Lors de la dernière conférence CIO City sur l’organisation de la DSI du futur, plusieurs experts ont partagé leur vision des évolutions qui touchent les DSI : évolution des compétences, nouvelles générations, suprématie des processus métiers sur la technologie, exigences d’innovation et complexité accrue des SI.
« Under construction » : les DSI pourrait placer à l’entrée de leur bureau un panneau portant cette indication, à l’image des endroits en travaux… plus ou moins permanents ! À l’occasion de la dernière conférence annuelle CIO City qui s’est tenue en avril 2012 à Bruxelles, et dont le thème était l’organisation de la DSI du futur, plusieurs experts ont partagé leur vision. Il en ressort que les DSI, quel que soient le pays, le secteur économique ou la taille de l’entreprise, doivent se préparer à gérer cinq chantiers d’envergure. Hélas, il ne semble pas qu’il y ait possibilité, pour les DSI, de s’en affranchir. Tout au plus, ils peuvent gagner un peu de temps…
Car les cinq tendances de fond qui sous-tendent ces chantiers sont inéluctables : un changement de compétences (moins de technologies, plus de compétences métiers et de gestion des processus), un bouleversement générationnel (avec la fameuse génération Y), des exigences d’innovation pour suivre les rythmes technologiques, une numérisation rapide de l’ensemble des activités et un accroissement de la complexité des systèmes d’information.
1. Se préparer à chambouler ses compétences
On s’en doute, la population des DSI n’est pas homogène. Le eLab de l’Insead a établi une typologie en trois groupes et a mesuré leur importance respective. Le premier groupe rassemble les DSI plutôt orientés technologie et dont les missions essentielles portent sur le bon fonctionnement des infrastructures, des applications et des services, aux bons niveaux de coûts et de services. Au niveau européen, ils représenteraient 37 % (45 % en France) du total de la profession.
Le deuxième groupe concerne les DSI plutôt orientés processus, qui consacrent davantage de temps que la moyenne à s’intéresser aux processus métiers. Ils représenteraient 41 % des DSI européens (39 % en France). Le troisième groupe correspond au DSI plutôt orientés clients, une population qui pèserait 22 % des DSI européens (15 % en France). Pour chaque catégorie de DSI, des leviers sont à privilégier : « L’efficience pour les DSI orientés technologie, la coordination pour les DSI orientés processus, et l’innovation pour ceux qui plutôt orientés client », résume Nils Fonstad, directeur associé du eLab de l’Insead et coordinateur de l’étude.
Par rapport à leurs collègues européens, les DSI français demeurent plus orientés technologie et moins orientés clients. Mais à l’horizon 2014, l’Insead prévoit une évolution qui va dans le sens d’un poids plus important, dans les missions des DSI, consacré à la gestion des processus métiers. Avec une forte composante relationnelle : « En moyenne, les DSI passent un tiers de leur temps à interagir avec des collègues en dehors de la DSI et cette proportion va s’accroître », note Nils Fonstad.
2. Se préparer à un choc culturel
Paul Redmond, professeur à l’université de Liverpool, rappelle qu’en 2011, selon une étude de Camshare, l’usage de l’e-mail aurait chuté de 40 % parmi la population qualifiée de génération Y (personnes nées entre 1978 et 1999). « L’e-mail aura bientôt disparu en tant que moyen de communication privilégié sur les lieux de travail », assure Paul Redmond, qui précise que la génération Y, à l’inverse des générations précédentes, ne « travaille pas pour une entreprise », mais « travaille avec des individus ».
Et de citer les exigences prioritaires de la génération Y à l’égard des organisations qui l’emploient : des investissements dans l’acquisition de connaissances et le développement personnel, des collaborateurs traités comme des individus, un focus sur les opportunités à long terme, une flexibilité dans le temps de travail…
« Quand je demande à mes étudiants d’éteindre leur smartphone, je me rends compte que c’est aussi idiot que si je leur demandais d’enlever leurs chaussures », souligne Paul Redmond. De fait, la fidélisation des représentants de la génération Y est davantage basée sur l’intérêt du travail, la qualité des relations humaines avec le management et l’ambiance de travail que par la rémunération.
