Achats : les données, les processus et les compétences en ligne de mire

Les directions achats restent focalisées sur les réductions de coûts. Et comprennent que poursuivre cette quête passe par une meilleure exploitation des données, une analyse fine des processus et une reconfiguration des compétences, vers davantage de collaboration avec les métiers et les DSI. Que se passe-t-il dans la tête des directeurs des achats ?

On y trouve des priorités classiques et historiques et d’autres qui traduisent de nouveaux enjeux. Du côté des premières, c’est, logiquement, des préoccupations de réduction de coûts qui dominent toujours. Selon une étude de Deloitte (1), huit directions des achats sur dix se focalisent sur cet objectif, devant la gestion des risques (voir tableau). Du côté des nouveaux enjeux, la gestion des données, dans un contexte de transformation numérique, et les compétences deviennent des sujets sensibles. « Les trois-quarts des directeurs des achats voient leur rôle évoluer dans un environnement digital », a affirmé Magali Testard, responsable du conseil achats et Supply Chain chez Deloitte, lors d’un débat organisé par le CDAF-Conseil national des achats.

Remettre de l’ordre dans les données

Les directions achats placent l’analytique en tête des technologies qui auront le plus d’impact au cours des deux prochaines années, loin devant les ERP ou le cloud (37 %). Les applications analytiques sont diverses, depuis la prédiction du risque fournisseur jusqu’à la détection de fraude, en passant par l’intelligence artificielle et l’optimisation du portefeuille fournisseurs. Mais, souligne Magali Testard, « la question des données reste problématique pour une direction des achats sur deux. »

Quant aux compétences, c’est un domaine en tension : selon Magali Testard, 60 % des directions achats ne disposent pas des compétences pluridisciplinaires pour adresser leurs enjeux stratégiques, notamment pour l’analytique et les soft skills, utiles dans les relations avec les métiers.

Lors d’un débat organisé par le CDAF-Conseil national des achats, le 24 mars 2017, Joël Aznar, directeur de la gouvernance des master data de la fonction achats chez Schneider Electric, a justifié la mise en place d’une équipe dédiée au management des données et la fonction de BIO (Business Information Officer) : « Ne pas pouvoir gérer correctement les données devenait un problème et remettait en cause les investissements, il fallait identifier les propriétaires des données, la qualité de celles-ci s’améliore dès lors que l’on y porte attention. »

Pour Joël Aznar, cela suppose d’agir dans quatre domaines : les processus, les technologies, les données et les compétences. Dans l’enquête de Deloitte, le manque de qualité des données est cité, par les directions achats, comme la première contrainte (49 %), devant le manque d’intégration des données (42 %).

Se focaliser sur les processus plus que sur les solutions

Au Crédit agricole, une réflexion a été entamée sur la cohérence des données : « Quand on gère cinquante millions de clients, il faut penser parcours digital, on doit opérer le même mouvement pour les fournisseurs », précise Maxime Genestier, directeur des achats informatiques au Crédit agricole, où les achats IT pèsent 30 % des cinq milliards d’euros d’achats globaux annuels. Objectif du Crédit agricole : générer 220 millions d’euros d’économies. « Pour y parvenir, l’enjeu n’est pas de déployer une solution logicielle, mais de travailler sur les processus, cela impose d’y consacrer le temps nécessaire et de s’appuyer sur deux sponsors incontournables : la DAF, parce qu’il faut investir, et la DSI, parce qu’elle achète beaucoup. »

Le volet processus est également privilégié au PMU, qui a mis en place un plan de performance pour les achats, dont l’objectif est de baisser les charges de 7 % en trois ans, soit 18 millions d’euros d’économies, dans un contexte de marché « assez violent, avec notre cœur de métier qui se ringardise », résume Alain Resplandy-Bernard, directeur général délégué du PMU. « Nous nous sommes focalisés sur les processus, chacun de leurs responsables va chercher des économies, ce qui permet de couvrir les charges internes et pas seulement externes. »

