Plusieurs axes d’amélioration ont été identifiés : la capitalisation des connaissances, la diminution du nombre de plates-formes de développement utilisées, le suivi de projet et, enfin, la formalisation des échanges, qui reposent majoritairement sur l’oral. Le développement du service implique également une évolution des modes de travail, tant pour les managers, qui devront davantage structurer l’information, que pour le reste des collaborateurs, qui vont devoir travailler pour différentes maîtrises d’ouvrage. Enfin, cela suppose de repenser le travail collaboratif.
Organisation : s’inspirer des modèles biologiques
L’organisation proposée est un modèle inspiré de la biologie, dans lequel les individus sont regroupés en cellules de taille variable en fonction des besoins. Il n’y a pas de notion d’appartenance à une cellule. Les deux managers ne sont pas non plus rattachés à une cellule spécifique, ils supervisent l’ensemble et servent de repères aux autres employés. Ceci peut impliquer des relations de type accompagnement (coaching) entre les membres des cellules et leurs responsables.
Gestion de projets : vers un modèle fédéral
L’ensemble des projets et produits sur lesquels travaille le service doivent être gérés de manière fédératrice. Tous les membres de l’équipe doivent pouvoir accéder à un système commun qui leur permet d’effectuer les tâches suivantes :
- enregistrer idées et demandes émises par les clients ;
- transformer des idées en projets/produits ;
- distribuer les projets entre cellules et individus selon différents critères ;
- visualiser l’ensemble du portefeuille de projets ;
- suivre l’avancement du projet ;
- aider ou se faire aider en cas de difficultés sur un projet ;
- tenir informés les clients de l’avancement de leurs demandes ;
- informer la DSI à travers un reporting régulier.
Ce système a pour but de mieux planifier les activités futures. Il sert notamment de support au processus de création des projets, ainsi qu’au processus de revue des développements, nécessaire pour mettre à jour le statut des projets et pour identifier d’éventuels points de blocage.
- Le système ne doit pas être utilisé pour évaluer la performance d’une cellule ou d’un individu, car il risquerait alors d’être mis à jour avec des données ne reflétant pas la réalité.
- Il faut faire particulièrement attention à traiter les différents collaborateurs de la même manière, quel que soit leur rôle, afin que chacun s’implique au mieux.
Communautés de pratiques : mutualiser les connaissances
Les communautés de pratique sont des groupes destinés au partage de connaissances, dans le cadre d’intérêts communs. La capacité d’entraide, la complémentarité des connaissances mais également l’aptitude à se faire aider sont des notions clés pour le bon fonctionnement de telles communautés. Elles aident notamment à mutualiser les connaissances, à partager des bonnes pratiques et à résoudre des problèmes.
- Veiller à conserver un lien entre les communautés de pratique et les projets en cours, faute de quoi les communautés risquent de perdre leur intérêt pour les membres.
- Des temps doivent être prévus pour les communautés de pratique.
Trois rôles sont importants pour les communautés de pratiques :
- Il faut tout d’abord un responsable, qui comprend l’intérêt de la communauté, en assure la promotion, la valorise et lui fournit des moyens.
- Il faut ensuite un animateur, chargé de faire vivre la communauté, de coordonner les échanges et de les réguler.
- Enfin, les membres eux-mêmes ont un rôle actif, chacun pouvant prendre des initiatives, solliciter les autres membres ou répondre à leurs demandes.
Conduite du changement : convaincre et soutenir les efforts
Tout changement suscite des résistances plus ou moins marquées. Pour que la mise en place des changements se déroule au mieux et soit profitable à tous, il est donc souhaitable de mettre en place un plan de conduite du changement adapté. Ce plan permet de répondre à différents enjeux :
- Les enjeux économiques : il s’agit de motiver les équipes et de capitaliser sur les expériences passées afin d’améliorer la performance à tous les niveaux.
- Les enjeux sociologiques : le changement peut être mis au service du groupe, ou au contraire nuire à sa cohésion.
- Les enjeux psychologiques : le changement implique le deuil de la situation antérieure, ce qui peut entraîner des mécanismes de résistance chez les individus.
La conduite du changement doit tenir compte de l’organisation en place. Dans le cas étudié, l’équipe a un fonctionnement de type « autoorganisation », ainsi décrit : « C’est une structure très décentralisée. Chacun s’est approprié le projet de l’entreprise. Chacun est capable de s’autoréguler et le rôle du management est de conférer à chaque équipe la plus grande autonomie possible. C’est le principe de la subsidiarité : une tâche n’est faite par le management que si elle n’est pas réalisable dans d’aussi bonnes conditions par l’équipe. L’acceptation du changement est proportionnelle à la conscience que chacun des membres a de sa nécessité. »
Dans ce type de contexte, il convient d’impliquer l’ensemble des membres dans la démarche de changement, notamment :
- en expliquant clairement en quoi le changement est nécessaire ;
- en respectant le principe de subsidiarité, c’est-à-dire que si une action est nécessaire, elle doit être assignée à la plus petite entité capable de la résoudre par elle-même ;
- en prenant soin de conserver l’autonomie de chacun ;
- en faisant participer tous les membres à la création de la nouvelle organisation.
