Si on s’en tient à la définition de Jacques Perrin (in Concevoir l’innovation industrielle, CNRS Editions, 2001), une innovation c’est une bonne idée qui trouve son marché.
Cela implique d’une part le fait qu’une innovation n’est ni forcément technique ni forcément une nouveauté (ce qui permet de distinguer innovation et invention) et d’autre part qu’une innovation met en lumière un paradoxe : pour innover il faut se projeter dans l’avenir mais juger de ce que a été innovant ou pas se fait au regard de l’histoire car l’adoption sociologique ne se fait jamais dans l’instant.
Or, le système d’information, qui est, pour simplifier, l’informatique de production d’une entreprise n’est pas intuitivement une source d’innovation. Le système de facturation est l’exemple typique du système d’information d’une entreprise : la chaine de facturation est sensible à plus d’un titre : elle ne doit rien oublier, être d’une fiabilité à toute épreuve et malgré tout rester ouverte aux évolutions et aux idées nouvelles. A priori, rien ne destine la chaine de facturation à l’innovation… et pourtant tout produit ou service innovant devra être facturé aux clients !
On peut transposer cette petite caricature à toutes les composantes du SI d’une entreprise : le CRM, l’ERP, peuvent-ils jouer un rôle dans l’innovation ? Un rôle moteur, bien entendu ? En général l’innovation dans l’entreprise est le fait de la R&D ou du marketing… Le SI, quant à lui est souvent vu comme un centre de coût auquel on donne un objectif de fiabilité. En gros donc, le SI doit être fiable et pas cher. En d’autres termes, rester immobile ! L’antithèse absolue de l’innovation.
Et pourtant… non seulement le SI peut être un moteur d’innovation, mais dans les années à venir, il devra l’être et les chercheurs ou les marketeurs devront travailler avec les informaticiens.
Alors que les spécialistes de l’innovation cherchent à comprendre l’innovation en proposant régulièrement des modèles (pour la petite histoire, le modèle d’innovation actuellement à la mode s’appelle la méthode C-K), les informaticiens appliquent depuis des années des méthodes dites « agiles » de gestion de projet qui ont toutes les caractéristiques des méthodes d’innovation.
Multidisciplinaires et concourantes ces méthodes de gestion de projet font des informaticiens des innovateurs de choix et je pense qu’à l’avenir l’innovation viendra autant de la R&D ou du marketing que de l’informatique. Les innovateurs-informaticiens auront à relever trois défis.
Premier défi : gérer des porosités
Naturellement, le SI d’une entreprise se doit de permettre les échanges avec tel ou tel autre SI. Ce n’est pas de cela qu’il va s’agir mais de toutes ces applications qui aujourd’hui ne sont pas dans le SI et qui demain vont s’y immiscer : il faudra interfacer le CRM et Facebook, le SI des RH et Linked-In, voire, utiliser Twitter comme système d’alerte temps réel. Plus largement ces applications en mode SaaS (Software as a service) qui aujourd’hui ne sont encore que des périphériques du SI : Salesforce est en passe d’entrer dans les moeurs et d’autres suivront, Amazon en tête.
Il va falloir s’habituer à composer avec ces nouveaux acteurs qui sans être totalement internes à l’entreprise n’y sont pas totalement extérieurs non plus. Il ne s’agit plus d’avoir un site web ou une « zone d’échanges » dans une DMZ entre deux firewall mais de pouvoir composer avec ces acteurs externes au coeur même du SI sans forcément mettre en oeuvre toute la boite à outils habituelle de reconnaissance des réseaux (VPN, filtrage d’adresses).
Deuxième défi : gérer les clients
La gestion des utilisateurs internes à l’entreprise est déjà sous contrôle, et depuis longtemps. Après les avoir rendus nomades, le Si de l’entreprise apprend aujourd’hui à composer avec leurs identités électroniques et leur soif de connexion permanente (et pas seulement dans la génération Y !).
Ceux qu’il va s’agir de gérer demain se sont les clients, c’est-à-dire le grand public. Avides de communication et d’informations en temps de plus en plus réel, les clients vont s’immiscer dans le SI. Naturellement aujourd’hui c’est l’internet qui sert de « zone tampon » entre le SI de l’entreprise.
Il est très adapté aux utilisateurs. Mais l’internet des objets arrive à grands pas et un jour il sera nécessaire de pouvoir contrôler un parc de machines clientes. Et là, le mouvement ne se fera plus que de l’extérieur de l’entreprise vers l’intérieur mais également dans l’autre sens… voire, il s’agira sans doute de contrôler des parcs. Cette « petite différence » est essentielle. A
ujourd’hui les opérateurs de télécommunication ont ce savoir-faire (qu’on songe aux parcs de « box » qui ont envahi nos salons : ils sont régulièrement mis à jour). Un industriel de la HiFi ou de l’électroménager devra également l’acquérir.
Troisième défi : gérer l’open data et les métadonnées
Aujourd’hui cantonnées à des domaines très spécifiques (collectivités publiques et gestion documentaire, pour faire simple), ce défi guette toutes les entreprises. Pour le résumer, il va s’agir pour l’entreprise de mettre à disposition des données dans des espaces d’échanges et de permettre à tout un chacun de les utiliser, voire de les enrichir. Naturellement, il faudra traiter la question des formats…. et composer entre les problématiques de normes et de standards.
Pas simple… mais il faudra également traiter la question, plus compliquée du temps réel et du dialogue avec les utilisateurs. Partons d’un cas d’usage : grâce à une application mobile municipale, une collectivité locale peut vouloir donner le nombre de places disponibles dans ses parkings municipaux. C’est légitime et pratique… et cela peut se révéler un cauchemar en matière de SI : le concessionnaire a les données, c’est certain. Où sont-elles ? dans quel applicatif métier, dans quel format ? Il n’a certainement pas été prévu pour être mis à disposition d’une municipalité et encore moins du grand public… et je ne parle pas du seul intérêt réel de ce genre de service : avoir le nombre de places disponibles en temps réel !
Bref, vous l’aurez compris, le système d’information de l’entreprise doit cesser d’être considéré comme un boulet comptable. Face aux défis de l’innovation au service de la valeur-client, le SI d’une entreprise sera l’atout des entreprises innovantes.
Cet article a été écrit par François Druel.