Deux économistes analysent les spécificités des biens et services numériques. Et mettent en exergue deux caractéristiques majeures : les effets de réseaux et la standardisation.
L’économie numérique et de l’Internet renvoie à l’ensemble des activités économiques et de production, d’intermédiation et de consommation de biens et de services de nature informationnelle ou électronique. Qu’en est-il des biens et services produits dans cette économie numérique ?
C’est l’objectif de cet ouvrage, écrit par deux professeurs d’économie à l’université de Rennes I, de mettre en exergue leurs spécificités, notamment les effets de réseaux et la standardisation. Les effets de réseaux reposent sur l’interdépendance des demandes des agents économiques. « Contrairement à la plupart des biens et services, expliquent les auteurs, les réseaux sont porteurs d’effets externes positifs qui rendent l’usage ou l’adoption d’un réseau d’autant plus attrayant pour les consommateurs que ces derniers sont nombreux à faire le même choix.
Pour la plus grande partie des biens et services, une telle interdépendance n’existe pas. » C’est ce principe qui a fait le succès des réseaux sociaux et des sites communautaires ou, il y a quelques décennies, du téléphone. Il repose sur la loi de Metcalfe (créateur d’Ethernet au début des années 1970), énoncée de la manière suivante : la valeur globale d’un réseau est approximativement proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. Aujourd’hui, de nombreux biens et services, s’ils peuvent être numérisés, sont déjà ou seront consommables à travers les réseaux.
L’évolution des réseaux produit un double effet vertueux. D’une part, elle produit ce que les économistes appellent des « externalités positives directes » dès lors que le nombre de consommateurs d’un réseau croît, ce qui en incite d’autres à consommer.
D’autre part, elle produit des externalités indirectes : « Si plus d’usagers consomment le même service en réseau, ils pourront bénéficier d’une plus grande variété de biens complémentaires, expliquent les auteurs, car les offreurs de ces biens seront incités à investir un marché avec des débouchés non négligeables. »
Du côté de l’offre, l’économie numérique se caractérise par des économies d’échelle : « Les biens et services en réseau sont caractérisés par des coûts fixes élevés, un coût marginal faible et des rendements d’échelle croissants. »
C’est cette spécificité qui explique les stratégies des offreurs, qu’il s’agisse par exemple des opérateurs de télécommunications ou des éditeurs de logiciels : « Les stratégies concurrentielles sur les marchés des biens et services en réseaux sont particulièrement intenses en début de cycle de vie technologique à cause de l’avantage initial qu’elles permettent d’obtenir et qui peut, grâce aux effets de réseau et de rétroaction, se transformer en un avantage définitif. Ainsi, les firmes vont essayer de se constituer le plus rapidement possible une base installée la plus large en pratiquant par exemple des prix promotionnels très bas. »
D’où des stratégies de standardisation pour renforcer ces effets de réseaux et d’économies d’échelle. Les standards peuvent être de facto mis en place par les producteurs de biens et services (par exemple Windows de Microsoft), sectoriels et communs à plusieurs firmes, ou encore issus de normes.
« La conséquence majeure de l’établissement d’un standard, en créant des systèmes proches et substituables, quel que soit le processus emprunté, est que la différenciation est réduite, cela renforce les plus forts. » L’un des enjeux des tendances à la standardisation des offres concerne le contrôle du marché du cloud computing.
Les auteurs avertissent : « Il existe autant de « nuages » qu’il y a de fournisseurs de services. Le risque est donc qu’un client d’un « nuage » soit verrouillé chez un fournisseur et ne puisse transférer ses données vers un autre. » Ils ajoutent : « Choisir des principes d’ouverture et des standards à établir dans le cloud computing naissant pourrait bénéficier à certaines entreprises et nuire à d’autres. »
Qui seraient les gagnants ? « Les start-up et les fournisseurs de services « purs » », ainsi que les plus grands (les IBM, Cisco et les grandes SSII) qui ont intérêt à élargir leurs parts de marché avec l’adoption massive du cloud computing. À l’opposé, « des firmes déjà en place qui ont développé des technologies propriétaires pour répondre aux besoins de leurs clients pourraient être perdantes ». Ce n’est pas pour rien que des entreprises comme Microsoft, Amazon.com ou Google « se sont élevées contre toute tentative de prise de contrôle de l’évolution du cloud computing », rappellent les auteurs.
Économie du numérique et de l’Internet, par Éric Malin et Thierry Pénard, Vuibert, 187 pages.