Les auteurs de l’étude ont proposé une démarche axée sur trois actions principales : convaincre, inciter et soutenir les efforts.
Pour chacune de ces trois actions, les auteurs de l’étude ont examiné les huit leviers du changement décrits par Arnaud Tonnelé dans l’ouvrage Stratégie et Pilotage des systèmes d’information (Éditions Dunod) : posture, stratégie, acteur, mobilisation/communication, organisation, compétence, outil, rétribution. Ces leviers permettent de réduire les risques liés aux différentes actions.
Action n° 1 : convaincre par des messages simples et de l’émotion
Pour convaincre, il faut déclencher une véritable prise de conscience, avec une stratégie en trois axes :
1. Communiquer un message simple et une vision d’avenir
Il faut présenter le changement de manière simple, claire et positive. De même, il faut expliquer les raisons du changement, en montrant notamment en quoi ne pas changer est préjudiciable à l’organisation.
La vision de l’avenir doit être efficace, c’est-à-dire imaginable, désirable, faisable, éclairante et facile à communiquer à tous les membres.
La communication en elle-même est importante. Employer un vocabulaire simple, s’appuyer sur des analogies plutôt que de longs discours, utiliser différents canaux, répéter souvent le même message, montrer l’exemple, prendre les devants et privilégier le dialogue aux discours à sens unique permettront de toucher le plus grand nombre.
Enfin, une fois qu’une première vision de l’organisation a été exposée à l’équipe, il est intéressant de faire travailler celle-ci sur cette base, en encourageant les initiatives et la prise de parole.
2. Faire appel aux émotions : sortir de la zone de confort
Il ne suffit pas de démontrer la nécessité de changer, il faut amener les membres de l’équipe à en ressentir le besoin. Cela implique pour les collaborateurs de sortir de leur zone de confort. Les managers ont donc pour rôle de les motiver et de faire appel à leur désir d’apprendre. L’objectif final est de susciter l’adhésion de tous.
Pour cela, il faut tenir compte des acteurs en présence. Il est utile d’identifier les « leaders » naturels, ainsi que les personnes déjà convaincues par le changement pour aider à convaincre les autres. Tenir compte des aspirations et du potentiel de chacun lors de l’assignation des tâches aidera également à motiver l’équipe. Enfin, la responsabilisation des différents acteurs est primordiale.
Les auteurs de l’étude recommandent également aux managers quelques principes de comportement facilitant l’adhésion du groupe :
- faire preuve d’empathie, hors de toute affectivité (sympathie ou antipathie) et de tout jugement moral ;
- être à l’écoute, ce qui implique d’être disponible et de prévoir du temps pour l’échange ;
- observer et discerner ce qui est basé sur des faits et ce qui relève d’opinions, de sentiments, d’intentions ;
- s’adapter aux cibles : équipe déjà en poste et nouveaux arrivants notamment ;
- mobiliser, en fédérant l’équipe et en la légitimant auprès des différents clients métiers ;
- partager la démarche en y associant les différents acteurs dès le début ;
- utiliser l’intelligence de la situation en s’adaptant, en montrant l’exemple, en donnant et en faisant confiance.
3. S’appuyer si nécessaire sur des intervenants extérieurs
L’avis de personnes externes à l’équipe, voire à l’organisation, est considéré comme plus neutre. Pour cette raison, il est plus aisé parfois de faire appel à des intervenants extérieurs pour convaincre de la nécessité du changement.
Organisation : les bonnes pratiques
- Les rôles de type management et accompagnement peuvent être difficiles à concilier pour une même personne et créer des confusions. La mise en place d’un réseau de « coachs » accompagnateurs peut permettre de contourner cette difficulté.
- Le rôle de « coaching » peut être perçu comme une menace pour l’autonomie des salariés. Une réunion d’information ou un intervenant extérieur peuvent aider à éclaircir ambiguïtés et incompréhensions.
- Une attention particulière doit être portée aux individus travaillant à distance.
- Il est également important de prévoir des moments de partage et d’échange à un rythme prédéfini, pour permettre aux différents membres du service de se synchroniser. Cela peut passer par des réunions de service, des communautés de pratiques ou encore des réunions régulières pour le choix des projets.
Action n° 2 : inciter par la vision et la conviction
Inciter consiste à mettre en action le changement, une fois les personnes convaincues. Pour cela, la stratégie de conduite du changement veillera aux trois points suivants :
1. Rappeler en permanence la vision
Si la direction vers laquelle souhaite aller l’organisation est connue grâce à l’étape « convaincre », il faut néanmoins la rappeler régulièrement. Il faut en particulier faire attention aux membres de l’équipe travaillant à distance, qui peuvent se sentir à l’écart de la dynamique de groupe.