Cela passe, selon lui, « par un consensus, au niveau du comité de direction, entre ceux qui vont chercher les économies (les responsables financiers et ceux des achats) et ceux chez qui on va chercher les économies, par exemple la DSI, le marketing et la communication », ajoute Alain Resplandy-Bernard, pour qui il faut également « faire sauter les verrous culturels, ce qui prend du temps. »

Réduire les coûts avec une approche collaborative

Chez Thalès, un plan de transformation des achats a été initié en 2015, dont l’un des objectifs est de gagner sur les sept milliards d’euros d’achats annuels, dont 70 % en local. « Ce n’est, a priori, pas facile dans un groupe marqué par une culture d’ingénieur, la volonté de toujours réaliser le meilleur et l’absence de compromis sur les fonctionnalités des produits fabriqués », souligne Pascal Bouchiat, directeur financier du groupe Thalès. Plusieurs axes sont privilégiés : agir sur la politique produits, par exemple en faisant intervenir les achats lors de la phase de design, identifier les acheteurs les plus compétitifs, décomposer les coûts de fabrication (full cost analysis) pour vérifier que les fournisseurs ne sont pas trop gourmands, ou pratiquer le Design to Buy, lorsque les acheteurs interviennent en amont du processus de design des produits.

« Il faut « choquer » l’organisation, mais dans le sens positif », suggère Pascal Bouchiat, qui privilégie trois principes pour « éviter que certains patrons de business units ne soient inquiets de perdre une partie de leur autonomie sur les achats ».

D’abord, établir un diagnostic. « Une business unit ne peut pas être efficiente toute seule sur ses achats, surtout pour les biens et services standards, il faut démontrer les gains d’une mutualisation et, bien sûr, s’engager sur des niveaux de services », explique Pascal Bouchiat. Ensuite, réaliser des projets pilotes : le principe consiste à reconsidérer le design d’une gamme de produits pour optimiser ses composantes achetées aux fournisseurs.

Enfin, mélanger les équipes : « Faire travailler ensemble les ingénieurs, les équipes marketing, les acheteurs et les financiers favorise l’innovation », assure-t-il. L’importance de cette approche collaborative est également mise en exergue chez Total, confronté à la chute des prix du pétrole : « Entre un tiers et la moitié de nos initiatives de baisse des coûts ont concerné le sourcing et nous avons intégré les juristes et les technologues dans la direction achats », indique Christophe Sassolas, directeur des achats du groupe Total.

Ce mélange des compétences reste le point noir pour les directions achats. Selon l’enquête de Deloitte, sur une échelle de 1 à 10, les directions achats estiment que le niveau d’efficacité de leur collaboration avec les métiers est à 7. Que faut-il pour que les directions achats deviennent des « partenaires de confiance » ? « Du leadership, de l’exécution et de la performance », résument les auteurs de l’étude Deloitte. Ce sont des principes universels qui s’appliquent également aux DSI…


(1) Growth : the cost and digital imperative, the Deloitte global chief procurement officer survey 2017, Deloitte, Odgers Berndtson Search Intelligence, 50 pages. Pour télécharger l’étude : https://www2.deloitte.com/us/en/pages/operations/articles/chief-procurement-officer-survey.html

Les leviers de création de valeur selon les directions achats en 2017
2014 2016 2017
La restructuration des relations fournisseurs existantes 31 % 31 % 23 %
La restructuration de la base de données fournisseurs 24 % 25 % 20 %
La maîtrise de la demande 17 % 17 % 18 %
La réduction des coûts de transaction 13 % 21 % 13 %
L’externalisation des activités non cœur de métier 12 % 14 % 12 %
Source : Deloitte.

 

Les priorités des directions achats en 2017
2014 2016 2017
Réduire les coûts 69 % 74 % 79 %
Gérer les risques 33 % 45 % 57 %
Améliorer le cash-flow 52 % 46 % 52 %
Source : Deloitte.