Comment faire face à la révolution numérique dans les médias ? Une des stratégies consiste à privilégier une approche de BPM (Business Process Management).
Les entreprises de médias sont probablement parmi celles qui ont subi les plus profondes transformations au cours de ces dernières années, avec, à la fois, une révolution technologique (la numérisation des contenus), une révolution dans les modes de distribution (le multicanal) et une révolution dans l’univers concurrentiel (Internet, TNT…).
« Auparavant, a expliqué Robert Eusèbe, directeur des systèmes d’information et des moyens numériques d’Arte, lors d’un dîner organisé par DPM Services et IBM avec la participation de Best Practices SI, le modèle était relativement simple : le mode de communication reposait sur trois éléments d’une chaîne : un producteur, un diffuseur et n récepteurs (jusqu’à plusieurs millions), avec une interaction très faible. »
Aujourd’hui, avec Internet et les protocoles IP, « il est possible d’adresser un message à un individu en particulier, en mode push, mais aussi en mode pull, ajoute Robert Eusèbe, le téléspectateur devient acteur de son contenu, il va chercher le message. »
Cette transformation fondamentale des usages dépasse les entreprises de médias. Dans tous les secteurs, la tendance est à la personnalisation des contenus : « Dans le monde des médias, la première étape a été la « délinéarisation » qui a abouti à une première remise en cause de la grille des programmes par le directeur des programmes, qui décidait comment le téléspectateur devait consommer la télévision.
Désormais, il est possible d’aller chercher son programme quand on veut. » Cela remet en cause les rôles de diffuseur et de producteur dans la mesure où n’importe qui peut produire du contenu. Robert Eusèbe explique : « C’est une réelle rupture par rapport au modèle historique des médias : les canaux de diffusion étaient auparavant maîtrisés, nous sommes désormais dans un contexte où l’économie de la mise en relation remplace progressivement l’économie de la production, avec des nouveaux entrants sur le Web. »
Une approche BPM pour fluidifier l’organisation
Dès lors, comment une entreprise de médias peut-elle réagir à cette nouvelle donne, marquée par la nécessité de développer de nouvelles activités, la multiplicité des vecteurs de distribution et des exigences renforcées en matière de diffusion en temps réel ? La refonte des processus a été l’un des axes stratégiques. « Notre système d’information était historiquement construit autour d’une architecture client-serveur, avec un empilement des applications, explique Robert Eusèbe.
Au sein de la DSI, nous avons très vite perçu, vers la moitié des années 2000, qu’il était nécessaire de mettre en place une approche basée sur des composants réutilisables pour de usages différents et des terminaux différents. Il a fallu prendre un virage, l’hétérogénéité des plates-formes est un frein à la réutilisation des composants. »
Des sessions de formation pour les équipes de la DSI ont été organisées pour intégrer ces nouvelles technologies et nouvelles pratiques, avec des apports externes. « Il s’agissait de créer une nouvelle impulsion au niveau de la DSI », résume Robert Eusèbe. Le DSI d’Arte n’a pas privilégié une approche en Big Bang mais, au contraire, une démarche par opportunités pour implémenter la démarche sur les projets.
Les équipes métiers et éditoriales imaginaient des nouvelles activités (par exemple pour la vidéo à la demande, les applications Web…). Robert Eusèbe ajoute : « Nous avons profité de ces projets pour implémenter une démarche processus, sans forcément l’accompagner de grands discours. L’approche a été interne à la DSI et s’est imposée par ses résultats plus que par un discours a priori. »
Points de vigilance, selon le DSI d’Arte : les données de référence. « Il faut identifier les données réutilisables par des équipes multiples et imaginer des fonctions d’administration simples pour assurer la qualité dans le temps », commente Robert Eusèbe.
« Pour les traitements, nous sommes naturellement arrivés à privilégier une démarche BPM. » La démarche BPM chez Arte a été initialisée avec la direction métier qui s’y prêtait le mieux : la direction de la production, en charge d’instruire les dossiers depuis le moment où les projets de programmes sont soumis jusqu’à leur validation éditoriale, et de traiter les aspects juridiques et financiers. « Cette direction rend cohérents et rationalise les programmes, qui étaient naturellement concernés par la complexité nouvelle de nos métiers », précise Robert Eusèbe. La démarche BPM a servi à modéliser les nouveaux processus, avec des outils.
Un outil de dialogue managérial
Quel bilan peut-on aujourd’hui en tirer ? « Avec le BPM, le dialogue entre les maîtrises d’ouvrage et la DSI s’est fluidifié et simplifié », observe Robert Eusèbe, qui a vu l’influence du BPM sur la conception des applications, qui, outre une meilleure collaboration avec les maîtrises d’ouvrage, aboutit à des livrables plus simples. « Auparavant, lorsqu’il fallait implémenter une application, la DSI recevait un cahier des charges de plusieurs dizaines, voire centaines de pages, confié à un consultant qui effectuait le recueil des besoins, le rédigeait et, ensuite, la DSI développait l’application », rappelle Robert Eusèbe.
« La cohésion des données dépendait de l’exhaustivité des contrôles de l’informaticien. Avec le BPM, nous disposons d’un workflow modélisé et optimisé et des applications conçues par rapport à ce workflow, donc avec beaucoup moins de champs de saisie par écran, ce qui simplifie considérablement la formation des utilisateurs et augmente la qualité des données. »
Autrement dit, précise Robert Eusèbe, « si une approche classique par une SOA (Services Oriented Architecture) est adaptée pour gagner en productivité de développement, avec une baisse des coûts et une réduction des délais, une approche BPM est adaptée pour fluidifier les relations entre la DSI et les métiers. »
La preuve par les résultats
Chez Arte, la confiance de la direction générale s’est gagnée par les résultats. « C’est le premier argument : apporter la preuve que ce que l’on prétend est vrai, par les faits, avant de faire des plans à long terme et de mettre en exergue des gains théoriques », assure Robert Eusèbe.
Les informaticiens ont un rôle moteur, et ont bénéficié d’un effort important en formation (trente jours par an pendant trois ans) afin d’optimiser leur performance dans un univers de développement logiciel différent.
En réalité, le BPM ne présente guère de difficultés sur les plans méthodologiques et technologiques. Certes, il faut un minimum d’expertise technique, auquel un accompagnement externe peut parfaitement répondre, mais, souligne Robert Eusèbe, « le plus difficile reste de convaincre les métiers et la direction générale et de susciter l’adhésion ainsi que le partage des objectifs et des enjeux, car l’esprit d’équipe reste un prérequis à toute approche de BPM. »