2. S’appuyer sur les convaincus
Les personnes concernées par le changement ne s’investissent pas toutes de la même façon. Il est possible de rencontrer des attitudes positives, mais aussi négatives, s’opposant au changement. Enfin, il y a souvent une part importante d’indécis.
Les responsables de la conduite du changement doivent se focaliser sur ces derniers plutôt que de dépenser toute leur énergie à convaincre les opposants.
Pour cela, ils doivent s’appuyer sur les convaincus, en suivant les quatre règles suivantes :
- identifier ses alliés, l’idéal étant d’avoir au moins un allié par site concerné ;
- soutenir ses alliés, en les informant et en les mobilisant ;
- s’appuyer sur ses alliés pour rallier les opposants ;
- accepter que ces derniers rompent l’alliance, des défections étant toujours possibles.
3. Faciliter le passage à l’action
L’action permet de diminuer le stress des personnes concernées par le changement. Celles-ci n’ont plus l’impression de subir, mais deviennent actrices de la transformation. Néanmoins, pour passer à l’action, les personnes doivent y trouver leur intérêt.
Dans l’organisation étudiée, l’autonomie de l’équipe existante est un principe fort de la culture interne. Il convient de préserver ce principe de subsidiarité, en responsabilisant les membres de l’équipe et en évitant d’être trop directif.
Il est préférable de planifier des actions courtes, aux résultats rapides, pour créer et alimenter une dynamique d’action.
Action n° 3 : soutenir les efforts dans la durée
Le changement est réussi quand les nouveaux modes de travail et d’organisation sont devenus des habitudes, au point que nul n’est plus tenté de revenir à l’ancien modèle. L’enjeu est d’éviter l’effet du « feu de paille », où l’enthousiasme du départ retombe faute de carburant. Trois points sont importants dans cette étape :
1. Un accompagnement de proximité
Les managers doivent veiller à adapter leur communication, notamment auprès des personnes en difficulté face au changement. Des rencontres en direct, sur le terrain, leur permettront de constater plus facilement l’existence de problèmes non évoqués.
2. Afficher les résultats
L’évolution de l’organisation doit être visible pour encourager les efforts. Il est essentiel de montrer la progression en mesurant régulièrement le changement et en affichant les résultats intermédiaires. Cela permet de diminuer la tentation du retour aux vieilles habitudes en « calant » le changement, comme illustré par le modèle de la roue de Deming.
3. Célébrer les succès
Les réussites doivent être valorisées, par exemple en prenant du temps pour les présenter à l’équipe. Cette valorisation permet de reconnaître les efforts déjà accomplis et d’une certaine façon, de les rétribuer.
(*) Cet article est basé sur une étude de Rodolphe Barbry (directeur du service Infrastructure dans un groupe industriel), Raphaël Gueneau (chargé de systèmes d’information dans un organisme de formation), Alain Rabier (directeur de programmes chez un constructeur informatique), Françoise Rosado (directeur d’un pôle d’échanges dans un groupe énergétique) et Laurence Wagrez (responsable de projets IT dans une SSII).
Huit outils pour aider à convaincre
- Processus de transition de W. Bridges : démarrer par la fin de l’ancienne ère ; prendre acte du changement ; valoriser le passé et répondre au « pourquoi » du changement ; mettre en œuvre la transition ; associer les personnes aux actions ; présenter un nouveau départ.
- Méthode « smart » : évaluer chaque objectif selon cinq critères : est-il spécifique, mesurable, ambitieux, réaliste, et quelle est sa temporalité ?
- Alignement : les objectifs du changement sont-ils liés à la stratégie de l’organisation/du service ?
- « L’irrationnel, c’est l’autre… » : faire preuve d’empathie pour regarder le monde sous un autre angle que le sien.
- Le syndrome du lampadaire : il s’agit de ne pas regarder uniquement là où c’est éclairé. Faire un pas de côté pour voir la situation sous une autre perspective.
- L’analyse transactionnelle : cette approche mise au point par Eric Berne aide à comprendre les enjeux dans une relation entre deux personnes.
- La courbe de deuil : ce modèle connu décrit comment des personnes confrontées à un changement passent par une phase de choc, de déni, voire de colère, pour ensuite se remettre en question et enfin se remobiliser si l’accompagnement est présent.
- Être bienveillant et implacable dans la gestion d’éventuels conflits : ces deux aspects sont nécessaires, la bienveillance permettant de préserver la confiance et la dignité des différents acteurs, tandis que l’implacabilité va de pair avec la notion de responsabilité.
- Créativité : mettre en place des démarches favorisant la création et les idées nouvelles, par exemple un « brainstorming » dans lequel chacun peut librement rebondir sur les idées des autres.