DSI, directeur des études ou de production ont souvent sous leur responsabilité un certain nombre de cadres intermédiaires, qui sont eux-mêmes managers. Ce sont ces derniers qui ont la responsabilité des équipes opérationnelles. Rien ne vaut des visites sur le terrain pour maintenir la cohérence.
Depuis quelques années déjà, ces managers sont soumis à un niveau d’exigence croissant : « Il ne s’agit plus seulement de livrer une application qui marche, il faut qu’elle soit attractive et que son utilisation soit un plaisir », observe Antoine Contal, coach Lean chez Operae Partners, qui est intervenu lors de l’événement USI (Unexpected Sources of Inspiration), organisé par Octo Technology, afin de présenter les « visites terrain », approche inspirée du Lean Management.. A cela s’ajoute un rythme de livraison de plus en plus rapide, avec des exigences fortes en terme de délais. Cependant, dans le même temps, les budgets sont, eux, au mieux stagnants, mais le plus souvent en baisse.
Dans ce contexte, où les DSI se retrouvent pris entre le marteau et l’enclume, se transformer apparaît comme une nécessité. Néanmoins, dès qu’une telle idée est émise, les objections se font fréquentes parmi les collaborateurs : « Nous sommes déjà au maximum de nos capacités », « il nous faut plus de ressources », « il va falloir lancer un chantier de réorganisation, ça va être très douloureux » (sous-entendu, il va falloir licencier, externaliser, passer en force…).
Pourtant, la transformation peut emprunter d’autres voies pour sortir de l’impasse. « En puisant du côté du Lean Management, il est possible de sortir du cercle vicieux pour mettre en place un cercle vertueux », assure Antoine Contal. La culture Lean propose, en effet, des outils permettant aux managers de sans cesse questionner leurs résultats par rapport à leurs objectifs, en analysant chaque expérience pour s’améliorer.
Pour instiller une telle culture dans une organisation, Antoine Contal insiste sur le rôle du DSI, qui doit développer les talents de ses cadres intermédiaires. Pour cela, « il faut pratiquer des exercices qui provoquent des déclics : pas de blablas, de la pratique, comme dans les arts martiaux. »
Ces exercices mettent en œuvre un principe fondamental du Lean, le « gemba walk », ou le fait d’aller sur le terrain, là où ça se passe. « Le contact avec la réalité peut secouer un peu, aussi faut-il le faire avec bienveillance », prévient Antoine Contal. Ce terrain, ce n’est ni une salle de réunion, ni le bureau du DSI, ni une discussion devant un reporting sans fin, mais bien l’échange direct, sans filtres avec ceux qui sont en bout de chaîne, ceux qui utilisent les applications produites par la DSI.
Des fonctionnalités qui « ne dérangeaient pas »
Prenons un exemple : dans une banque, un directeur des études (appelons-le Pierre) se voit régulièrement reprocher, par la direction générale, le fait que la DSI ne livre pas assez de projets, ce qui pose problème pour s’aligner face aux changements du marché. Dans le même temps, le budget de la DSI n’augmente pas.
Après avoir rapporté à l’un de ses managers, nommons-le Paul, l’existence de cette pression, celui-ci réagit classiquement en exigeant davantage de budget. Pour Pierre, le problème n’est pas là. Il emmène donc Paul dans une agence, afin d’observer avec lui comment un conseiller utilise l’application métier pour laquelle l’équipe de son N-1 vient de livrer une évolution majeure. Au bout d’un certain temps, un petit malaise se fait sentir : en effet, l’utilisateur ne touche pas aux nouveautés ajoutées lors de l’évolution.
Interrogé sur celles-ci, sa réponse est éloquente : « Oh, cela ne me dérange pas, je ne les utilise pas. » Les milliers de jours/hommes dépensés sur cette évolution avaient donc servi à créer des fonctionnalités qui ne seraient quasiment pas utilisées. De retour à la DSI, un débriefing avec Paul a permis de réorienter la réflexion sur la question de la valeur apportée par chaque projet.
Les visites terrain : pour qui ?
Ces visites sur le terrain impliquent en premier lieu le manager de managers et le ou les N-1 qu’il souhaite faire progresser. Elles peuvent également, dans un second temps, s’appliquer à toute la chaîne de managers concernés par le lieu choisi pour la visite.
Où aller ?
