Transformation du SI de l’AP-HP : pas d’ERP sans gestion du changement

L’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) disposera en 2011 d’un système d’information complètement refondu couvrant toutes les activités de support de l’organisation, autour de deux progiciels (SAP et HR Access). Pour mener à bien ce chantier stratégique, l’AP-HP n’a pas lésiné sur l’accompagnement du changement, a investi dans un centre de compétence et le pilotage des processus, et a peaufiné son approche de la gouvernance des SI.

L’AP-HP (réseau de 37 hôpitaux représentant un million d’hospitalisations par an) est dans la dernière ligne droite de la transformation de son système d’information de gestion, lancée en 2006 et dont le déploiement sera achevé en 2011, autour de deux volets : le premier (baptisé Eifel) couvre les domaines économie, finance, logistique, patrimoine tandis que le second concerne les ressources humaines (la paye, la gestion des statuts et des parcours professionnels de l’ensemble des agents…). Principe : passer de près de 250 applications qui avaient chacune leur rôle de niche, à deux grands progiciels, SAP pour la partie finance et logistique et HR Access pour la partie ressources humaines.

En juillet 2005, Jean-Marc Boulanger, secrétaire général de l’AP-HP, présentait ainsi le volet système d’information du projet stratégique de transformation : « Il s’agit d’abord de remplacer un ensemble d’applications obsolètes, dispersées, non communicantes entre-elles par un système robuste, durable, correspondant à l’état de l’art, commun et fondé sur des standards professionnels reconnus. »

Il s’agissait, entre autres, « d’intégrer les processus financiers, d’éviter les ressaisies et de produire des résultats en temps réel, d’optimiser les achats, la consommation, le processus de commande, les stockages, de piloter la maintenance préventive, d’accompagner les transformations opérationnelles de l’hôpital au plan de la gestion des ressources humaines. »

Dans le cadre de ce plan stratégique de l’AP-HP, la transformation du système d’information a été conçue autour de deux grands pôles : le système d’information patient (système d’information clinique, système de gestion des plateaux médico-techniques, système de stockage et de diffusion de l’image et de traitement de l’information) et le système d’information de gestion, avec des outils de pilotage et un portail. Une transformation qui touche 11 000 personnes et « l’intégralité des fonctions finances, logistique et maintenance, RH et administration, toutes les fonctions support », précise Marie-Anne Clerc, directrice du projet de l’AP-HP pour qui « réorganiser les fonctions de support est un problème majeur que se posent tous les hôpitaux, et un progiciel se révèle très structurant, surtout pour des organisations qui n’ont pas d’expérience globale de cette approche ».

Une telle mutation, qui consiste concrètement à déployer SAP et HR Access en trois ans, introduit plusieurs degrés de complexité. « Celle-ci provient d’abord de la couverture fonctionnelle puisque l’on traite l’intégralité des fonctions de back-office (finance, ressources humaines, logistique…) et une partie front-office (encaissement du patient), avec un support pour l’ensemble, précise Jean-Michel Graillot, directeur informatique et directeur de projet adjoint.

La démarche est ensuite complexe parce que, précisément, on touche à la relation avec les patients, d’où un risque oopérationnel, car on n’est jamais à l’abri de problèmes d’intégration entre le front-office et le back-office. Elle est, enfin, complexe dans la mesure où nous remettons en cause les structures existantes, avec deux centres de compétences, au lieu d’une DSI, par pôle (patient et gestion). »

Comment mener à bien une telle transformation ? L’AP-HP a actionné plusieurs leviers : la création de centres de compétences, la gestion du changement, le pilotage des processus et un dispositif spécifique de gouvernance. La création de centres de compétences constitue un changement plus profond qu’en apparence : d’une part, explique Jean-Michel Graillot, « gérer un tel périmètre impose une stratégie de création de centres de compétences, approche qui casse le modèle MOA-MOE, avec des équipes dédiées à des fonctions (finance, ressources humaines…). »