Les DSI français seront majoritairement orientés processus… mais en 2014 | ||||
2011 | 2014 | |||
DSI français | DSI européens | DSI français | DSI européens | |
DSI orientés technologie | 45 % | 37 % | 30 % | 22 % |
DSI orientés processus | 39 % | 41 % | 55 % | 49 % |
DSI orientés client | 15 % | 22 % | 15 % | 29 % |
Source : Three Ways to Thrive, How Chief Information Officers are enabling their organizations to grow and strenghten in today’s challenging economy, Insead eLab, CIOnet, 2012. Cette étude est disponible sur le site : http://blog.cionet.com. |
3. Se préparer à construire les fondamentaux de l’entreprise numérique
« Des modèles économiques numériques ? Toutes les entreprises en ont au moins un », assène Peter Weill, directeur du Center for Information Systems Research (CISR) de la Sloan School of Management du MIT (Massachusetts Institute of Technology), qui explique que l’on passe de la « marketplace » au « marketspace », autrement dit du physique à l’immatériel. Dans la première configuration, l’approche, intégrée, repose sur la vente de produits physiques, avec des modèles économiques traditionnels.
Dans la seconde, les biens et services sont intangibles et les modèles économiques reposent sur trois piliers : des plates-formes de services (infrastructures, technologies, données, savoir-faire…), l’expérience client et l’information sur les produits.
Pour Peter Weill, les DSI doivent se poser trois questions : quels sont les principaux challenges pour optimiser le modèle économique numérique ? Quel est le contenu numérique dans l’entreprise, est-il utile pour les clients et comment le créer en commun avec ceux-ci ? Pour les plates-formes, qui concernent en premier lieu les DSI, Peter Weill leur suggère de se poser les questions suivantes : quelle est la robustesse de ces plates-formes ? Qui les fait fonctionner ? Comment créer un effet de levier pour les clients ? Comment optimiser les composantes externes que sont, par exemple, le cloud computing, les partenaires, les données externes ?
Lorsque l’on demande aux entreprises de désigner lequel, parmi ces trois piliers (plates-formes, expérience client, contenus), va le plus contribuer à la création de valeur, sur une échelle de 1 à 10, le contenu arrive en tête (6,8 mais 8 pour les sociétés sur secteur IT), devant les plates-formes (6,4) et l’expérience client (5,6). « Notre étude sur 118 entreprises conclut qu’un contenu de qualité associé aux produits et services augmente à la fois les marges générées en ligne ainsi que le chiffre d’affaires, résume Peter Weill. Une bonne expérience client accroît les revenus générés en ligne et des plates-formes technologiques performantes améliorent les marges. »
De la génération X à la génération Y | |||
Génération | Baby boomers (1945-1961) |
Génération X (1962-1977) |
Génération Y (1978-1999) |
Image de référence | L’homme sur la Lune | La chute du mur de Berlin | Les attentats du 11 septembre 2001 |
Principales valeurs et comportements |
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Source : Université de Liverpool. |
4. Se préparer à l’innovation
« Aujourd’hui, les DSI sont exposés à une série de ruptures sans précédent autour de la mobilité, du cloud computing, des Big Data et des médias sociaux qui introduisent un changement fondamental, affirme Pascal Matzke, vice-président de la recherche chez Forrester. Auparavant, on connaissait bien sûr des vagues technologiques qui transformaient les métiers, avec les mainframes, les PC ou même Internet, mais, au moins, les DSI avaient le temps de les digérer et de s’adapter. Ce n’est plus le cas. »
Avec des exigences d’innovation qui entrent en jeu. « Les réseaux d’innovation vont remplacer les organisations verticales intégrées basées sur le modèle fournisseur-distributeur-client», assure Pascal Matzke, pour qui l’innovation combine nécessairement deux éléments : une invention et un modèle de commercialisation.
