Best Practices Systèmes d’Information a réuni, le 8 juin 2010, une quinzaine de DSI et de directeurs des achats pour échanger sur une problématique stratégique et sensible : les relations contractuelles avec les éditeurs d’ERP. Cette session, animée par Franklin Brousse, avocat spécialisé dans les contrats et les litiges informatiques, a permis d’identifier les bonnes pratiques pour éviter d’être victime de la « machine à broyer du client » que les éditeurs sont parfois tentés de mettre en place.
La conférence-débat organisée par Best Practices SI a été l’occasion de dresser un panorama de ce qu’il possible ou non de faire en matière contractuelle, dans le cadre de projets d’implémentation de progiciels de gestion intégrée (ERP).
Les objectifs de cette conférence-débat étaient de mieux connaître les pratiques des éditeurs et d’échanger sur les expériences respectives des participants, DSI, juristes et directeurs des achats.
Parmi les problématiques qui ont été soulevées par les participants : les relations avec les intégrateurs, le partage des responsabilités, les modalités de paiement des licences, les contraintes des marchés publics, les voies de recours.
Un des points-clés concerne le choix de l’intégrateur, acteur incontournable de tout projet ERP. Faut-il consulter l’éditeur, l’intégrateur, ou les deux en parallèle ? « On achète un résultat, pas une licence d’un côté, et les prestations d’un intégrateur de l’autre », précise Franklin Brousse.
« Lorsque nous avons lancé notre appel d’offres, témoigne l’un des participants, nous avons identifié plusieurs intégrateurs pour analyser avec quelles compétences ils pouvaient répondre, et sur quelle plate-forme logicielle. Nous avons donc d’abord choisi les intégrateurs par rapport à leur capacité à répondre concrètement à nos besoins. »
Identifier les responsabilités
Se pose ensuite le problème de la responsabilité : « C’est l’intégrateur qui assume cette responsabilité et l’on peut conditionner tout ou partie du paiement de la licence à la bonne fin du projet », remarque Franklin Brousse.
Le contrat est donc l’élément fondamental de la relation. « C’est plus intéressant d’écrire son propre contrat puis de le négocier, avec un appui juridique », estime un DSI. D’où l’intérêt de négocier de manière séparée avec l’intégrateur et l’éditeur. Répondant à un autre DSI qui a acquis ses licences directement auprès de l’intégrateur, Franklin Brousse a souligné que cette approche constitue bien souvent un piège : « On obtient beaucoup moins en procédant de cette manière, il faut bien mesurer l’intérêt de ce type de montage. »
Pour un directeur des achats, il reste indispensable de séparer ces volets contractuels : « Nous privilégions la signature séparée d’un contrat de licences, d’un contrat de maintenance et d’un contrat d’intégration. » Quels que soient le montage envisagé et l’approche privilégiée, le DSI doit rester maître du processus : « Les directions métiers sont toujours pressées d’atteindre des résultats, il faut se plier à leurs contraintes, certes, mais il est indispensable que la DSI dispose de l’appui de la direction générale, témoigne un DSI, c’est à elle d’imposer sa méthode de négociation. Ce n’est pas le métier qui a l’éditeur en direct, c’est la DSI, qui doit s’imposer et bénéficier d’un crédit et d’une légitimité en interne. C’est chronophage, mais cela permet de choisir la bonne solution pour le métier, qui est reconnaissant à la DSI. »
Si la DSI joue un rôle central, il est pertinent de se faire accompagner par des juristes (internes ou externes). « Le juriste valide que la DSI signe un contrat intelligent, son rôle ne peut se concevoir que dès le début du projet, témoigne ce DSI. Si le juriste intervient a posteriori, la marge de manœuvre sera plus faible et cela sera moins efficient. Dans notre entreprise, le juriste participe à l’ensemble des négociations [dès qu’elles sont entamées]. » « Nous avons un rôle de conseil mais surtout d’alerte », confirme une juriste venue expliquer sa mission aux côtés du DSI.
