Les cinq paradoxes du métier de DSI

L’Observatoire du management des systèmes d’information de Solucom a publié une étude prospective (*) sur les DSI à l’horizon 2015, issue d’entretiens avec un panel de DSI. Ceux-ci sont confrontés à plusieurs paradoxes liés à la personnalisation des services, à la proximité client, aux volumes, à la cohérence du SI et à son ouverture.

« Un rôle plus proche des métiers, moins orienté vers la « production » mais plus vers « l’intégration de services », services qui seront de plus en plus souvent externalisés, avec des modèles de sourcing différents (cloud computing, offshore…). Cette évolution aura bien sûr des conséquences majeures sur les compétences et les métiers de la DSI, avec des mouvements lourds à anticiper en matière de recrutement et de gestion des ressources humaines. » Tel est le portrait du DSI en 2015, résumé par Laurent Bellefin, directeur associé de Solucom.

Plusieurs sujets clés vont figurer sur l’agenda des DSI au cours des quatre prochaines années : d’abord, les tendances actuelles, bien sûr, qui vont persister : standardisation, industrialisation, optimisation du fonctionnement de la DSI, offshore, Web 2.0… Ensuite, l’étude Solucom identifie trois « mouvances incontournables » : la première concerne le Cloud Computing.

Mais « l’apparente simplicité d’accès des solutions du Cloud Computing sera confrontée aux complexités juridiques, d’intégration, de sécurisation et de gouvernance qu’elles impliquent », soulignent les auteurs de l’étude. Deuxième mouvance incontournable : le Green IT : « En 2010, cela se limite à un guide de bonnes pratiques à l’échelle européenne et, en France, à un décret imposant un audit environnemental du système de refroidissement des datacenters dont la puissance dépasse 12 kW. Il est probable que l’on voit apparaître une règlementation plus contraignante d’ici à 2015. »

Troisième tendance forte : la mobilité. « Il apparaît probable que d’ici à 2015, on aura segmenté les usages et que certaines populations auront moins besoin d’un ordinateur que d’un smartphone, assurent les consultants de Solucom. L’arrivée des nouvelles générations de tablettes est à regarder avec prudence »

De fait, les grandes évolutions des usages viennent de cette mobilité. « Le nombre de salariés informatisés dans les entreprises de plus de 500 salariés en Europe qui utilisent un smartphone va passer de 90 millions en 2009 à 160 millions en 2014 », prévoit Stéphane Kzrawczyk, consultant senior chez IDC France.

Ainsi, dès 2013, l’accès mobile à Internet dépassera le fixe en nombre d’utilisateurs. Quant aux tablettes, il s’en est vendu 331 000 unités en 2010, mais 6,6 millions seront commercialisées en 2014, prévoit IDC. Ce qui implique une évolution des réseaux d’entreprise autour d’Internet, poussée par les nouveaux usages : le Web 2.0 et les réseaux sociaux, les « applications stores », les moteurs de recherche (pour gérer le « déluge de données »), l’édition collaborative ou encore la réalité augmentée : « Le besoin d’une meilleure ergonomie chez les métiers très « terrain » (commercial, BTP, transport…) est déjà présent, précise l’étude. Ils désireront aussi obtenir plus d’information en temps réel au sujet de ce qu’ils ont « devant les yeux ». »

Entre ces évolutions des besoins métiers et les inévitables contraintes liées aux organisations, le DSI se trouve au milieu d’un ensemble de paradoxes. Premier paradoxe : l’opposition entre les services sur mesure et la standardisation des moyens. « Les métiers continuent à souhaiter un service sur mesure, notamment parce que leurs fonctions génériques sont maintenant bien informatisées et que le besoin d’informatisation de la partie spécifique de leur activité prend le dessus. Pourtant, les contraintes de coûts, les impératifs de qualité, de sécurité et de flexibilité, contraignent la DSI à standardiser ses moyens. »

Deuxième paradoxe : la proximité client face à l’éloignement des centres de réalisation, contexte dans lequel le DSI doit mettre en œuvre des approches pour pérenniser les relations avec les métiers, même si la tentation de l’offshore ou de l’infogérance est grande. Le troisième paradoxe concerne l’opposition entre, d’un côté, des volumes de plus en plus importants et, d’un autre côté, des budgets sous contraintes. « Pour trouver des marges de manœuvre dans les budgets, il faut démontrer le retour sur investissement, exercice qui a toujours été difficile à porter pour les DSI », expliquent les consultants de Solucom. Un autre paradoxe porte sur la tendance à l’autonomie des métiers face à la nécessité de conserver une certaine cohérence dans le système d’information.

Le risque, pour le DSI, est de se faire court-circuiter par les fournisseurs qui s’adressent directement aux directions métiers, très réceptives à des discours centrés sur la réduction des coûts et l’agilité, avec notamment des offres basées sur le modèle du cloud computing.

