Dans son ouvrage de référence sur l’avenir du management, Gary Hamel plaide pour un renouveau des modèles, soulignant que l’innovation dans les produits et les services est beaucoup plus rapide que dans les modes de management des entreprises. Place à l’innovation managériale qui devrait, selon l’auteur, bouleverser les modes de prise de décision. Ce qui ne se fera pas sans douleur et résistance au changement.
Pour Gary Hamel, professeur de management et fondateur du cabinet Strategos, c’est la fin du management. Du moins du management tel qu’on le connaît depuis des décennies. Pour l’auteur, les entreprises sont encore gérées en fonction de principes de management imaginés au début du XXe siècle.
Ces principes sont appliqués quasiment de la même manière par toutes les entreprises. Les éléments différenciateurs ne sont guère visibles. Les organisations disposent ainsi des mêmes structures de reporting, des mêmes méthodes de gestion des ressources humaines, et d’une pléthore de vice-présidents.
Pire, affirme Gary Hamel, le management est l’un des domaines où l’on observe le moins de ruptures majeures. « Imaginez les innovations produits de ces dernières années et comment ils ont changé notre vie quotidienne : PC, téléphone mobile, e-mail, communautés en ligne. Essayez de pratiquer le même exercice avec le management, avec un impact comparable sur la manière dont sont gérées les entreprises. Pas facile, n’est-ce pas ? », résume l’auteur.
The Future of Management, par Gary Hamel, Boston, Harvard Business School Press, 2007, 271 pages.
De fait, on observe un écart croissant entre l’innovation dans les produits et l’innovation dans le management. Or, ce qui fait le succès d’une entreprise, ce n’est pas son efficacité opérationnelle, ce n’est pas non plus son business model, mais le degré d’innovation dans son management, « l’avantage ultime », affirme l’auteur.
Les modèles de management actuels sont caractérisés par « trop de management, pas assez de liberté, trop de hiérarchie, pas assez de communautés, trop de chefs, pas assez de leaders, trop de directives, pas assez de liberté d’expérimenter ».
Ce constat dressé, comment les managers d’aujourd’hui peuvent-ils s’en sortir ? Pour l’auteur, l’innovation managériale recouvre « tout ce qui change de façon substantielle la manière de fonctionner et l’organisation ». Gary Hamel, sans tomber dans le travers du catalogue de bons principes, suggère quelques pistes et rappelle quelques principes.
Par exemple, qu’il n’est pas toujours indispensable de prendre de grands risques pour résoudre un grand problème : « L’innovation est un processus itératif. »
L’innovation contre l’apartheid créatif
Il faut également, suggère l’auteur, « faire de l’innovation un job de tous les jours ». C’est loin d’être le cas dans les entreprises : « Au mieux, l’innovation est reléguée dans des ghettos organisationnels tels que les services de recherche et développement où les collaborateurs créatifs sont tenus à l’écart des autres », souligne l’auteur, qui utilise le terme « d’apartheid créatif ».
Gary Hamel l’affirme : le management sera 2.0 à l’image du Web 2.0 : « La plupart des managers voient dans Internet un outil de productivité ou un moyen de toucher les clients 24 heures sur 24. Peu sont conscients qu’Internet, tôt ou tard, bouleversera les modèles de management », assure Gary Hamel.
Pourquoi ? « Parce que chacun peut s’exprimer, les outils de créativité sont largement distribués, il est facile d’expérimenter, le pouvoir vient de la base, les hiérarchies sont uniquement des hiérarchies naturelles, tout est décentralisé… »
Mais l’innovation managériale ne procure pas automatiquement un avantage concurrentiel, tout comme, d’ailleurs, l’innovation dans les produits. « Pour une idée qui va changer radicalement les pratiques du management, des dizaines n’auront aucun effet, ou très peu. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer. »
L’arithmétique bien connue des capitaux-risqueurs s’applique aussi à l’innovation managériale. Toutefois, deux difficultés apparaissent : d’une part, le fait que favoriser l’innovation managériale conduit à redistribuer le pouvoir dans l’organisation. Il ne faut donc pas espérer un enthousiasme général ! D’autre part, au moins à court terme, les coûts de l’innovation managériale sont plus visibles que les bénéfices. Et ce ne sont pas, affirme Gary Hamel, « les managers les plus expérimentés qui font les meilleurs innovateurs »…
Ce paradoxe risque de s’accentuer avec l’environnement Web : « Aucune entreprise n’aurait l’idée d’installer un réseau téléphonique avec les technologies des années 1940, mais c’est pourtant une telle stratégie qui est mise en œuvre lorsque l’on ne prend pas en compte le potentiel d’Internet pour transformer les organisations », observe Gary Hamel.
