Apple, société secrète ? À lire l’ouvrage du journaliste américain Adam Lashinsky, on n’a plus aucun doute. Un des chapitres est d’ailleurs intitulé : « Cultiver le culte du secret ». L’auteur précise : « À l’extérieur, Apple est révéré. À l’intérieur, c’est comme une secte, dans laquelle on ne donne aux novices que des bribes d’information. »
Un secret bien gardé, jusqu’au lancement des nouveaux produits. Et gare à ceux qui divulguent des informations, de manière intentionnelle ou non : « C’est le licenciement immédiat. » Et comme dans toutes les entreprises paranoïaques, la loyauté des collaborateurs n’est jamais supposée. En fait, la culture d’Apple est à l’opposé d’un autre grand de la Silicon Valley, Google, « où des affiches annonçant des activités externes sont accrochées partout. » Alors que « chez Apple, les salariés ne viennent au travail que pour travailler ».
Cette attitude se décline en termes de stratégie, résumée par l’auteur par : « Dominer ses amis, écraser ses ennemis. » Comme lorsqu’il s’agit de récupérer les marques iPhone et IOS, déposées par Cisco, d’attaquer frontalement les PC dans ses publicités, ou d’imposer sa loi aux éditeurs de musique pour leur fixer les prix qu’ils peuvent pratiquer sur iTunes. L’auteur fait le parallèle avec la géopolitique : « Le comportement d’Apple rappelle celui des états-Unis vis-à-vis de l’Otan pendant la guerre froide. Oui, il y avait une alliance. Mais il n’y avait qu’une seule superpuissance. » Apple met ainsi autant d’énergie à se frotter à ses concurrents qu’à séduire ses clients : « Elle fait preuve d’une grande subtilité pour charmer puis aliéner ses clients, même si eux aussi doivent se plier à des règes strictes pour pouvoir interagir avec elle. Les rabais n’existent pas pour les produits Apple. »
Inside Apple, de Steve Jobs à Tim Cook : dans les coulisses de l’entreprise la plus secrète du monde, par Adam Lashinsky, Dunod, 263 pages.
Malgré ces côtés négatifs, il est incontestable que le modèle Apple est une réussite, avec une valorisation boursière qui a dépassé les 500 milliards de dollars en 2012. Mais comment cela a-t-il été possible alors qu’il n’y a pas si longtemps, au milieu des années 1990, l’entreprise était en difficulté ? Adam Lashinsky identifie sept clés de succès. La première est évidemment de repenser le leadership, à commencer par celui de son fondateur, Steve Jobs. Celui-ci a largement contribué à révolutionner au moins quatre industries : les ordinateurs, la musique (avec iTunes), le cinéma (avec Pixar, un précurseur de l’animation numérique) et, bien sûr, la téléphonie, avec l’iPhone. Quelques mois avant son décès, en 2011, rappelle l’auteur : « Il s’apprêtait à écrire une nouvelle page de l’histoire de l’informatique qu’il avait déjà contribué, jeune homme, à façonner. Aux débuts triomphants du deuxième iPad, Jobs annonça le début de l’ère post-PC, signifiant par-là que l’informatique ne serait plus circonscrite à un bureau ou à un portable. »
Apple a également l’obsession de se concentrer sur ses produits et, surtout, leur design. Alors que la plupart des entreprises définissent des plans de production, une stratégie marketing, puis se préoccupent du design, chez Apple, le processus est inverse : tout le monde doit se conformer à la vision du designer. « Steve Jobs expliquait que la vraie force d’Apple était sa capacité à dire non, à tourner le dos à des fonctionnalités, à des produits, à des segments de marché. « Se concentrer donne de la puissance », disait-il », raconte l’auteur. Mais il faut aussi garder l’esprit start-up, et Apple accorde de l’importance aux petites équipes.
Une autre caractéristique d’Apple consiste à « engager des disciples » : « Quiconque travaille pour Jobs doit adopter un profil bas », résume l’auteur. Tim Cook, le successeur de Steve jobs à la tête d’Apple a dû lui aussi se plier à cette règle. « Steve Jobs développa un bataillon de lieutenants compétents et loyaux, des personnes qu’il continua à diriger jusqu’aux derniers jours de sa vie », raconte Adam Lashinsky.
Le succès d’Apple repose sur trois autres ingrédients : d’abord, « maîtriser son message ». Cela commence par un verrouillage de la communication et « un usage musclé des relations publiques » : « Avant de lancer, promouvoir et vendre un produit, Apple décide qui en parlera et à qui, quels seront les sujets abordés et quels membres de la presse auront l’honneur de pouvoir faire les interviews si convoitées. » Ensuite, il convient de « voir plus loin que son successeur » : « Pour être sûr de laisser son empreinte dans l’entreprise, Steve Jobs a fait bien plus qu’il ne l’a jamais laissé entendre publiquement », assure l’auteur. Avec un plan de succession dont le contenu n’a jamais été révélé. Steve Jobs « avait compris que l’un des plus grands défis auxquels étaient confrontées les entreprises établies était celui de la stagnation », ajoute Adam Lashinsky.
Enfin, il s’agit d’inspirer les imitateurs, même s’il reste très difficile d’imiter la culture d’Apple. Pour l’auteur, « le plus gros problème qui se pose pour qui veut imiter Apple est le fait que la culture de celle-ci a mis 35 ans à se construire et qu’elle porte la marque d’un entrepreneur extraordinaire ». Reste à se détacher de l’empreinte de Steve Jobs. Là non plus, cela ne sera pas facile : « Les dirigeants d’Apple doivent apprendre à ne plus se poser la question « Que ferait Steve ? », ils doivent faire ce qu’ils pensent être le mieux. » C’est peut-être le défi le plus difficile…