« La bonne pratique est d’analyser la situation, d’écrire le contrat puis de négocier, assure un DSI, plus on intègre les juristes en amont, plus ceux-ci s’approprient le contrat. » Pour un autre participant DSI, il convient de distinguer selon les enjeux des projets : « Le juriste reste un technicien et a tendance à devenir puriste, par exemple en appliquant pour les petits contrats la même méthode que pour les plus importants. Cela dit, ne pas associer un juriste sur un projet ERP est le meilleur moyen d’aller dans le mur. »
Prévoir les conditions de sortie
Autre point-clé : les conditions de sortie, si le projet ne se déroule pas comme prévu. Franklin Brousse explique : « Malgré ce qu’affirment les prestataires, rien n’est jamais gagnant-gagnant. Face au prestataire, le DSI doit lui expliquer qu’il lui confie une mission (avec un budget souvent conséquent, de plusieurs millions d’euros pour le déploiement d’un ERP) pour atteindre un résultat, avec des étapes et un échéancier par rapport à ces étapes. Ce n’est pas le problème du DSI si le prestataire consomme 70 % de ce budget pour livrer seulement 50 % du projet. Dans l’échéancier, il est conseillé de veiller à la cohérence entre ce que le prestataire consomme par rapport au résultat attendu. L’entreprise ne doit payer qu’en fonction de l’état d’avancement du projet, cela limite les dégâts en cas de problème et fournit un levier de pression de la DSI sur le prestataire, si ce dernier commence à dériver. Dans un contrat, il faut toujours manier le bâton et la carotte, par exemple pour le respect des délais ou une mise en production avant la date prévue. »
Un bon contrat consiste à créer les conditions d’un rapport de forces qui est favorable au DSI, en cas de dérapage. « Si vous n’avez pas un tel contrat, en cas de problème, aller devant un juge n’est jamais une solution satisfaisante, prévient Franklin Brousse.
Il faut toujours disposer des bons leviers pour « sortir » le prestataire s’il n’est pas performant, par exemple pour obtenir le remboursement du coût des licences. » Deux exemples illustrent l’intérêt d’anticiper : considérons deux cas réels, deux entreprises qui, chacune, ont engagé des projets ERP comparables, d’environ deux millions d’euros. « Dans la première, raconte Franklin Brousse, un mauvais contrat n’avait pas prévu des phases de sortie anticipées et ne gérait pas la relation entre les échéances de paiement et l’état d’avancement du projet.
Dans la seconde, un bon contrat d’intégration prévoyait des portes de sortie et le fait que la licence ne serait pas payée tant que le projet ne serait pas opérationnel. » Les deux projets ont finalement échoué : le premier avec un état d’avancement de 40 %, le second avec un état d’avancement de 30 %.
« Résultat, se souvient Franklin Brousse, la première entreprise a perdu deux millions d’euros, la seconde seulement 300 000 euros. Et c’est quand même plus facile de récupérer 300 000 euros que deux millions auprès de l’intégrateur ! »
Faut-il rédiger une lettre d’intention ?
Par Franklin Brousse, avocat
Les prestataires proposent souvent de signer une lettre d’intention dès lors que la phase d’avant-vente implique des échanges nombreux et des négociations longues et/ou le démarrage de prestations pour répondre aux objectifs de délai du client. Cette démarche n’est évidemment pas anodine et s’inscrit rarement dans l’intérêt exclusif du client.
Chaque fois qu’elle est proposée, la lettre d’intention soulève toujours les mêmes questions : Quel niveau d’engagement représente-t-elle ? N’est-il pas plus simple d’aller directement au contrat ? Quelle forme doit-elle prendre ?
La question essentielle à se poser est celle de la nécessité. En effet, l’expérience montre qu’une lettre d’intention est rarement nécessaire. Seule une commande de matériels et/ou de liens télécoms conditionnant le démarrage d’un projet ou d’une prestation et impliquant des délais de livraison importants peut justifier la signature d’une lettre d’intention.
A contrario, dès qu’il s’agit de définir des accords de principe, des bases de négociations, des points sur lesquels le prestataire et le client se sont déjà entendus, la lettre d’intention est souvent inutile, en tout cas du point de vue du client.
En effet, dans chacune de ces situations, la lettre d’intention n’a que trop souvent pour seul objectif de sécuriser la position du prestataire dans le processus de négociation, par exemple en fixant une date limite de signature d’un contrat et des principes juridiques engageant le client dans le cadre des négociations contractuelles à venir, alors même que le périmètre des prestations et les conditions financières n’ont pas encore été figés.
La signature d’une lettre d’intention implique également trop souvent une perte de temps liée à la négociation forcément longue de dispositions engageantes pour le futur et à la nécessité de prévoir contractuellement les conséquences liées à un éventuel échec des négociations.
Dans ce contexte, une lettre d’intention peut rapidement s’étendre sur plusieurs pages et anticiper sur la plupart des dispositions du futur contrat. La lettre d’intention revient alors à négocier des dispositions majeures du futur contrat et sa négociation prendra autant de temps que celle d’un contrat. C’est pourquoi une lettre d’intention ne doit être négociée et signée que lorsque la situation l’impose.
Dans tous les autres cas, elle est source de perte de temps et de risques juridiques en ce qu’elle formalise des obligations contractuelles dont le non-respect pourra être reproché ultérieurement, notamment dans le contexte d’une rupture des pourparlers où le prestataire chercherait à obtenir par exemple le remboursement des sommes investies en avant-vente. La lettre d’intention constitue donc un outil contractuel à manier avec précaution et dans des cas finalement très limités.