Nouvelle, la gestion des processus métiers ? Non, et Jean-Noël Gillot, directeur associé chez Capgemini, le concède bien volontiers. Mais sur le terrain, il reste beaucoup à faire : « La forte compétitivité demandée aux entreprises leur impose d’optimiser leurs processus. Or, le manque de méthodologie et de maîtrise des projets autour de la gestion des processus est frappant », avertit l’auteur.
Celui-ci prône une démarche collaborative, ne serait-ce que pour « transformer les résistances en forces de changement ». Il reste, pour nombre d’entreprises, à véritablement institutionnaliser une telle démarche de BPM (Business Process Management).
Les approches et méthodes ne manquent pas pour progresser dans cette voie, qu’il s’agisse de TQM (Total Quality Management), de HPT (Human Performance Technology), de Scor (Supply Chain Operations Reference Model), du Lean manufacturing, de CMM (Capability Maturity Model), de Six Sigma (la plus utilisée pour le BPM), ou des normes ISO.
Pour l’auteur, il existe trois approches possibles pour mettre en œuvre des projets d’intégration ou de processus métiers : top-down, bottom-up ou top-up. Dans la première, les processus sont décrits par le métier ou par un domaine fonctionnel. Avantage : une focalisation des équipes sur l’objectif et un découpage clair.
Inconvénients : « Les tests sont plus complexes et ne pourront avoir lieu que quand tous les développements seront terminés », estime l’auteur, pour qui cette approche reste « orientée utilisateur ». La seconde part de la conception technique de services pour arriver à la conception fonctionnelle du système.
« Cette approche est plus risquée car elle fait peu appel au métier. Un autre risque est de s’apercevoir au bout d’un certain temps que des détails techniques sont manquants et qu’il est nécessaire de refaire une partie de la conception. »
De fait, Jean-Noël Gillot plaide pour une approche mixte, baptisée « top-up », dans laquelle « le métier et le fonctionnel définissent les processus métiers, les fonctions métiers et les données associées dont ils ont besoin pour le bon déroulement de l’activité. » Dans cette approche, « la collaboration joue un rôle essentiel », assure l’auteur.
Par conséquent, il n’y a pas « de succès sans une démarche processus pragmatique » et tout repose sur les bonnes pratiques : « Conseils avisés ou retours d’expériences, les bonnes pratiques permettent soit de donner des exemples sur la mise en place de projets de BPM dans un contexte précis, soit de démontrer comment certains écueils peuvent être évités ; il est donc important que les bonnes pratiques soient formalisées et capitalisées. »
Trois questions à Jean-Noël Gillot
Comment définissez-vous le BPM ?
Jean-Noël Gillot Un processus métier est un enchaînement ordonné d’activités qui se déroulent en série ou en parallèle, exécutées par des personnes ou des applications et qui aboutissent à un résultat attendu.
Le BPM est la gestion des processus de bout en bout, et c’est, avant tout, une discipline qui comprend quatre axes : la modélisation des processus (représentation graphique), leur automatisation, leur gestion et leur optimisation. On distingue quatre grandes familles de processus : décisionnels, humains, documentaires et d’intégration.
Le BPM répond ainsi à trois objectifs majeurs : l’amélioration de la qualité, pour aligner ce que propose l’entreprise par rapport aux besoins de ses clients et ses partenaires, la réduction des délais et celle des coûts. On observe qu’un grand nombre d’entreprises n’ont pas formalisé leurs processus métiers alors qu’une bonne définition de ceux-ci est vitale à la bonne marche de l’entreprise comme la bonne santé l’est pour le corps humain.
Le BPM va donc perdurer car c’est un réel besoin des entreprises. Prenons l’exemple des banques : elles savent que 25 % de leurs effectifs vont partir en retraite en quelques années. Je ne connais pas une seule banque qui ne se pose pas la question de la résolution de ce challenge.
Le BPM nécessite une approche selon quatre perspectives, toutes aussi importantes les unes que les autres et qui doivent être prises en compte simultanément : le métier, l’organisation, les processus et le système d’information. La formalisation se déroule selon un cycle itératif : la cartographie, la modélisation, la documentation, l’analyse, l’optimisation et l’implémentation.
