Gouvernance, urbanisation, pilotage, actifs immatériels, compétences, usages du système d’information : ces thématiques sont abordées dans cet ouvrage collectif, dirigé par une équipe d’enseignants de Grenoble école de Management.
La quête pour la création de valeur fait partie de la mission standard des DSI. C’est une question multifacette qui fait intervenir le pilotage, l’alignement, la gouvernance, les ressources et les usages des systèmes d’information. Dans un environnement complexe : « L’informatique est devenue une ressource critique dont la performance dépend de multiples décisions émanant d’une pluralité d’acteurs, dont la coordination et la pertinence ne peuvent résulter de mécanismes spontanés. »
Cette source d’incertitude impose, de fait, un pilotage « industriel, prédictif et mesurable ». La situation actuelle ne peut se comprendre sans un regard historique, avec l’addition de couches techniques instables : « Ce n’est que depuis dix ans que l’on a pris conscience de l’ampleur des risques induits par une médiocre maîtrise de la fonction informatique et système d’information, ce qui a donné au concept de gouvernance des SI une forte visibilité », précisent les auteurs, qui rappellent que la complexité actuelle est logique, chaque projet se dotant de son propre modèle de données, « souvent imposé par la technique choisie, et de ses propres règles de gestion d’architecture technique et fonctionnelle ».
D’où un paradoxe entre, d’un côté, un modèle en couches et, de l’autre, le support de tous les processus métiers par les systèmes d’information.
Pour les auteurs, les entreprises doivent en effet répondre à quatre impératifs, qualifiés de « centrifuges » : satisfaire aux besoins de l’entreprise étendue « ouverte et polycentrique », mettre au cœur de l’entreprise le consommateur (qui « n’attend qu’une chose : sa satisfaction, si possible immédiate »), s’adapter en cas de changement de périmètre de l’entreprise (la vitesse est alors essentielle) et attirer de nouveaux collaborateurs, avec des « outils sociaux et coopératifs ».
Dans ce contexte, la gouvernance « impose une discipline collective fondée sur le partage d’outils d’analyse, de décisions et d’actions », dans un cadre de référence. Les indicateurs apportent une visibilité sur les cinq ressources exploitées par les DSI : données, applications, matériels et installations, technologies, ressources humaines.
Stratégie et pilotage des systèmes d’information, coordonné par Renaud Cornu-Emieux et Hughes Poissonnier, Dunod, 2009, 267 pages.
Les auteurs justifient le terme d’urbanisation appliqué au SI en établissant un parallèle entre le développement d’un système d’information et celui d’une ville. Dans les deux cas, il faut un plan d’occupation des sols (pour définir les besoins métiers), des règles et des plans d’urbanisme, pour relier entre eux les différents blocs (métiers, fonctionnels, applicatifs, techniques). Cela génère des nouveaux besoins en termes de pilotage de la performance.
« La notion de pilotage de la performance tend à remplacer l’expression « contrôle de gestion », parfois jugée dépassée », estiment les auteurs. Les métiers du contrôle de gestion ont « profité de la bureaucratisation à outrance du pilotage des entreprises (…). Les applications se multiplient, à chacun son tableau de bord, et le tout n’est gérable que via d’innombrables passerelles aussi fragiles qu’opaques ».
Mais, aujourd’hui, le contexte a radicalement changé, au moment où tout doit pouvoir être audité. Les auteurs estiment que, pour demain, deux axes sont essentiels : le reporting vertical et la déclinaison transversale. Ces deux éléments « reposent sur la production d’informations puis l’utilisation de ces dernières pour la prise de décisions et leur mise en œuvre et à chacune de ces étapes, les systèmes d’informations apparaissent susceptibles de jouer un rôle structurant. »
Intégrer les dimensions interculturelles
Dans le contexte managérial actuel, la prise en compte de la dimension interculturelle devient fondamentale. D’autant que l’internationalisation renforce ce besoin : d’une part, avec l’externalisation. « Cette évolution modifie la nature des pratiques de contrôle, soulignent les auteurs, puisque la proximité disparaît et, avec elle, la connaissance mutuelle et la confiance, l’ancrage dans les mêmes réseaux sociaux locaux qui caractérisaient auparavant les relations distributeurs-fournisseurs favorisant la mise en place de modes de contrôle clanique ou social. »
D’autre part, avec la multiplication du nombre de fournisseurs : « Dans un tel contexte, il est souvent hasardeux, voire risqué, de tenter de développer les mêmes organisations et modes de fonctionnement dans des contextes culturels différents », affirment les auteurs.