« Si le mode MOA-MOE convient bien au mode projet ou pour les relations avec les intégrateurs, il n’est guère adapté en mode exploitation d’un PGI », précise Marie-Anne Clerc. D’autre part, dans un centre de compétences, le référentiel constitue un énorme chantier, ne serait-ce que pour rapprocher les flux logistiques des flux de dépenses. « Auparavant, nous n’avions pas, par exemple, de références communes pour les articles gérés par les pharmacies et, pour nos différents établissements, nous pouvions avoir autant de références et de désignations pour un même article », se souvient Marie-Anne Clerc.

Quatre centres de compétences et de services (CCS) ont été créés : pour le domaine « patient » rattaché à la direction de la politique médicale, pour le domaine « gestion » rattaché à la direction des ressources humaines et à la direction économique et financière, le domaine « pilotage » rattaché à la direction générale, et le domaine « travail collaboratif et communication » rattaché à la direction des ressources humaines.

La gestion du changement est donc incontournable. « Pour la construction d’un référentiel commun, il a fallu expliquer et justifier le fait que ce n’est plus aux établissements de gérer la nomenclature, détaille Marie-Anne Clerc. Nous avons adapté un discours pour les responsables des pharmacies et de la logistique afin de leur démontrer la valeur que cela apporte, comment fonctionne le nouveau système et qu’il apporte de la traçabilité. »

Plus généralement, l’introduction d’un progiciel intégré suscite des craintes. « Le PGI peut faire peur car il redéfinit les rôles dans une organisation, avec notamment une refonte profonde des processus ». Un changement qu’il a fallu, là encore, expliquer : « Les chefs d’établissement n’avaient pas une vision stratégique du PGI, explique Marie-Anne Clerc. Nous avons organisé un séminaire pour leur expliquer les changements et les modifications de territoires auxquels ils allaient être confrontés, notamment la forte intervention de la dimension comptable et financière dans leurs outils. Nous nous sommes appuyés sur les retours d’expériences des premiers utilisateurs, des chefs d’établissement et des formateurs relais. Nous avons ainsi pu identifier les points de friction et les manques. Par exemple, cela nous a conduits à adapter et à découper en modules les kits de formation, lorsqu’ils étaient trop axés sur les aspects techniques. »

Un discours adapté à chaque métier

Ce préalable doit être complété par un accompagnement permanent s’articulant avec les clubs métiers (DRH, DAF, logistique, pharmacie) et, au sein du centre de compétences, une équipe dédiée (différente de celle qui assure les formations), assure la liaison avec le terrain. « Il est essentiel de laisser le management s’approprier le projet, et, pour certaines populations, il ne faut pas court-circuiter les strates hiérarchiques.

Il s’agit au contraire d’identifier les niveaux de responsabilité les plus pertinents et de bien communiquer vers le management intermédiaire : celui-ci doit comprendre ce que la transformation lui apporte et ce que cela change au quotidien », confirme Jean-Michel Graillot. Pour chaque catégorie d’utilisateurs (les chefs d’établissement, leurs adjoints, le management intermédiaire et les utilisateurs…), le discours est adapté, « avec un vocabulaire et une terminologie adaptés aux spécificités des métiers », précise Marie-Anne Clerc.

Plus précisément, il s’agit d’expliquer, surtout dans un environnement comme celui de l’AP-HP caractérisé par une forte culture orale, « pourquoi un PGI n’est en rien un outil de centralisation des décisions et de perte de pouvoir et pourquoi les utilisateurs vont conserver leur métier mais avec des outils différents », précise Jean-Michel Graillot.

