Seulement six projets sur dix sont livrés dans les délais prévus, selon une étude de Sciforma Les autres débordent plus ou moins largement. Quelles sont les causes de telles dérives ? Plusieurs membres de la liste de discussion de Best Practices sur LinkedIn, ont proposé leur interprétation.
Le retard dans la livraison des projets systèmes d’information n’est pas nouveau et restera probablement comme une constante du monde des technologies de l’information. « On peut aussi se demander pourquoi tout le monde fait les mêmes constats et personne ne semble avoir trouvé la martingale », s’interroge à juste titre Alain Petter, DSI de centre hospitalier universitaire vaudois.
Michel Ziegler, DSI de Icare (GIE des associations Adef et Adef Résidences), analyse : « Il y a de multiples facteurs d’échec qui, à mon sens, ne peuvent trouver une réponse dans un contrat (même ficelé au prix fort par les meilleurs avocats). Un contrat permettra en effet de régler plus facilement un différent et d’assurer des règles de collaboration pérennes, mais que peut-il face à la difficulté à formuler exhaustivement un besoin, à la qualité des intervenants internes ou externes du projet ? » Heureusement, nous explique Alain Petter, « l’abandon complet d’un projet informatique reste rarissime, une fois qu’il a formellement commencé, il va généralement jusqu’au bout ».
Un biais dans les besoins métiers
Didier Venturini, DSI de la région PACA assure, pour sa part : « Chaque projet donne lieu à une étude d’opportunité. À ce stade, il est possible qu’un projet sur quatre soit en retard, parce qu’il est trop coûteux par rapport à sa valeur ajoutée, qu’il n’entre pas dans les priorités stratégiques, qu’il repose sur des hypothèses trop risquées… Mais, une fois validé, un projet informatique aboutit systématiquement. »
Isabelle Puig, directeur de projet chez GFI Informatique, constate que, « malheureusement, le retard des projets est plus souvent dû à une méconnaissance de ses besoins par le métier qu’à une question budgétaire ». Pourtant, on ne doit pas occulter le fait que la pression sur les coûts puisse aboutir à des biais : « La tendance forte à la réduction des coûts n’entraîne-t-elle pas une sous évaluation systématique des moyens à mettre en œuvre et des délais de réalisation ? », se demande Bruno Despin, directeur des opérations de l’unité opérationnelle « Banque » de Sogeti.
Fadi Gemayel, associé du cabinet de conseil Daylight, dresse le constat suivant : « D’abord, il faudrait s’entendre sur une définition de l’échec ou de la réussite : parle-t-on du processus projet qui a délivré la réponse attendue aux exigences dans les délais et le budget, ou questionne-t-on l’atteinte des objectifs stratégiques tels que définis dans le business case ? L’état de l’art et notre expérience pointent la mauvaise qualité de la préparation des projets comme l’un des facteurs tactiques majeurs d’échec, qu’il s’agisse de la phase d’émergence, ou de contractualisation. De façon plus globale, nous pensons, mais sans preuve scientifique pour le moment, que la qualité du dispositif projet détermine la capacité à le maîtriser, et donc potentiellement à le réussir (au sens processus projet) ».
Pour Fadi Gemayel, « d’autres facteurs, plus stratégiques, relèvent de l’existence, de la mission et des objectifs assignés aux différentes structures, avec par exemple, l’existence ou non d’une direction de l’organisation, confondue ou non avec la DSI, du rôle assigné à la DSI (stratégique ou tactique), ou l’existence d’une unité d’appui aux projets ».
Que faire ? « Le temps de préparation initial est certainement un gage de réussite, préconise Alain Petter. Il nous permet de bien préciser le périmètre et les ressources nécessaires. Le facteur le plus délicat reste le délai, qui est rarement respecté, sauf en cas de changement dans la législation. » Un avis partagé par Didier Venturini : « Il est essentiel, à mon sens, d’investir du temps sur cette étude d’opportunité avec les directions métiers, pour présenter un cadre de décision clair à la DG, avec un engagement des parties concernées pour la conduite et la réussite du projet. »
Michel Ziegler, de son côté, conseille d’identifier les risques, « de les suivre sans complaisance tout au long du projet, avec leurs impacts et probabilité, et d’avoir pour chacun d’eux une solution de contournement. » Alain Petter estime : « Les DSI ont la mission d’aider les métiers à se projeter dans la solution qui sera mise à disposition. Si vous vous êtes déjà retrouvé dans la situation d’un mandant, vous vous êtes sûrement rendu compte que ce n’est pas si facile ! En particulier, le périmètre va changer au fur et à mesure de l’avancement du projet. Notamment, parce que le projet avançant, la solution devient de plus en plus réelle ! Si ces éléments peuvent être traités dans les phases amont, le projet aura beaucoup plus de chances de réussir. »
Fadi Gemayel met en exergue les phases amont des projets : « Ces phases ont une importance capitale dans la « bonne naissance » des projets. Pour être plus précis, nos constats d’échec sur les projets, notamment dans le monde bancaire, sont rarement liés à la raison pour laquelle l’entreprise a lancé le projet. Ils sont surtout liés au « désert organisationnel » qui suit cette décision de lancement ! En effet, une fois la décision prise, l’entreprise se précipite en général et lance sa séquence projet… et même quand un temps « d’initialisation » s’écoule entre la décision politique et le démarrage opérationnel, on va rarement aborder toutes les facettes nécessaires à une bonne séquence d’initialisation. Le résultat est assez souvent un dispositif mal adapté et qui aura toutes les peines du monde à porter correctement le projet… »
Plus généralement, se pose la question de la maturité en matière de gestion de projets. Quant au niveau stratégique, Fadi Gemayel explique : « Il s’agit du niveau de maturité «projet» des décideurs politiques : le projet fait-il ou non partie du cœur de métier ? L’organisation doit-elle mener un projet de temps en temps ou l’activité projet est-elle récurrente ? Toujours sur le plan stratégique, se pose la question du positionnement même du concept de projet par l’échelon politique : est-il bien conscient que c’est LE vecteur de mouvement stratégique d’une organisation ? »
Lorsque ces grandes questions sont réglées, Fadi Gemayel détaille : « On passe à la jonction avec le niveau tactique/organisationnel, avec le pilotage par les délais, l’analyse de la valeur, la protection des processus projet, le pilotage par séquences et l’itération plus ou moins courte… Nous avons constaté sur le terrain que tous ces éléments mis bout à bout au niveau tactique (structure, acteurs, rôles, comitologie, processus) permettent d’encadrer assez efficacement le processus de management des exigences tout le long des projets… »