Les six challenges des managers selon Gary Hamel | |
Le problème | Le challenge |
• Les opinions des managers sont dotées d’une crédibilité supérieure à celles des autres collaborateurs. La capacité à faire passer ses idées est proportionnelle à la position hiérarchique d’un individu. | • Construire une démocratie des idées, par exemple avec des blogs internes. |
• La plupart des entreprises n’exploitent qu’une fraction de l’imagination de leurs collaborateurs. | • Encourager l’imagination business en proposant les bons outils (par exemple décisionnels) et applications : base de données clients, outils pour analyser et améliorer la profitabilité d’une activité, cartographie des processus internes… |
• L’allocation des ressources reste rigide, ce qui freine le changement de stratégie et conduit à surinvestir. | • Instaurer une allocation dynamique des ressources, à l’image des modèles du type « capital-risque » (opportunités/innovation/risques). |
• Une fréquence trop élevée des erreurs stratégiques suite à des décisions prises de façon unilatérale. Un quart des décisions seraient des erreurs, selon une étude de Capgemini UK. | • S’assurer que les décisions reflètent la « sagesse collective » : appliquer le principe de la démocratie et des marchés libres à la prise de décision stratégique. |
• Les compétences et les connaissances des managers se déprécient rapidement : le top management agit plus pour maintenir son influence que pour renforcer sa vision stratégique. | • Minimiser l’effet négatif des anciens modèles de management, ce qui suppose de redistribuer le pouvoir en fonction du changement de l’environnement. Les hiérarchies doivent être davantage « naturelles » qu’imposées. |
• Trop de couches de management et pas assez d’autonomie freinent l’innovation. | • Transformer « une armée de conscrits » en une « armée de volontaires » (exemple de l’Open Source). |
Les idées à retenir
- Espérer que les organisations actuelles soient efficientes, réactives et innovantes est comme espérer apprendre à un chien à danser le tango.
- Nous sommes tous prisonniers de nos paradigmes : en particulier celui qui consiste à placer la recherche de la productivité bien avant les autres objectifs.
- Il n’y a aucune excuse pour ne pas innover, même si toutes les innovations ne procurent pas un avantage compétitif.
- Dans les entreprises, les managers sont sélectionnés, formés et recrutés pour leur capacité à faire plus, de manière plus efficace, pas pour être des innovateurs.
- Un business est un succès… jusqu’à ce qu’il ne le soit plus ! Il est déconcertant de voir à quel point les managers sont surpris lorsque survient ce « plus ». Les ruptures sont souvent perçues comme improbables.
- Beaucoup de dirigeants d’entreprise ne veulent pas admettre que la prochaine bonne idée à un milliard de dollars puisse venir d’un employé peu qualifié travaillant à temps partiel.
- Au moins 85 % des salariés dans le monde donnent moins que ce qu’ils pourraient. C’est un vaste gaspillage des capacités humaines.
- La hiérarchie s’installe au détriment des communautés : dans une hiérarchie, vous êtes un acteur de production, avec des échanges régis de façon contractuelle, dans une communauté vous êtes un partenaire, avec des échanges volontaires.
- L’innovation managériale redistribue le pouvoir : n’espérez pas que tout le monde sera enthousiaste.
- Il faut dépolitiser la prise de décision pour éviter que les idées ne subissent le veto d’un seul manager.
- La population des managers est marquée par une certaine consanguinité : combien de postes de top managers, dans votre entreprise, sont occupés par des individus qui ne sont pas des ingénieurs, des ex-consultants, ou issus d’écoles de commerce ?