Architecture d’entreprise : la maturité ne suffit pas

Il y a quelques semaines, le père de l’Architecture d’Entreprise, John Zachman, était à Paris pour présenter son cadre méthodologique. Conçu en 1987, il pose les principes de la discipline aujourd’hui largement diffusés et repris dans la plupart des DSI. Cependant, ces dernières peinent encore à l’imposer comme une véritable fonction stratégique de l’entreprise. Et si, au fond, la maturité ne suffisait pas ?

Jusqu’à récemment, pour mettre en place un cadre d’architecture unifié, les entreprises n’avaient que l’embarras du choix, au point de se trouver souvent dans l’incapacité d’en faire un.

Régulièrement, elles prenaient leur parti de solutions plurielles ou de la construction en interne d’un cadre spécifique, adapté d’un ou plusieurs cadres du marché, de méthodologies éditeurs ou encore de celles de sociétés de conseil, enrichi de leurs retours d’expérience.

Pas même le Zachman Framework, cadre de référence par excellence n’avait réussi à faire l’unanimité. Bien que salué pour son excellente ontologie de représentation de l’architecture de l’entreprise, il est en effet souvent critiqué pour sa complexité de mise en œuvre.

D’autres initiatives se sont engouffrées dans ses brèches sans pour autant convaincre. L’arrivée de TOGAF en 1995 a marqué un tournant dans la volonté de standardisation au niveau international.

Mais il aura fallu attendre sa 9ème édition en 2009, pour que cette ambition se concrétise enfin. Concentré des meilleures pratiques du marché, TOGAF est complet et pratique tout en restant flexible. Cette qualité est, en effet, cruciale dans un domaine où l’adaptation est la norme.

Sa notoriété ne cesse de croître et il fait l’objet de nombreuses études d’implémentation ; plusieurs entreprises refondent leurs cadres de référence sur sa base. Autre preuve d’intérêt, si ce n’est de succès : il a inspiré une alternative gratuite le PeAF (pour Pragmatic EA framework), publiée fin 2008.

Des outils qui progressent

Côté de l’outillage, la première génération était centrée sur la modélisation des données, des processus, des systèmes et de leurs interactions dans une vision cadastrale et prospective. Aujourd’hui, l’offre se développe vers la gestion collaborative du cycle de vie des artefacts d’architecture.

En France, le marché reste encore relativement concentré autour des solutions historiques de modélisations telles que celles de Mega International, IDS Scheer, CaseWise ou encore IBM Rational System Architect, Objecteering et Enterprise Architect.

Côté anglo-saxon, sur un marché plus mature, on trouve à côté de ces mêmes éditeurs internationaux, des « pure-players» de la modélisation comme Avolution et Bizzdesign, mais aussi des produits résolument orientés vers la gouvernance architecturale comme ceux de Troux et Alfabet qui entendent fournir l’ERP de l’Architecture d’Entreprise.

Côté libre, si l’offre est abondante en termes d’outils de modélisation (Poseidon, StarUML, BOOML pour ne citer qu’eux), elle reste à développer en termes de gestion collaborative du processus d’architecture.

Pourtant, alors qu’on nous promet déjà une nouvelle génération de solutions encore plus intégrée et couvrant tout le spectre de l’architecture d’entreprise y compris la mesure de sa performance (modélisation, planification, revue, tableaux de bord, analyse…), les ventes de ces solutions progressent peu même dans les entreprises les plus standardisées.

Pour les petites entreprises, le doute est compréhensible. Mais, pour la cible de ce type d’outils, i.e. le marché des entreprises de taille moyenne ou grande, le marché semble pâtir du manque de visibilité des bénéfices que l’on peut réellement tirer des produits.

Encore trop souvent perçus comme de simples outils de modélisation, elles sont pourtant plus que cela : de véritables aides à la décision. Les architectes doivent convaincre les décideurs de la nécessité d’outiller le processus d’architecture.

Exercice d’autant plus délicat que d’une part les bénéfices restent difficilement quantifiables et ont une échéance à long terme et que d’autre part le déploiement requiert une conduite du changement soutenue et continue, sans oublier un effort conséquent de reprise d’un existant souvent disparate.

Une discipline qui peine à s’imposer

L’architecture d’entreprise reste encore trop souvent cloisonnée à l’informatique et n’a pas encore réussi à prendre pied côté métier.

Un sondage du cabinet Forrester (« The Profile Of Corporately Supported EA Groups », 2010) auprès de larges organisations (de plus de 5 000 personnes) confirme notre constat : seul 15% des départements d’architecture interrogés bénéficient du support de leurs directions métier.

Pour le reste des organisations sondées, l’Architecture d’Entreprise est perçue comme une problématique purement SI (40%) et n’apparait pas dans l’organigramme (32%). Dans certain cas (15%), la discipline est tout simplement ignorée car considérée comme un frein aux projets et initiatives métier.

Ce manque d’intérêt de la part les organisations et les directions métier est principalement dû à un manque de connaissance et de valorisation de la discipline au sein de l’Entreprise.

Pourtant, les sociétés qui ont réussi à concilier les objectifs stratégiques et les initiatives des architectes sont unanimes : l’Architecture d’Entreprise est garante de la cohérence du SI par rapport aux exigences métier.

Les facteurs clés de succès de l’Architecture d’Entreprise

La réussite des initiatives d’Architecture d’Entreprise passe donc par un rapprochement entre département d’architecture et directions métier. Pour cela, l’architecte doit comprendre et assimiler les objectifs stratégiques de l’Entreprise pour mieux les décliner sur le SI. A ce propos la création d’un rôle d’architecte métier, coté MOA, s’avère indispensable.

Ce dernier est le garant de la cohérence et de la standardisation du plan métier (processus métier, modèles de données informationnels, etc.). D’autre part, la mise place d’une démarche d’architecture à l’échelle de l’Entreprise nécessite un certain pragmatisme : limiter le champ d’application à quelques projets tactiques, adapter la méthodologie et l’outillage à l’existant et définir des indicateurs clés de performance pour démontrer la valeur de la discipline sont autant d’éléments à prendre en compte lors de la mise en œuvre d’une telle démarche.

Enfin, une structure organisationnelle adaptée doit être définie. La mise en place de bureaux des architectes garants de cette industrialisation auprès des différents projets est une solution éprouvée. En concentrant les compétences et ressources, elle permet de positionner la discipline au cœur de la stratégie d’Entreprise.


TOGAF en bref

TOGAF (pour The Open Group Architectural Framework) est le cadre d’architecture de l’Open Group. Sa neuvième édition réunit un ensemble de concepts pour construire, maintenir et s’approprier l’architecture de toute une organisation :
– La méthode ADM (Architecture Development Method) en constitue la clé de voûte et décrit le développement d’une architecture d’entreprise répondant à des besoins métiers.
– Des recommandations et techniques pour la mettre en pratique selon divers cas d’usage.
– Une philosophie de continuum d’entreprise pour la réutilisation des standards et bonnes pratiques.
– Un référentiel d’architecture et des modèles qui le peuplent pour couvrir l’ensemble des préoccupations de l’entreprise.


Cet article a été écrit par Jérôme Besson, consultant Solucom – practice architecture SI.