Pascal Matzke suggère aux DSI trois stratégies. D’abord, construire les fondations autour de deux questions : « Comment l’innovation peut-elle devenir une fonction centrale de l’organisation IT ? Et comment les DSI peuvent-elles s’insérer dans les processus d’innovation pilotés par les métiers ? » Ensuite, communiquer sur la valeur de l’innovation : « Comment peut-on mesure l’innovation et quel est le bon niveau de gouvernance dans de domaine ? », précise Pascal Matzke.
Enfin, pour ce dernier, les DSI jouent d’une certaine influence pour encourager l’organisation, tâche plutôt difficile. Le consultant a construit un modèle simple en montrant les limites de l’exercice, par exemple, souligne Pascal Matzke, « parce que vous êtes au comité de direction, certes, mais il ne se passe plus rien, parce que votre nouveau DG ne considère pas la DSI comme un partenaire stratégique ou encore parce que vous ne parvenez pas à adopter un langage métier pour communiquer. »
Les trois composantes d’un modèle économique numérique | |||
Le contenu : qu’est-ce qui est consommé ? | Information | Informations sur les produits, les fonctionnalités, les prix… |
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Produits | Produits numériques (par exemple logiciels, vidéos, e-books…) | ||
L’expérience : comment les produits et services sont-ils packagés ? | Expérience client |
Critères de décision d’achat, communautés, degré de personnalisation, interfaces… | |
Les plates-formes : comment les produits et services sont-ils distribués ? | Internes | Processus, données clients, technologies… | |
Externes | Infrastructures, réseaux publics, partenaires… | ||
Source : Center for Information Systems Research |
5. Se préparer à gérer la complexité
Comment définir la complexité d’un système d’information ? Pour Martin Mocker, directeur de recherche au Center for Information Systems Research, c’est « le degré de diversité et d’indépendance des produits et services d’une entreprise, des entités métiers, des différentes implantations géographiques et des relations avec des partenaires externes ». Sur une échelle de 1 à 5, les études menées par le Center for Information Systems Research concluent que la complexité s’établit à 3,5. « Une entreprise sur deux pense que sa complexité métier est comparable à celle de ses concurrents, une sur trois qu’elle est plus accentuée et une sur dix qu’elle est beaucoup plus forte », commente Martin Mocker, qui relativise ce consensus autour d’une complexité qui serait semblable d’une entreprise à l’autre : « Les managers ne voient pas ou peu la complexité chez les autres. » Mais la complexité est-elle un frein à la performance ou, au contraire, un levier ? « À cette question clé, les DSI interrogés se répartissent quasiment à égalité : 53 % estiment que la complexité les pénalisent, 47 % qu’elle est un facteur de compétitivité », ajoute Martin Mocker, qui met en exergue les trois dimensions de la complexité : le portefeuille de produits et services, les facteurs externes (réglementation, niveau de la demande des consommateurs, degré d’innovation technologique…) et la dimension organisationnelle. « L’IT aide les entreprises à générer de la valeur dans un contexte de complexité des offres de produits et services en adaptant les plates-formes technologiques et les processus pour être plus réactif localement », assure Martin Mocker.
Une nouvelle organisation de la DSI | ||
De… | Vers… | |
Positionnement de la DSI | L’IT comme fournisseur | Le management d’un portefeuille de services |
Mode de gouvernance | Tiré par les offres de technologies | Tiré par la demande des métiers |
Structure de la DSI | Centres de coûts indépendants | Vision consolidée de l’offre et de la demande de services IT |
Modes de « delivery » | « Plan-Build-Run » | Offres « as a service » |
Culture | Technologique | Métier/Lean |
Compétences | Baby boomers et génération X | Génération Y |
Source : Forrester |