Les visites sur le terrain peuvent s’effectuer à de multiples endroits. Il peut s’agir d’aller à la rencontre des utilisateurs ou des clients, mais cela peut être tout simplement dans une équipe opérationnelle de la DSI. Antoine Contal suggère en particulier d’aller rencontrer les équipes en aval, celles chargées des tests ou de l’administration, qui « subissent » parfois les conséquences de choix effectués en amont. L’équipe de développement pourra ainsi tirer des enseignements bénéfiques en regardant comment travaille l’équipe chargée de la production, tandis que cette dernière profitera peut-être d’une visite au support.
Un exercice exigeant mais gratifiant
Pour pallier ces écueils, Antoine Contal conseille de commencer par des lieux où l’enjeu, pour la DSI, n’est pas trop important, en se contentant de regarder sans rien casser. « Une bonne visite de terrain doit provoquer le déclic dont le N-1 a besoin : il convient de rester focalisé sur les bons sujets, revenir sur eux en permanence, et il faut enseigner par l’exemple, en adoptant soi-même la posture souhaitée. »
Cette posture, le coach Lean la résume en cinq attitudes :
- Aller voir : dire « montre-moi » plutôt que juste écouter.
- Challenger : « L’idéal à atteindre est… ».
- Impliquer : « Votre rôle est important car … ».
- Développer : « Comment sais-tu que… », « Comment pourriez-vous aller vérifier que… ».
- Soutenir : « Je vais vous le procurer… ».
L’exercice est exigeant, car il faut quitter le confort des salles de réunions et persévérer pour qu’il démontre toute sa valeur. Néanmoins, il est également gratifiant, d’une part, parce que le DSI voit ses collaborateurs progresser ; d’autre part, car, lui comme eux, savent désormais ce qui se passe vraiment sur le terrain. Enfin, il contribue à un système d’information plus respectueux des utilisateurs, suscitant des remerciements.
Antoine Contal propose ainsi trois astuces pour tirer le meilleur profit de ces « gemba walks » :
- Prévoir un briefing avec le N-1 avant la visite et un débriefing après, car l’apprentissage a lieu par la reformulation de ce qui a été observé.
- Pendant la visite, regarder ensemble le problème.
- Si nécessaire, amener également une tierce personne, un « observateur bienveillant », pour accélérer la démarche et s’aider à progresser soi-même.
Autre exemple, toujours dans une banque : le DSI avait constaté qu’un nombre important de tickets remontaient sur une application de gestion des titres pour le grand public. Pour le N-1 du DSI, responsable de l’application, le problème venait d’utilisateurs qui ne maîtrisaient pas l’application. Il a donc décidé de consulter les dernières demandes reçues par le support, puis de rencontrer, avec son N-1, l’un des utilisateurs à l’origine d’un ticket.
En réalité, ce dernier se plaignait de faire des modifications sans savoir si celles-ci étaient prises en compte. En le regardant utiliser l’application, le DSI et son N-1 se sont aperçus qu’une fois le formulaire soumis en cliquant sur « Envoyer », l’application revenait directement sur la page d’accueil de l’utilisateur, sans afficher de message de confirmation. Le responsable de l’application a donc compris l’origine du problème, et une semaine plus tard, il est revenu avec plusieurs propositions d’améliorations peu coûteuses. En quelques mois, la DSI a ainsi réussi à réduire le nombre de tickets reçus de manière drastique.
Le discours du manager Lean
- Nos objectifs stratégiques sont…
- Mes objectifs d’amélioration sont donc…
- Mon plan de développement (qui doit apprendre quoi) est…
- Mes résultats jusqu’ici sont…
- J’ai appris au passage que…
- Ma difficulté principale est…
- Je compte la résoudre en…
Ce que n’est pas une visite terrain
- Des relations publiques : faire la promotion de la DSI n’est pas l’objectif.
- Une distribution de mauvais points : la tentation de rentrer dans une logique de blâme peut parfois être forte. Face à cela, il faut se concentrer sur le problème et ne pas accuser des personnes, faute de quoi l’exercice est contre-productif.
- Du micro-management : ces visites peuvent faire émerger de nombreux problèmes dont les solutions semblent évidentes. Néanmoins, le risque, en les énonçant, est de stériliser la capacité d’innovation des équipes et d’entraver le progrès du N-1.