La globalisation impose une adaptation du management des systèmes d’information dans quatre domaines. Le premier concerne la convergence au niveau international : « L’optimisation des services rendus par les systèmes d’information passe par le meilleur équilibre entre les projets internationaux, porteurs des processus des métiers que l’entreprise veut promouvoir, et des projets locaux, porteurs des nécessaires adaptations locales, réglementaires, culturelles. »
Deuxième domaine : le fonctionnement en mode « service », avec des « usines » de production, applicative et d’infrastructure. « C’est ce mode que suivent beaucoup de SSII, c’est aussi ce mode qui peut convenir à une DSI société de services interne, rappellent les auteurs. Le troisième domaine porte sur le mix entre une organisation centrale et des organisations locales. On s’oriente vers une organisation matricielle qui permet de gérer et de faire évoluer la structure des usines de production. »
Enfin, le quatrième domaine concerne le « modèle de delivery ». Objectif : « Utiliser tous les moyens (internes et externes) que le marché international met à disposition dans les pays pour assurer la performance et la flexibilité dont l’entreprise a besoin », notent les auteurs. Cette nouvelle donne bouleverse les usages des systèmes d’information. L’émergence d’une technologie n’est jamais prévisible : « Aucun texte prospectif ne parlait du Web trois ou quatre ans avant ses premiers déploiements, vers 1993 », rappellent les auteurs. De même, assurent-ils, « c’est le marché qui fait l’usage ».
Sur la question du statut des systèmes d’information, ils distinguent trois points de vue « aussi défendables les uns que les autres » : le centre de coûts (réduction de coûts sous contrainte d’efficacité avec mesure des coûts de revient et des outils de contrôle de gestion), le centre de profits (analyse du rapport coûts/bénéfices) et l’actif immatériel (création de valeur, avec des méthodologies telles que IC-dVAL).
Faut-il choisir son camp ? Pas nécessairement : « Il n’y a pas de spirale vertueuse dans un continuum allant du centre de coûts à l’actif immatériel. Le salut peut très bien se trouver dans un bon sens intermédiaire consistant à enrichir la notion de coût en y intégrant des coûts cachés, des coûts d’opportunité, ces coûts externes, on peut ainsi en arriver à matérialiser la dimension immatérielle des systèmes d’information. »
Deux chapitres abordent les problématiques humaines, à travers la gestion du changement et l’évolution des compétences (nous reviendrons sur ce point dans l’un de nos prochains numéros). Sur le premier point, les auteurs soulignent que le changement est toujours un traumatisme. Pourquoi la gestion du changement reste-t-elle le parent pauvre des projets ? Les auteurs avancent trois explications.
D’abord, « rares sont les entreprises qui acceptent de revoir leurs processus, donc leur organisation et leurs pratiques de travail, avant d’implémenter un SI ». Ensuite, le management « retarde la confrontation avec les hommes, les managers développent une stratégie d’évitement consistant à minimiser le problème et à présenter le projet juste comme un changement d’outil ».
Enfin, « l’implémentation d’un SI heurte de plein fouet la culture des gens ». Or, « on ne peut pas modifier une croyance profondément ancrée avec des arguments rationnels ». Les auteurs développent longuement les leviers pour gérer le changement, avec le principe qu’y consacrer des efforts et des ressources coûte toujours moins cher que l’échec d’un projet. L’objectif, rappelé dans la conclusion de cet ouvrage, est de tendre vers une DSI 2.0 dans laquelle « chacun devient un entrepreneur de la connaissance. »
Les autres idées à retenir
- L’informatique, héritière des millions de lignes de code, fruits de trente ans d’histoire, ne peut constituer un frein aux changements.
- Urbaniser, c’est organiser, coordonner, synchroniser et valoriser la transformation du/des SI et en maîtriser l’évolution progressive et continue.
- Le développement des contacts avec des fournisseurs situés à l’autre bout du monde constitue un facteur d’amplification de la problématique interculturelle dans le management.
- Á l’instar de leurs homologues en achats et ressources humaines, les DSI aiment à faire considérer leur rôle comme étant « stratégique ». Mais si tout est stratégique, plus rien ne l’est vraiment.
- Le silicium ne se trompe jamais, c’est l’homme qui est faillible, pas l’informatique.
- Parvenir à faire agir quelqu’un qui n’est pas spontanément décidé à le faire oblige à passer par quatre étapes : faire savoir, faire comprendre, faire adhérer, faire agir.
- Les décideurs n’accordent pas à l’accompagnement du changement l’importance nécessaire car, au mieux, ils en ont une vision abstraite, au pire ils estiment sans le dire que cela relève du superflu.
- Aucune des écoles les plus prestigieuses (ENA, Polytechnique, HEC…) ne propose d’enseignement à la conduite du changement.
- Nous avons tendance à ignorer ou à fuir ce que nous connaissons mal. C’est le « syndrome du lampadaire » : on n’investit pas là où l’on ne voit pas.
- La résistance au changement n’est pas un dysfonctionnement d’une organisation : elle est normale, intrinsèquement liée au changement.