Xerfi vient de publier une nouvelle étude sur le marché du e-commerce BtoB à l’horizon 2024. L’analyse de l’auteure, Delphine David, directrice d’études.
Le commerce interentreprises en ligne résistera-t-il à la dégradation de la conjoncture ?
L’évolution des ventes en ligne dépend en général de la croissance du PIB, laquelle va sérieusement ralentir en 2023 et 2024 d’après nos prévisions. Déjà, le tassement de l’activité a impacté l’audience des sites web BtoB (-11% en 2022). Un repli qu’il convient de relativiser après les très fortes hausses de trafic observées au plus fort de la crise. Entre 2019 et 2022, les sites de produits alimentaires et équipements pour CHR, ceux de matériaux et équipements pour le bâtiment et les plateformes de pièces et équipements auto ont enregistré les plus fortes hausses de trafic.
L’audience des e-commerçants de matériels informatiques et téléphoniques s’est en revanche repliée. En moyenne, l’audience sur la période a augmenté de 12% pour les sept marchés témoins étudiés (*). Malgré ces à-coups conjoncturels, le e-commerce BtoB reste pourtant fondamentalement porteur en France. Le commerce interentreprises (EDI et sites web) s’envolera ainsi de 12% puis de 10% respectivement en 2023 et 2024. Il représentera alors 940 milliards d’euros.
En d’autres termes, son potentiel de développement est énorme puisqu’il pèsera alors seulement environ 22% du chiffre d’affaires des entreprises françaises (toutes branches confondues), d’après nos calculs. Le commerce digital interprofessionnel profite en effet de trois solides moteurs. Le premier est le caractère prioritaire des investissements IT pour les entreprises tricolores, qui sont un bon moyen pour gagner en compétitivité.
Ensuite, la digitalisation des directions achats est désormais hautement stratégique dans un contexte d’optimisation des coûts et de sécurisation des approvisionnements. Enfin, les acteurs doivent partir à la conquête des TPE/PME encore peu numérisées.
Cela passera par le déploiement de la facturation électronique mais aussi par le développement de sites web et de solutions globales destinés à simplifier les processus d’achat. En clair, le e-commerce BtoB gagne en maturité, s’inspirant de plus en plus des codes de l’univers BtoC.
La menace des marketplaces est-elle toujours aussi prégnante ?
Les industriels et grossistes sont à l’origine de l’essentiel du commerce électronique interprofessionnel. Avec les véadistes traditionnels, ils constituent les cybermarchands historiques. La taille et les perspectives de croissance du marché attirent néanmoins d’autres acteurs, notamment les distributeurs qui se diversifient dans le BtoB et les pure players généralistes ou spécialisés sur un marché donné.
Avec une incursion très remarquée en se positionnant sur des marchés où les acteurs traditionnels accusaient un net retard, certains opérateurs du web ont nourri l’inquiétude de nombreux concurrents ces dernières années. Ce fut entre autres le cas de la marketplace Agriconomie sur le marché des matériels et fournitures agricoles ou des grosses places de marché généralistes (Amazon, Alibaba…). Aujourd’hui, certains géants du e-commerce ont perdu de leur superbe alors que les pressions réglementaires vont monter d’un cran.
Je pense notamment au « paquet TVA sur le commerce électronique », au Digital Market Act, au Digital Service Act ou encore à l’imposition des multinationales décidée au niveau européen (à la place de la « taxe GAFA » mise en place en France).
Dans ce contexte, deux phénomènes semblent difficiles à éviter : une baisse de la compétitivité-prix et une moindre attractivité de l’offre des vendeurs partenaires ainsi qu’une fragilisation des sources de revenus des éditeurs de plateforme. Le commerce électronique n’est qu’un canal de vente parmi d’autres. Tout l’enjeu pour les entreprises est de l’interconnecter et de le synchroniser avec les autres circuits (agences, téléconseillers, forces de vente itinérantes…) dans une logique omnicanale.
Quelles sont les stratégies de (re)conquête déployées par les acteurs ?
Outre une logique omnicanale, les grossistes – maillon essentiel de la chaîne – s’approprient également les stratégies des pure players en lançant des marketplaces et en plaçant la data au cœur de leur modèle. Les industriels s’appuient eux sur le digital pour développer leurs ventes auprès des clients finaux et pas seulement auprès des grossistes et autres intermédiaires.
Pour leur part, les retailers adaptent leur expertise du e-commerce BtoC au marché des professionnels pour profiter d’une demande plus dynamiques. Les stratégies de différenciation des distributeurs BtoB commencent à s’appuyer sur les démarches RSE. Elles passent entre autres par le déploiement d’une offre de produits éco-responsables et la réduction de l’impact environnemental des activités logistiques et de transport.
Pour séduire la clientèle de TPE et PME, moins coutumière de l’achat numérique, tous les cybermarchands doivent élaborer des dispositifs de vente adaptés aux besoins de chaque catégorie de clients (des grands comptes aux microentreprises en passant par les administrations publiques). Certes, la crise sanitaire et économique a recentré les exigences sur le prix et la disponibilité des produits. Toutefois, les clients privilégient de plus en plus des fournisseurs en mesure de leur apporter des solutions globales via des guichets uniques en ligne.
(*) Fournitures et équipements de bureau / produits alimentaires et équipements pour CHR / matériel informatique et téléphonique / matériaux et équipements pour le bâtiment / fournitures pour l’industrie, le commerce et les collectivités / matériels et fournitures pour l’agriculture / pièces et équipements automobiles.