Comment gérer au mieux la résistance au changement ?
Jean-Noël Gillot Le BPM a été vu par certaines entreprises comme une autre technologie mise en place pour rendre un service. C’est évidemment une erreur ! Et les résultats escomptés n’ont pas été obtenus. Un projet de BPM n’est pas un projet informatique !
C’est avant tout une stratégie et un mode de gouvernance qui implique d’avoir une organisation orientée processus. Ce qui nécessite de faire travailler de concert métier et IT. La modification des processus métiers bouscule plus ou moins fortement les méthodes de travail des collaborateurs. La conduite du changement n’est pas simple car on touche à des phénomènes culturels.
Il faut donc un niveau de sponsoring et de leadership élevé, sinon le moindre changement dans l’organisation devient problématique. Remarquons que la gestion du changement a bien sûr un coût, mais il est nettement moins élevé que serait celui qui résulterait d’un manque d’action engagée dans ce domaine.
Comment faire ? Il est très important que la résistance au changement soit anticipée, qu’elle qu’en soit la cause. Une des techniques est de faire comprendre aux acteurs que leurs propos sont pris en compte avec toute la considération nécessaire. Il faut aussi que le management accepte de revoir l’organisation.
La démarche s’appuie sur quatre axes : la stratégie, portée par les décideurs, pour analyser la situation et définir les objectifs ; la notion de leadership ; l’accompagnement (communication, ergonomie des applications, formation, documentation…) et l’appropriation pour que les utilisateurs n’aient pas envie de revenir en arrière.
Comment bien choisir un outil de BPM ?
Jean-Noël Gillot Le BPM doit être outillé et il existe beaucoup de solutions sur le marché. On distingue les outils et les suites, la distinction s’effectue sur le principe qu’une suite est capable de traiter le cycle de vie complet, de bout en bout, d’un processus.
Une suite BPM est constituée de quatre éléments principaux : une modélisation, pour décrire les processus, les documenter et les simuler, une intégration (au système d’information existant), un outil de workflow (travail collaboratif) pour permettre la gestion d’activités manuelles ou semi-automatiques et des tableaux de bord.
Beaucoup d’entreprises ont effectué des choix qui se sont avérés ne pas correspondre aux besoins. Et ont dû investir dans des développement spécifiques si coûteux que le ROI n’était pas au rendez-vous. La solution sélectionnée ne doit pas l’être du simple fait que la solution d’un éditeur est déjà utilisée ailleurs dans l’entreprise ou parce que son prix est très bas.
La Gestion des processus métiers, par Jean-Noël Gillot, Capgemini, 2007, 373 pages.
Idées à retenir
- Ne pas oublier le B de BPM : souvent, une confusion règne entre des processus techniques d’échanges et des processus métiers.
- Les technologies ne sont qu’un support de la démarche de BPM.
- Certains consultants parlent de BPM mais pensent BPR (Business Process Reengineering), c’est une vision très restrictive.
- Une SOA peut servir de levier de mise en place d’outils d’intégration des processus et de pilotage de la performance.
- Les projets de BPM qui ont eu le plus de succès sont ceux qui ont été mis en œuvre par une approche métier. L’approche par les données ou d’un point de vue purement intégration n’ont pu démontrer un bon niveau de retour sur investissement.
- La conduite du changement est un métier en soi.
- Faute de bonnes méthodes, les trois quarts des projets de reengineering ont été des échecs cinglants.
- L’un des pièges dans lequel tombent certaines entreprises est d’arrêter l’initiative BPM après avoir obtenu des premiers retours sur investissement. Le BPM doit s’inscrire dans une démarché d’amélioration continue.
- Il faut éviter de tomber dans l’excès où, à force de vouloir justifier économiquement les projets, l’entreprises finisse par ne plus innover.
- Dans le domaine de la gestion des processus métiers, il existe cinq principales sources de retour sur investissement : l’automatisation, la qualité, la conformité, le management et l’optimisation.