Secteur public et création de valeur

Un groupe de travail du Cigref, en partenariat avec Capgemini Consulting, a analysé les mécanismes de création de valeur par l’usage du système d’information dans le secteur public.

Une étude conduite en 2009 par les DSI du Cigref et Capgemini Consulting, avait déjà montré que les DSI du secteur public se répartissaient de façon équilibrée entre les trois niveaux de maturité de la création de valeur (utilitaire technologique/centre de services/technologie métier, voir encadré), de la même manière que le secteur privé.

C’est logique, dans la mesure où les enjeux des systèmes d’information entre le secteur public et le privé convergent. Pour Alain Folliet, DSI de la Cnaf, « privé et public partagent un modèle de valeur commun, même si dans le public, le poids du réglementaire est plus important ».

Des enjeux que résument Daniel Urbani, DSI de Pôle emploi : « La maîtrise des dépenses publiques (réduire les dépenses de fonctionnement, mutualiser les compétences…), l’amélioration de l’offre de services (simplifier les démarches, proposer de nouveaux services, améliorer l’accueil…) et l’éclairage des décisions politiques par la valorisation du patrimoine informationnel, le secteur public recèle un énorme potentiel de données. »

Cependant, soulignent les auteurs de l’étude, « si les enjeux et préoccupations rejoignent ceux du secteur privé, si les grands ministères et les organismes sociaux démontrent un professionnalisme certain dans la gouvernance et la conduite des opérations SI, les injonctions paradoxales et les contraintes auxquelles sont confrontées les organisations publiques pèsent sur l’efficacité du système ».

Jérôme Filippini, tout récent responsable de la Disic (direction interministérielle des systèmes d’information et de communication), la DSI de l’État, justifie ainsi la création de son organisation précisément pour prendre en charge ces évolutions paradoxales. « On observe une croissance du nombre des intervenants dans les systèmes d’information, mais, en même temps, on constate un manque de gouvernance, surtout entre ministères.

Par rapport aux trois paliers de maturité définis dans l’étude Cigref-Capgemini, j’aurais tendance à situer la plupart des ministères dans le premier palier de maturité, parfois au début du deuxième, jamais ou très rarement dans le partenariat métiers. » Deuxième paradoxe : un retard dans le pilotage de la valeur. « Nous avons un pilotage très comptable, très administratif, précise Jérôme Filippini. Comptable pour les budgets, administratif pour la ressource humaine, mais une grande difficulté à délivrer des analyses de la valeur décisionnelle. »

Enfin, le troisième paradoxe relève d’une relative contradiction dans le discours entre, d’un côté la e-administration et l’amélioration de la qualité de service et, d’un autre côté, comme le résume Jérôme Filippini : « Le fait que l’on n’en a pas tiré toutes les conséquences sur le back-office. Dans ce contexte, la Disic s’attaque à quatre défis : l’urbanisation fonctionnelle et technique du SI de l’État, la professionnalisation du pilotage de la valeur, la gestion des risques, et la conduite de certaines opérations par la Disic elle-même, par exemple pour les infrastructures et l’hébergement. »

Le chantier s’annonce d’importance. Jean-Baptiste Lebrun, DSI du ministère de l’Économie et des Finances, explique par exemple : « Nos organisations sont verticales, en silos, correspondants à l’organisation par métier, et l’on peut identifier plusieurs nivaux de transversalité : partage d’informations, échanges de meilleures pratiques ou fusion de systèmes d’information. »

D’où, pour Jean-Baptiste Lebrun, deux problèmes : « Comment créer de la transparence alors que prévaut l’opacité et que la connaissance des coûts n’est pas très précise ? Comment dégager des ressources pour investir alors que le retour sur investissement se mesure sur plusieurs années ? Cela revient à augmenter les dépenses à court terme alors que le processus budgétaire n’est pas adapté. »

Cela n’empêche évidemment pas la transformation des systèmes d’information du secteur public, qu’il s’agisse de grands chantiers (par exemple la fusion Assedic-ANPE, le rapprochement Gendarmerie/Police nationale, la création de la direction générale des finances publiques, les impôts en ligne, Chorus…) ou de transformations de moindre envergure (organismes de protection sociale, collectivités locales).

L’étude Cigref-Capgemini recense sept enjeux principaux pour les DSI du secteur public (voir tableau). Pour la gouvernance, quelle que soit l’envergure des projets, « la particularité territoriale du secteur public impose une articulation très fine entre le niveau central et local », note Jacques Bouldoires, DSI du RSI (Régime social des indépendants). La mise en place, avec les donneurs d’ordre de la DSI, d’une « relation partenariale imprégnée de la culture du compromis « intelligent », implique que chacun comprenne le métier de l’autre et s’approprie son champ de contraintes », soulignent les auteurs de l’étude.

