A cœur des plateformes

Comment Amazon, Google, Apple et Facebook sont-elles devenues les plus grosses entreprises au monde en seulement quelques années ? Quel est le secret derrière la croissance fulgurante d’Alibaba, Airbnb, Uber et BlaBlaCar ?

Et comment start-up et entreprises traditionnelles peuvent-elles concurrencer ces nouveaux champions ? Elles ont toutes un point commun : leurs modèles de développement reposent sur les plateformes. Leur émergence, puis leur multiplication, ont été favorisées par trois facteurs : les bases de données, les moteurs de recherche et la connectivité.

Mais qu’est-ce qu’une plateforme ? Pour les auteurs, co-fondateurs du cabinet de conseil Launchworks & Co, il n’en existe pas de définition universelle, ils proposent : « Ce sont des entreprises dont l’activité consiste à attirer, mettre en relation et connecter au moins deux groupes d’utilisateurs afin de leur permettre d’effectuer une transaction. »

Elles se distinguent des revendeurs qui achètent des biens et services pour les revendre dans un circuit de distribution. A la différence des entreprises traditionnelles, les plateformes ne produisent rien et ne distribuent aucun bien ou service, elles mettent en relation des groupes d’utilisateurs. Historiquement, les premières plateformes étaient les sociétés de cartes de crédit (Visa, Mastercard, Amex…), mais elles n’ont jamais atteint des taux de croissance comparables à celles nées avec le Web.

« Les business models des plateformes peuvent être adaptés pour répondre à un large spectre de besoins », soulignent les auteurs, par exemple les places de marché (pour vendre et acheter), les réseaux sociaux, les paiements ou les systèmes d’exploitation. On peut distinguer les « faiseurs de marché », comme eBay, les « bâtisseurs d’audience » à l’image des réseaux sociaux et les « coordinateurs de la demande » au sein d’un écosystème. Il existe également des plateformes hybrides, qui combinent différents modèles d’affaires, par exemple Amazon, Apple, Google, Alibaba ou Microsoft.

« Ces plateformes ont un modèle d’affaires souvent très ouvert, n’incluant aucune activité de stockage ou de production, à la différence des organisations traditionnelles qui fonctionnent sur un modèle linéaire, autour de chaînes de valeur visant à acquérir des matériaux bruts (des inputs) pour en faire des produits et des services (des outputs) pour les vendre et dégager un profit », ajoutent les auteurs.

Ces modèles de plateformes ont ainsi détrôné les entreprises traditionnelles dans de nombreux secteurs. « Le modèle linéaire traditionnel est mis à l’épreuve, car les firmes modernes basées sur l’innovation sont moins linéaires et plus ouvertes à un processus de création de valeur partagé entre la société, ses partenaires, ses parties prenantes et ses consommateurs. » Les auteurs rappellent que, mi-2018, les cinq plus grosses sociétés de la planète étaient basées sur des modèles de plateforme (Apple, Amazon, Google, Microsoft et Facebook), alors que, deux ans plus tôt, seul Microsoft figurait dans ce Top cinq. « Les plateformes ne se contentent pas de créer de la valeur économique, elles se sont également imposées, souvent en très peu d’années, parmi les marques les plus connues de la planète », insistent les auteurs.

À partir du retour d’expérience des auteurs et d’études de cas précises, l’ouvrage propose un modèle, baptisé Rocket Model, pour concevoir, lancer, accélérer et défendre sa plateforme. Ce modèle repose sur cinq principes :

  • L’attraction : il s’agit d’atteindre une masse critique de producteurs et d’utilisateurs, ainsi que de définir les règles d’accès, d’engagement, les mécanismes de création de confiance et de concevoir l’infrastructure technique.
  • La mise en relation des participants à la plateforme.
  • La connexion, pour l’échange de l’information.
  • La transaction, pour acheter, se rencontrer, échanger ou contribuer.
  • L’optimisation, pour apprendre des données et améliorer l’expérience client.

Outre les bouleversements sur le marché du travail, les plateformes transforment les modes de management, par exemple dans les domaines de la planification stratégique, de la prise de décision, de la finance et de l’analyse de données. « Les plateformes vont soutenir des écosystèmes de plus en plus complexes », assurent les auteurs.

Face à ce qui constitue un mouvement de fond, comment réagir ? Les entreprises traditionnelles passent par cinq phases, résumées par les 5 D : déni (ignorer le fait), dénigrement (le minimiser), dissuasion (envoyer un signal fort, par exemple avec du lobbying, comme l’ont fait les taxis face à Uber), délai (avec des arguments juridiques), dollar (obtenir une compensation). Pour les auteurs, la réponse peut se résumer avec les 5 E : évaluer, engager/discuter, évoluer (dans l’organisation), encourager (le changement), encaisser (avec une vraie valeur ajoutée).

Platform strategy, par Laure Claire Reillier et Benoît Reillier, Dunod, 2018, 319 pages.