Lors de l’ Université du système d’information 2010, organisée par Octo et le Boston Consulting Group, Ludovic Cinquin, DG France du cabinet Octo, s’est interrogé sur les causes d’échecs des projets informatiques. La réponse ? Parce qu’ils sont conduits par des humains, sujets à de multiples biais cognitifs.
C’est l’un des mystères les plus profonds de l’informatique : pourquoi les projets informatiques ont-ils tendance à quasi systématiquement échouer ?
On connaît les statistiques, rappelées par Ludovic Cinquin, DG France d’Octo, lors de son intervention à la dernière édition de l’Université du système d’information : un projet sur quatre subit un échec total, un sur trois réussit et le reste présente des dépassements significatifs de charges et de délais. « Ne sommes-nous pas trop humains pour réussir nos projets informatiques ? se demande Ludovic Cinquin. En réalité, nous sommes influençables, irrationnels, prétentieux, oublieux… »
Autrement dit, soumis à des biais cognitifs, sortes de « mauvais câblages » dans le cerveau qui font que l’on a tendance à prendre des décisions irrationnelles. Premier biais : la pensée de groupe. « C’est le mécanisme par lequel un groupe est amené à prendre ou approuver des résolutions qui ne répondent pas au jugement individuel de ses membres », explique Ludovic Cinquin.
En informatique, on connaît des projets dont tout le monde sait dès le démarrage qu’ils n’ont aucune chance d’atteindre les objectifs qui ont été fixés. Autre exemple : l’offshore. « On observe des organisations qui y ont massivement recours alors que tous les membres pris individuellement sont plutôt contre l’offshore », constate Ludovic Cinquin.
Deuxième biais : le biais d’ancrage, qui repose sur le fait que tout chiffre « ancre » une référence inconsciente dans l’esprit de celui qui l’entend. En informatique, c’est le chiffrage initial d’un projet : « Alors que ce chiffrage initial a une probabilité significative d’avoir été réalisé sur un coin de table et dans l’urgence, il va servir de référence à toutes les discussions ultérieures sur le projet », observe Ludovic Cinquin.
Deuxième exemple : le jour-homme. « Il y a une différence d’un à dix entre la qualité, la productivité et l’efficacité d’un développeur, assure Ludovic Cinquin. Pourtant, en France, on subit un ancrage sur ce coût du jour-homme, autour de 500 euros. On pourrait prendre en compte des écarts de 300 à 1 500 euros en reliant le coût et l’efficacité d’un développeur. »
Le biais rétrospectif, troisième effet pervers du cerveau, correspond à la capacité à récrire le passé avec les informations du présent. Ce biais est à l’œuvre chaque fois qu’on entend : « Je vous l’avais bien dit ! ». En informatique, on retrouve le « de toute façon, avec cette technologie ou cette méthodologie, cela ne pouvait pas marcher ! -», ou « la mise en place de méthodologies agiles sur ce projet a bien marché mais c’était un projet facile ».
« Mais pourquoi ne pas le dire avant, que le projet serait facile ? Parce que personne n’en sait rien ! », assène Ludovic Cinquin. Autre biais : celui de supériorité illusoire. « La plupart des gens pensent qu’ils sont supérieurs à la plupart des gens », résume Ludovic Cinquin. Ce biais consiste à se croire plus intelligent, perspicace, précis qu’on ne l’est en réalité.
En informatique, cela se traduit par des plannings et des estimations qui excluent les aléas, « parce que ceux qui les conçoivent pensent qu’ils sont trop forts pour être soumis aux imprévus, constate Ludovic Cinquin. Ce biais se traduit également par une récurrence de grands projets alors que l’on sait parfaitement qu’ils sont quasi systématiquement en échec. N’oublions pas que seulement 2 % des projets de plus de dix millions de dollars sont en succès. Plus un projet est gros, plus l’échec est probable et l’augmentation du risque n’est pas linéaire mais exponentielle. On connaît bien cette règle et l’on continue encore aujourd’hui à lancer ce type de projets, en pensant pouvoir défier les lois des statistiques. »
Que faire ? Ludovic Cinquin propose quatre pistes de solutions. D’abord, adopter une stratégie qui limite la pression négative du groupe : « Celle-ci apparaît lorsqu’un leader donne son avis et que tout le monde l’approuve ». Il est par exemple judicieux de recourir à la méthode du Planning Poker.
Deuxième conseil : toujours écouter les avis divergents qui, souvent, ne disposent pas de canal pour s’exprimer. Troisième recommandation : donner le droit à l’erreur. « Dire qu’un projet ne donne pas le droit à l’erreur n’a pas de sens, car les individus sont codés pour faire des erreurs et ne pas leur octroyer ce droit génère du stress inutile », assure Ludovic Cinquin.
Enfin, il convient d’instituer des boucles de feedback les plus courtes possible, c’est l’un des principes du lean management. « L’idée est de privilégier une démarche de type scientifique pour s’appuyer sur la réalité et sortir des croyances, dogmes et biais : formuler des hypothèses, les tester et réajuster les actions en fonction des résultats », conseille Ludovic Cinquin.