Pour les budgets et le pilotage de portefeuille, la tâche est difficile, du fait de l’existence de silos budgétaires, de l’influence du politique, d’un manque de maturité en matière de refacturation et d’un sous-investissement dans beaucoup de domaines.

Les auteurs de l’étude expliquent : « Des dispositions doivent être mises en place, en faisant en sorte de « protéger » les projets dont les métiers ne sont pas les donneurs d’ordres, mais qui peuvent être porteurs de gains significatifs en matière de coûts de maintenance ou en évolutivité accrue du SI : projets de refonte iso-fonctionnelle pour raisons « techniques », projets de convergence applicative dans un contexte post fusion, projets de rationalisation des infrastructures, installation des standards indispensables à l’ouverture des systèmes de manière sécurisée… En effet, le sous-investissement est chronique sur ces projets, qui sont régulièrement repoussés dans les plans. »

Concernant la conduite de projet, les SI du secteur public sont exposés à de nombreux aléas dont les natures et les causalités sont diverses (la tutelle, le politique, les médias, la réglementation…). Côté ressources humaines, « alors que l’informatique est, dans un certain nombre de grands groupes industriels, un point de passage obligé pour les collaborateurs à fort potentiel, le métier informatique, est, historiquement, faiblement valorisé au sein de la fonction publique en termes de gestion de carrière ».

Si le recours à la prestation de service est moins développé dans le secteur public que dans le secteur privé (15 % et 40 % des ressources mobilisées pour le premier, souvent plus de 50 % pour le second), les achats sont certainement l’un des domaines où le secteur public a le plus progressé en maturité. Priscilla Bouvet, chargée de mission Achats au ministère de la Défense, estime pour sa part que « les achats se professionnalisent, d’un acte purement juridique vers la prise en compte des enjeux économiques et une connaissance plus fine des acheteurs, notamment pour identifier les leviers économiques pour les achats récurrents, par exemple à travers des accords-cadres, mais également pour accompagner les équipes projets dans la détection des opportunités, comme nous l’avons fait en au ministère des Finances, par un benchmarking avec le secteur privé et avec des pays étrangers pour rationaliser la bureautique ».

Dans le domaine des architectures, « les systèmes d’information du secteur public sont amenés à gérer des volumes de données considérables et des pics de charge très élevés avec une très grande efficience, estiment les auteurs de l’étude. Dans ces conditions, l’industrialisation de la DSI est un enjeu de premier ordre. »

Enfin, sur le front de l’innovation, si l’association avec les métiers reste incontournable, il demeure que ces derniers « ne sont pas toujours moteurs sur le sujet ou, lorsqu’ils le sont, c’est souvent de manière isolée par rapport au SI, créant dispersions de ressources et de moyens et rendant complexe l’application à plus grande échelle de leurs initiatives ». Renaud Guillemot, DSI de l’Acoss (caisse nationale des Urssaf) l’assure : « Nous aurons réussi lorsque ce seront les métiers qui iront défendre nos budgets auprès des directions générales. »


Les trois niveaux de maturité d’une DSI

  1. Niveau « utilitaire technologique » : la fonction SI est avant tout considérée comme une fonction support. Elle est gouvernée par les coûts. Sa performance est établie à l’aune du taux de disponibilité des applications et infrastructures qu’elle déploie et de la gamme des innovations technologiques qu’elle propose.
  2. Niveau « centre de services » : la fonction SI se positionne en tant que prestataire de service auprès des métiers dans une relation client-fournisseur structurée. Sa performance se mesure à travers les engagements de services qu’elle définit en collaboration avec les opérationnels.
  3. Niveau « technologie métier » : la fonction SI est un partenaire des métiers, voire considérée comme cœur de métier. Elle codéveloppe avec les métiers des services à valeur ajoutée. Elle tend à s’imposer comme un actif de l’entreprise à part entière et un atout concurrentiel majeur.

Les sept enjeux des DSI du secteur public
Enjeux Principes d’action
Gouvernance Construire une relation de confiance et de partenariat avec la direction générale et les directions métiers en ouvrant le jeu vers les directions régionales.
Budget et pilotage de portefeuille Optimiser l’allocation des ressources et préparer l’avenir dans un contexte de mise sous tension budgétaire.
Conduite de projet Être en capacité de piloter des programmes à la mesure de la complexité du secteur public en sachant s’adapter aux aléas.
Ressources humaines Gérer les compétences de la DSI, les ressources humaines et le dialogue social, dans un champ de contrainte particulier au secteur public.
Achats et prestations de services Utiliser le levier de la prestation de services en veillant à conserver maîtrise et autonomie et en s’inscrivant dans le cadre normatif propre au secteur public.
Architectures et gestion des opérations Industrialiser la DSI pour atteindre l’excellence opérationnelle et rationaliser le patrimoine en l’ouvrant aux autres acteurs.
Innovation Investir le champ de l’innovation en dépassant la seule informatique de gestion et en faire une opportunité de montée en valeur.
Source : Cigref, Capgemini Consulting.