Ce qui relie un sujet et un objet, ce sont les usages, dont on se doute qu’ils sont toujours complexes, souvent imprévisibles et difficiles à analyser sans que l’on s’y intéresse en profondeur. Georges Epinette, directeur de l’organisation et des systèmes d’information du Groupement des Mousquetaires et directeur général de la STIME, dresse un panorama très complet de la problématique de l’effectivité de l’usage, à la fois pour expliquer les concepts généraux, mais aussi comment ils s’appliquent aux univers numériques et participent à la création de valeur.
On peut distinguer trois types d’usages d’un produit ou d’un service : les fonctionnalités utilisées (avec le principe selon lequel 80 % des individus utilisent 20 % des fonctionnalités de base), utiles (on y fait appel de manière aléatoire) et utilisables, souvent ignorées parce que difficiles d’accès ou trop complexes…
Quant aux fonctionnalités inutilisées, qui proviennent d’une obsolescence ou de mauvaises spécifications, l’auteur remarque quelles « inhibent la plupart du temps l’ergonomie et la convivialité, puisqu’elles embarrassent la fluidité des manipulations et ont un impact sur le rapport coût/fonctionnalités. »
Effectivité de l’usage dans le monde numérique, par Georges Epinette, Cigref, Nuvis, 2011, 287 pages.
D’une manière générale, précise l’auteur, « la destination des usages, notamment et surtout ceux qui se réalisent à travers les objets techniques modernes, peut être imprévisible tant en terme de durée d’adoption (et donc d’apprentissage) que d’instabilité dans la façon de les appréhender ». De fait, un mauvais usage ou un non-usage dépendra des inadéquations entre ce qui était prévu, ce qui s’est réalisé et ce qui est inutilisé, ainsi que du partage des rôles, lorsque par exemple l’utilisateur n’est pas celui qui a conçu ou réalisé le produit ou le service.
Pour l’auteur, un projet numérique orienté usage a plusieurs caractéristiques : la gestion de contenu avec une circulation fluide de l’information, l’universalité de l’offre de service, une ergonomie applicative, une urbanisation et une qualité des services, une gestion du cycle de vie de l’application et la sécurité.
Dans un tel contexte, le DSI doit faire face à deux ruptures : d’une part, un changement d’architecture dans la mesure où un système est d’abord pensé et orienté client, d’autre part un risque de désintermédiation, « notamment à travers les agences Web qui abordent l’entreprise avec des solutions clés en main », estime Georges Epinette, qui invite le lecteur « à se plonger dans les business models de ces agences Web : ils sont à la fois extraordinairement édifiants et captifs ».
L’auteur conseille de recourir à un tableau de bord de la création/destruction de valeur à partir du non-usage, avec la démarche suivante : valoriser les fonctionnalités lors de la conception de l’application, définir des critères d’usage des fonctions afin d’identifier la destruction de valeur, établir un bilan de l’application. Ce tableau « permet de suivre la valeur de coût et la valeur d’usage à laquelle pourrait être ajoutée la valeur d’estime (par rapport à l’image, la reconnaissance, l’innovation ou la motivation du personnel, explique l’auteur, c’est un outil qui a toute sa place dans le pilotage et la justification du SI ».
Pour justifier la valeur des systèmes d’information, Georges Epinette suggère six composants : le capital immatériel, l’approche processus (découpage du SI par activités), les tableaux de bord avec la contribution en valeur financière des applications au travers de leur utilisation par les métiers, la gestion du portefeuille applicatif, le criblage des projets, et la mesure a posteriori, à l’issue de la mise en production du projet, de la pertinence des investissements.
« Cette approche conserve tout son intérêt pour les projets « traditionnels » s’inscrivant dans une planification préalable, nuance l’auteur. Elle est à amender pour les projets numériques où la composante SI n’est pas dominante. » Georges Epinette propose une approche nouvelle à l’égard de la satisfaction des usages, avec la méthode ESOVE (Enquêtes de satisfaction orientées valeur d’effectivité).
« Il s’agit d’une démarche qualité et participative visant à approcher le prix consenti par les clients pour bénéficier d’un produit ou service à travers les processus opérationnels existants. » Esove fait appel à trois types de populations (décideurs, commanditaires et utilisateurs) et combine la connaissance (attentes, besoins, opinions…), la mesure (niveaux de satisfaction, performances…), l’explication (des incompréhensions et des problèmes…), la participation des intervenants à trouver des idées ou des améliorations et la sensibilisation (au changement, au consentement à payer…).
Avec un message clair de l’auteur aux DSI : « Partant du principe qu’il ne faut pas attendre d’être parfait pour faire quelque chose de bien, nous devons tous contribuer à mettre en harmonie l’utilisation des ressources de l’entreprise au juste nécessaire et pour ce qui concerne le DSI au juste « numérique ». Il ne s’agit pas de revenir à l’âge de pierre mais de penser « usage utile » »…