On connait depuis longtemps les enseignements de Sun Tzu qui, dans « L’art de la Guerre » a résumé les techniques et les « bonnes pratiques » utilisables pour gagner une guerre. Ces principes ont été également popularisés dans plusieurs dizaines d’ouvrages de management. On y retrouve notamment les concepts de base de la stratégie guerrière applicables également aux systèmes d’information, avec les notions d’évaluation, d’engagement, de moyens, de changements, ou de topologie/cartographie…
Au début des années soixante, le sociologue du travail Pierre Naville avait analysé les principaux concepts des stratégies militaires (3). Une stratégie militaire combien ainsi plusieurs éléments : des adversaires, un but, une tactique, un champ de bataille, un potentiel, une évaluation des gains et des coûts, et un processus de prise de décision. Ces concepts sont aujourd’hui toujours applicables, en particulier pour le management des systèmes d’information (voir tableau).
Stratégie militaire et stratégie SI : un comparatif
Concept | Application à la guerre conventionnelle | Application au management des SI |
L’adversaire | Un pays | Les concurrents |
Le but | Acquérir le pouvoir | Accroître la compétitivité |
La tactique | Diverse, hiérarchisée | Utiliser les meilleures méthodologies et technologies |
La bataille | Engagement de forces humaines et techniques | Mobilisation des équipes pour la gestion de projet et le développement d’applications |
Le potentiel | Ressources humaines | Qualité des compétences et quantité des ressources |
Les gains et les coûts | Territoires, pertes humaines | Création / destruction de valeur |
La décision | Choix parmi les scénarios | Sélection des modes de transformation du SI |
Source : P. Naville, Digitalonomics.
Créer la confiance
La Harvard Business Review a publié, sur son site, en août 2015, un entretien avec le Général Stanley McChrystal, par ailleurs auteur de l’ouvrage « Team of Teams » (2) qui fait le parallèle entre les stratégies militaires et les principes de management d’équipes. Selon lui, trois comportements importent tout autant pour des militaires que pour des managers, des principes applicables également aux DSI.
Le premier est d’être présent sur le terrain, aux côtés des personnes engagées (dans un combat ou dans un projet). « Dès lors que vous faites prendre des risques à vos équipes, vous devez accepter le même niveau de risque pour vous et les accompagner », assure Stanley McChrystal. Second principe : au-delà de ce qui peut être décrit (par exemple par des tiers, dans des comptes rendus… ou des présentations Powerpoint), il est important « d’entendre et de sentir les choses et de voir « l’ennemi » en face. »
Enfin, le général McChrystal estime qu’il convient de vérifier que les attentes qu’ont les individus à l’égard de leurs supérieurs hiérarchiques sont alignées avec celles de ces derniers. « La plupart de vos collaborateurs entendent parler de vous plus qu’ils ne vous voient, les rencontrer permet qu’ils vous identifient en tant que personne et perçoivent clairement quelles valeurs sont importantes pour vous. Au-delà de la chaîne de commandement, il existe des liens informels », ajoute le Général McChrystal.
Pour ce dernier, l’important est de créer la confiance : « Si vous voyagez pour la première fois dans une contrée inconnue, que vous avez faim et que vous voyez une enseigne McDonald’s, vous vous arrêterez certainement parce que vous aurez confiance. De même, vous faites confiance à des troupes d’élite parce que vous savez comment elles sont formées pour faire face à des situations risquées », explique le général McChrystal. Dans le management d’équipe, ce processus doit aussi être mis en œuvre, avec la notion de « confiance transférable », en particulier dans les grandes organisations ou pour celles qui croissent rapidement.
La métaphore militaire appliquée aux systèmes d’information a dépassé le milieu des consultants et des experts en management. Les fournisseurs se sont également appropriés cette approche, estimant que l’effet de conviction sera renforcé, pour mieux faire passer leurs messages.
Par exemple, Information Builders s’est inspiré de la stratégie de Napoléon Bonaparte, dans un livre blanc sur la stratégie de données (voir tableau ci-dessous). Autre exemple : Planview, éditeur de solutions de gestion de portefeuille de projet, s’est également inspiré de Napoléon (voir encadré ci-contre), dans un livre blanc intitulé : « Dix stratégies militaires éprouvées pour mieux planifier les ressources et éviter la déroute de Waterloo. »
(1) “What Companies Can Learn from Military Teams”, Harvard Business Review, 6 août 2015, www.hbr.org
(2) Team of Teams: New Rules of Engagement for a Complex World, Ed. Portfolio, mai 2015, 304 pages.
