Sécuriser le management avec des projets pilotes

Véronique Messager-Rota, spécialiste de la gestion de projet, publie la deuxième édition de son ouvrage sur les méthodes agiles (1). Elle explique les principes et les apports de cette approche pour les DSI.

En quoi la crise actuelle renforce t-elle le besoin d’agilité ?

Véronique Messager-Rota  La crise, prévisible ou non, est un changement, comme tant d’autres, auquel sont confrontées les organisations, même si nous ne devons pas mésestimer les effets parfois sévères de ce changement particulier. Nous vivons, en effet, dans un monde de plus en plus imprévisible et l’incertitude face aux lendemains modifie les modes de management. Aujourd’hui plus que jamais, une organisation doit démontrer son agilité en se recentrant sur l’essentiel et en développant sa capacité à anticiper de nouveaux changements.

Que signifie « se recentrer sur l’essentiel » ?

Véronique Messager-Rota  Se recentrer sur l’essentiel ne signifie pas opérer des coupes drastiques dans les budgets, ni procéder à de massifs plans de licenciements pour retrouver, coûte que coûte, un niveau de rentabilité satisfaisant.

Cette crise, précisément, aux dépens de certains, malheureusement, déclenche de vraies prises de conscience. Interrogeons-nous sur la vraie mission de l’organisation, ses valeurs intrinsèques, son positionnement, la satisfaction de nos clients, internes ou externes, et les leviers de motivation de nos collaborateurs. Revenons à des valeurs simples, plus humanistes et éliminons toute forme de gaspillage.

Développer sa capacité à anticiper suppose de développer des qualités d’écoute, d’observation, et de faire preuve d’imagination et de créativité pour trouver de nouvelles tendances, solutions ou pratiques.

C’est un état de « veille » active basée sur des échanges plus transparents avec les clients et les collaborateurs de l’organisation. Anticiper devient alors un réflexe et le changement une véritable opportunité de progrès collectif et individuel.

En quoi les méthodes agiles participent-elles de cette démarche ?

Véronique Messager-Rota  Les méthodes agiles sont pragmatiques et profondément humanistes (« Priorité aux hommes et à leurs interactions » est la première valeur du Manifeste Agile). On avance ensemble, client et équipe de réalisation, vers un objectif commun, rapidement accessible (principe du développement par itérations).

On hiérarchise les priorités et on s’attache à l’essentiel, c’est-à-dire à ce qui apporte une valeur ajoutée au client, en mettant de côté l’accessoire et le superflu. On ne gaspille plus ainsi les budgets informatiques. On avance concrètement, on élimine le temps perdu pour des tâches inutiles.

Puis on évalue en permanence à la fois ce que l’on produit (satisfaction du client) et le processus qui l’a produit (performance et satisfaction de l’équipe). Sans aucune hésitation, on remet en cause ce qui ne fonctionne pas et, grâce à une créativité autorisée et stimulée, on introduit les changements nécessaires.

Quel est le niveau de maturité des entreprises vis-à-vis des méthodes agiles ?

Véronique Messager-Rota  Une enquête récente (voir ci-contre) menée par le French Scrum User Group nous montre qu’un nombre croissant d’organisations sont en phase d’expérimentation ou projettent d’expérimenter les méthodes agiles.

Et ce qui est intéressant, c’est que, parmi celles qui ont répondu et qui ont déjà des résultats concrets, plus de la moitié envisagent de généraliser ces approches. Le phénomène d’adoption s’accélère : plus des trois quarts des entreprises utilisatrices le font depuis plus de six mois et un tiers depuis plus de deux ans. Notons que la maturité des organisations est favorisée par une implication des plus hauts niveaux du management

Quelle démarche conseillez-vous aux DSI ? Quels sont les principaux prérequis pour réussir ?

Véronique Messager-Rota  Il est fréquent d’entendre les DSI qui hésitent à franchir le pas avancer que ce n’est pas adapté à leur contexte spécifique, qu’ils n’ont pas encore le projet adéquat ou que leurs équipes ne sont pas suffisamment matures… Le contexte idéal n’existe pas et si on attend de réunir toutes les conditions, on ne commencera jamais. Il faut se lancer, y aller progressivement, pas à pas, sur un ou deux projets pilotes pour sécuriser la démarche.

Pour répondre à votre question, le premier prérequis est donc de donner du temps aux équipes, le temps de déterminer leurs objectifs, de sélectionner, définir et adapter leurs pratiques et d’opérer un « changement culturel ». On ne change pas les vieilles bonnes habitudes du jour au lendemain.

Du temps, donc, et de l’autonomie. Les équipes agiles, responsabilisées, doivent pouvoir explorer, expérimenter, évaluer, modifier leur processus agile, voire se tromper. On a le droit à l’erreur si l’on est en mesure de la détecter le plus tôt possible et de la corriger aussitôt. Ce climat de confiance favorisera le volontariat des équipes, autre prérequis, a fortiori si le DSI, voire la direction générale, est impliqué pour recueillir leur feedback et leur donner quelques moyens (outillage, notamment, et accompagnement, si possible).

Comment mesure-t-on le degré d’agilité d’une équipe ?

Véronique Messager-Rota  Je distinguerai deux niveaux de mesure de l’agilité : avant la démarche et une fois la démarche engagée. Avant, il s’agit de dresser un état des lieux pour permettre de déterminer les axes stratégiques, la démarche, les étapes et les outils à mettre en place et mesurer la prédisposition des membres de l’équipe au changement.

Chaque organisation, chaque équipe, chaque projet est unique et doit donc procéder à ce diagnostic a priori, ne serait-ce que pour savoir là où aller et comment y aller.

Dans un deuxième temps, l’objectif est de mesurer régulièrement les progrès, les améliorations, les écarts éventuels avec l’objectif de départ et les changements à apporter. Ne l’oublions pas : le changement est un allié pour mieux s’adapter et converger vers la satisfaction globale.

Il existe différents modèles pour évaluer ce degré d’agilité ; les questions varient mais finalement, il s’agit d’évaluer les pratiques en matière de travail en équipe, de techniques de planification, de gestion des exigences, d’ingénierie, de contrôle de la qualité, des comportements collaboratifs et de la gestion de la connaissance… et du degré de satisfaction du client. •

(1) Gestion de projet, vers les méthodes agiles, par Véronique Messager-Rota, Editions Eyrolles, 2e édition, 272 pages.