« Cela complique la mission de « garant de la cohérence du SI » de la DSI. Ce rôle essentiel présente une image de rigidité qui frustre les métiers, par ailleurs devenus technophiles, au moins à la maison. Ils sont donc très perméables à ces approches directes. » Enfin, un dernier paradoxe concerne l’ouverture du système d’information face aux exigences de sécurité.

« L’épreuve de grand écart ne fait donc que commencer », assurent les auteurs de l’étude. Un grand écart qui peut être réduit par d’habiles stratégies marketing. En 2015, y aura-t-il encore des utilisateurs ? Probablement pas, affirment les consultants de Solucom : « Envisager qu’en 2015 il n’y aura plus d’utilisateurs mais des consommateurs d’informatique n’est peut être pas une idée si absurde. La proximité du consommateur, l’image qu’il se représente d’un produit, la relation continue qu’il entretient avec une marque sont quelques éléments essentiels d’une relation réussie entre une entreprise et ses clients. En 2015, la DSI devra peut-être transposer des pratiques commerciales et de marketing pour réussir à satisfaire ses consommateurs. »


Les aventures mouvementées d’un DSI

Dure, la vie de DSI ? Apparemment oui. Les auteurs de cet ouvrage, écrit sous forme de roman, nous entraînent dans le sillage de leur héros (à tous les sens du terme), Jim Barton, DSI du groupe (fictif) IVK. L’histoire commence alors que l’entreprise essaie de se sortir d’une situation de crise marquée par la baisse de son chiffre d’affaires et de son cours de Bourse.

C’est le nouveau DG qui a nommé Jim Barton au poste de DSI alors qu’il n’a aucune expérience dans les technologies de l’information. Notre DSI va donc apprendre à naviguer dans un monde nouveau pour lui, batailler avec le comité de direction et ses équipes qui ne voient pas ce nouveau venu d’un bon œil. Il devra notamment composer avec un DG très ambitieux et manquant de patience, et son prédécesseur (viré pour manque de charisme) qui avait parié qu’il ne tiendrait pas un an au poste de DSI.

Les auteurs abordent les différentes facettes du métier de DSI : le management d’équipes, les coûts, la valeur du système d’information, le management de projet, la définition des priorités, les situations de crise, la communication, les relations avec les fournisseurs, l’innovation et le management des risques. Le prédécesseur de Jim Barton avait tort de parier sur un échec rapide : Jim Barton s’en sort plutôt bien. Les Américains écrivent toujours des histoires qui finissent bien…

The adventures of an IT Leader, par Robert Austin, Richard Nolan et Shannon O’Donnell, Harvard Business Press, 2009, 314 pages.


Trois questions à Sonia Boittin, directrice associée chez Solucom : « La réalisation de l’informatique sort de l’entreprise »

BPSI  À l’horizon 2015, que va-t-il rester aux DSI ?

Sonia Boittin Le DSI va se recentrer sur les métiers, aura externalisé la technique et une grande partie des développements. Il restera le pilotage, l’intégration, la gouvernance et les relations métiers, ainsi que les compétences en gestion de projet. Le cœur de métier historique de la DSI, c’est la production et le développement d’applications.

Ces activités sont bien maîtrisées, mais de plus en plus externalisables et externalisées. Aussi, cette maîtrise repose de plus en plus sur la propension de la DSI, d’une part, à gérer ses fournisseurs et, d’autre part, à maintenir et faire évoluer les expertises conservées en interne.

BPSI Quelle stratégie les DSI doivent-ils adopter ?

Sonia Boittin Les DSI doivent surtout accompagner ce mouvement, notamment par rapport au Cloud Computing, et éviter que les directions métiers soient en position d’acheter elles-mêmes. Si le DSI n’est pas réactif, on peut anticiper des difficultés pour lui et ses équipes : le risque est en effet significatif que la DSI perde la maîtrise de pans entiers du système d’information, d’autant que beaucoup de processus de l’entreprise sont standardisés, industrialisés, et que l’on peut acquérir des briques technologiques pour les gérer, y compris sous forme d’abonnement.

De fait, le DSI est de plus en plus en concurrence, c’est une évolution majeure de son positionnement. Résultat : le DSI doit, encore plus que par le passé, faire ses preuves et convaincre que les services proposés sont non seulement intéressants mais également compétitifs.

BPSI Est-ce si difficile ?

Sonia Boittin Oui, car souvent les DSI proposent des services qui ne sont pas utilisés et privilégient les plus belles solutions technologiques, avec de la qualité superflue. La recherche de la perfection technique est inhérente au métier d’informaticien. Du fait du recentrage vers le cœur de métier de l’entreprise, la DSI devra passer du statut de producteur de services à celui de gestionnaire de ces services. Les compétences dont elle aura besoin seront donc nécessairement différentes.