(3) « Les arguments sociaux de la stratégie », Pierre Naville, Revue française de sociologie, avril-juin 1961.
Les principes stratégiques de Napoléon appliqués à la gestion de projet
La stratégie de Napoléon | Le principe de la gestion de projet |
Détruire le cœur de l’armée ennemie | Ne pas se focaliser sur des objectifs secondaires |
Concentrer toutes ses forces sur l’objectif principal | Ne pas gaspiller ses ressources et optimiser leur affectation |
Agir par surprise pour dérouter l’ennemi | Introduire l’agilité pour répondre rapidement à des changements de périmètres |
Empêcher l’ennemi de communiquer, de s’approvisionner ou de fuir | S’assurer que les membres de l’équipe communiquent et soient motivés |
Sécuriser son armée pour éviter les attaques surprise | S’assurer que les membres de l’équipe disposent de moyens suffisants |
Source : Information Builders, Digitalonomics.
Dix stratégies militaires appliquées à l’IT
1. Diviser et régner : l’objectif consiste à battre un ennemi plus petit en le persuadant par la ruse de diviser son armée de moitié, puis à attaquer un groupe à la fois. Pour y parvenir, on évitera de diluer ses propres forces. En entreprise, cela revient à aborder un énorme ensemble de projets, ou le périmètre d’un vaste projet, par petits bouts.
2. Concentrer ses forces : il s’agit de l’application d’une force écrasante sur un point stratégique des forces adverses. La mise en œuvre de cette approche consiste à dédier un nombre proportionnellement élevé de ressources à une sélection restreinte d’objectifs primordiaux.
3. L’économie des forces : une quantité effective maximale de ressources doit être appliquée aux objectifs primordiaux et une quantité effective minimale doit être appliquée aux objectifs secondaires, les éventuelles réserves étant utilisées de manière stratégique.
4. Le raid : l’objectif est d’affaiblir l’ennemi. Si l’on considère la demande excessive comme étant « l’ennemi », il faut réfléchir aux moyens de la ramener à une taille plus gérable. Soit en prenant en charge moins de tâches, soit en examinant et priorisant les nouvelles tâches, ou en limitant le périmètre des missions que nous prenons en charge.
5. Les fortifications : Les armées bâtissent des forts pour se protéger. Dans l’entreprise, on souhaite également protéger ses ressources. Le meilleur moyen est de protéger leur disponibilité.
6. Retarder l’ennemi : si l’on est submergé par une énorme liste de projets, identifier ceux qui peuvent être repoussés jusqu’à ce que vous disposiez des ressources nécessaires pour les prendre en charge.
7. Les renforts : il peut s’agir d’acquérir des compétences, de fournir la formation appropriée ou les bons outils. Tout ce qui peut aider les ressources à mener à bien leur mission est assimilable à des renforts.
8. Les alliés : le principe consiste à attaquer en s’aidant de la force de l’autre. Dans les organisations, sont considérés comme des alliés, les différentes parties intéressées, fournisseurs, clients, consultants, promoteurs de projets en interne…
9. L’unité de commandement : les différentes parties prenantes ou « codirecteurs de projets » ne sont pas forcément d’accord sur les objectifs ou les tactiques ; deux clients peuvent avoir des objectifs radicalement différents ; ou encore, les priorités des différents responsables ne sont pas en phase. Il convient de s’assurer que les parties prenantes partagent les buts, les objectifs, les stratégies et les tactiques.
10. La retraite : Un vieux proverbe militaire chinois dit : « Si tout le reste échoue, battez en retraite. » Dans les organisations modernes, lorsque les contraintes en termes de ressources entrainent des retards sur un projet et que plusieurs solutions ont été envisagées (ajout ou réaffectations de ressources, décalage du planning projet, échelonnement des activités, redéfinition du périmètre…), parfois la seule solution consiste à battre en retraite.
Source : Planview.