Qui détaille : « Sur ce plan, la transparence est essentielle et il ne faut pas occulter les points qui posent problème et les dysfonctionnements. Et ne pas oublier que l’outil n’est qu’un support des métiers et doit rester transparent pour l’utilisateurl. »

Le point-clé du changement concerne la refonte des processus. Objectif : présenter les processus dans leur ensemble en situant chaque acteur dans la chaîne des flux, d’où une meilleure compréhension. « C’est le revers de la complexité : il nous faut faire des efforts pour aborder les choses de façon globale, explique Jean-Michel Graillot. Cela nous oblige à raisonner en mode processus, ce qui n’est pas habituel pour des établissements hospitaliers. En « normalisant » l’organisation, cela repositionne les directions fonctionnelles sur leurs missions de définir les normes et les bonnes pratiques, ce qui, quelquefois, avait été oublié. »

Sur ce plan, les contraintes d’un progiciel intégré présentent un avantage : celui, comme le souligne Marie-Anne Clerc, de se poser les bonnes questions, « par exemple, lorsque l’on isole un processus qui concerne une catégorie d’utilisateurs, ce qui permet de délivrer un discours sur mesure et les oblige à poser les questions fondamentales sur leur organisation et leurs modes de travail ».

Une centaine de pilotes de processus ont été identifiés : « Pour avancer, un interlocuteur unique est indispensable, c’est lui qui va convaincre et justifier pourquoi il faut changer, en renvoyant systématiquement son discours à la dimension métier, seule vision qui compte pour l’utilisateur », souligne Jean-Michel Graillot. Depuis septembre 2010, près de 1 600 formateurs relais sont initiés à l’utilisation d’Eifel, à charge pour eux de transmettre leurs connaissances aux 6 000 utilisateurs des vingt-six établissements directement concernés par la mise en service d’Eifel de 2011.

Des contrats de service ont été mis en œuvre avec l’agence technique informatique qui exploite les systèmes. « Nous sommes désormais dans une logique de relation client-fournisseur et c’est évidemment stratégique : si les applications SAP ou HR Access s’arrêtent, toute l’organisation s’arrête », assure Jean-Michel Graillot.

Un tel contrat permet de décrire ce que peut faire le centre de compétences. Il aide également à dimensionner et à positionner le centre en fonction des demandes des utilisateurs « clients », ainsi qu’à définir les droits et les devoirs de chaque partie. Le contrat de service peut ainsi aider à mettre en évidence certains besoins.

« Il est important de bien définir les éléments qui doivent figurer dans les déclarations d’incident, ainsi que les modalités de contact, explique le livre blanc de l’USF. Un processus bien défini et encadré permet aux utilisateurs de mieux comprendre le rôle et le fonctionnement du centre, toute en évitant les plaintes liées aux incompréhensions. »

Le PGI change aussi les modes de gouvernance, ce qui est aussi crucial au vu de l’effort budgétaire. Pour la période 2010-2014, sur 2,2 milliards d’euros d’investissements, le plan stratégique de l’AP-HP n’affecte pas moins de 550 millions d’euros pour le système d’information.

« Outre les engagements de services, nous souhaitons contractualier la mise à disposition des moyens avec les directions fonctionnelles pour étudier avec elles comment se déclinent leurs priorités stratégiques dans le système d’information : cela leur demande de réfléchir à ce qu’elles veulent faire, explique Marie-Anne Clerc. La démarche de gouvernance nous aide à bien relier le discours et les actions aux projets métiers, à prioriser les besoins et les retours sur investissement. »

Une démarche qui reste complexe et longue : « Il faut gérer la charge de travail, maîtriser des méthodologies d’arbitrage, faire preuve de pédagogie et établir les liens entre les projets stratégiques locaux et les projets centraux », résume Jean-Michel Graillot. Avec un principe clé : « Parier sur l’intelligence des utilisateurs : si on esquive les explications, on le paie un jour ou l’autre… »


Les objectifs du SI de l’AP-HP dans le plan stratégique 2010-2014

  1. Améliorer la prise en charge des patients
  2. Contribuer à l’efficience des fonctions
    administratives et de support
  3. Développer les échanges et le travail collaboratif
  4. Renforcer le pilotage institutionnel du système d’information
  5. Garantir le maintien en condition opérationnelle du système d’information
  6. Sécuriser le système d’information
  7. Renforcer la gouvernance et le pilotage du système d’information

Les grandes missions du centre de compétences

  • La mise à disposition de solutions informatiques selon les procédures normées adaptées aux besoins des différents acteurs.
  • La maintenance corrective et évolutive. Le centre de compétences assure le bon fonctionnement du SI gestion (directions supports), dans toutes ses composantes (applicatives, interfaces, performance, sécurité) et traduit en évolutions applicatives les mises à jour réglementaires souhaitées par les métiers. Il répond aux attentes des utilisateurs et des directions fonctionnelles en évitant le développement dispersé d’évolutions tout en maîtrisant les coûts.
  • La veille technologique. Le centre de compétences identifie les opportunités offertes par les nouvelles technologies et par les évolutions des progiciels utilisés.
  • L’assistance aux directions fonctionnelles (conduite du changement, conseil sur les processus) et aux utilisateurs (formation, support de niveaux 2 et 3).

Source : AP-HP.


Les best practices de l’AP-HP

  • Donner un sens métier au déploiement applicatif et ne pas tomber dans la technicité.
  • Favoriser les contacts terrain et ne pas avoir peur de la confrontation : écouter, accepter les critiques et répondre. • Jouer la carte de la transparence.
  • Disposer d’équipes sspécifiques ayant du recul par rapport aux métiers. Profil privilégié,« des baroudeurs plus que des techniciens ».
  • Se souvenir que les grands intégrateurs ne sont pas toujours outillés pour gérer le changement, il est préférable de faire appel à des cabinets spécialisés.
  • Gérer en interne les aspects écoute et légitimité, mais un apport externe est utile pour les méthodologies.
  • Avoir une gouvernance claire du projet, portée par les métiers : qui fait quoi ? C’est souvent le point faible des projets dans le secteur public. La gouvernance est un prérequis.
  • Savoir qui porte le projet, donc… qui « prend les coups ».
  • Identifier les points de friction et les manques.
  • Laisser le management s’approprier le projet, identifier les bons niveaux de responsabilité pour le management intermédiaire.
  • Cartographier les processus dans leur ensemble en situant chaque acteur dans la chaîne des flux.
  • Privilégier un interlocuteur unique qui va convaincre et justifier pourquoi il faut changer, en renvoyant systématiquement son discours à la dimension métier, seule vision qui compte pour l’utilisateur.
  • Ne pas sous-estimer la complexité de la démarche de gouvernance : il faut gérer la charge de travail, maîtriser des méthodologies d’arbitrage, faire preuve de pédagogie et établir les liens entre les projets stratégiques locaux et les projets centraux.

Le modèle des utilisateurs relais

Les utilisateurs relais, également nommés super-utilisateurs ou utilisateurs clés, sont des utilisateurs formés sur la solution et capables d’apporter un premier niveau d’assistance aux autres utilisateurs, avec lesquels ils travaillent au quotidien. Ce sont également eux qui sont chargés de remonter les demandes au support de niveau 2, quand cela s’avère nécessaire. Ce modèle fonctionne bien dans les organisations de grande taille, mais il peut également convenir également aux petites structures. Le prérequis est de disposer d’utilisateurs volontaires, reconnus par leurs pairs comme des référents métier et possédant la disponibilité nécessaire. Ces super-utilisateurs (qui ont souvent participé activement au processus de formation, voire ont été formateurs eux-mêmes) s’avèrent particulièrement efficaces lors du passage en mode exploitation : en effet, lors de cette phase de démarrage, la plupart des questions concernent des aspects métiers ou de terminologie, pour lesquels le centre de compétences n’est pas le plus pertinent.

source : SAP au sein du service public : retours d’expériences, guide pratique et facteurs clés de succès, Livre blanc USF, 2010.