L’architecture d’entreprise intègre de plus en plus les problématiques métiers. Logique ? Oui, mais ce n’a pas toujours été le cas et, désormais, les architectes d’entreprise n’ont plus le choix. L’architecture d’entreprise est-elle sortie de son « ghetto technologique et méthodologique », dans lequel elle a été pendant longtemps enfermée ?
Peut-être… L’un des points-clés concerne l’orientation métier de l’architecture d’entreprise. Les consultants de Gartner prolongent même la tendance en soulignant le rôle incontournable des architectes d’entreprises pour accompagner les DSI et les entreprises dans leurs démarches de transformation numérique. « La moitié des entreprises ont une stratégie digitale, les architectes d’entreprises aident à identifier les leviers de performance et de réduction de coûts, affirme Marcus Blosch, vice-président de la recherche chez Gartner. C’est une opportunité, pour eux, de démontrer leur rôle. »
On comprend que les architectes d’entreprises ne doivent plus se focaliser sur les référentiels, méthodologies et autres « frameworks ». « Une telle approche, qui se concentre sur des résultats utiles seulement aux architectes d’entreprise, ne fonctionne plus, car elle est déconnectée des besoins métiers et IT », assure Brian Burke, vice-président de Gartner. Mieux se positionner face aux métiers suppose, pour Gartner, de diversifier les « livrables », regroupés en cinq catégories :
- ceux qui permettent de mesurer directement l’impact métier de l’architecture d’entreprise. Selon Gartner, seulement 44 % des entreprises disposent de telles métriques,
- ceux qui facilitent la prise de décision pour passer d’un état à un autre,
- ceux qui permettent de diagnostiquer les conséquences des décisions, par exemple avec des modèles simples et des outils d’analyse,
- ceux qui agrègent les informations collectées depuis différentes sources et fournissent des « inputs » pertinents à ceux qui prennent les décisions,
- ceux qui sont opérationnels, notamment les artefacts (documents ou modèles qui décrivent l’organisation logique des métiers sous leurs différents aspects, des flux d’informations et de communication…).
Architecture d’entreprise et performance économique
Une étude du Center for Information Systems Research du MIT (Massachussetts Institute of Technology) a également mis en exergue cet élargissement du rôle des architectes d’entreprise et, surtout, du lien positif entre la maturité des entreprises en matière d’architecture et leurs performances économiques, essentiellement pour les entreprises qui sont les plus avancées en matière d’environnements numériques facilitant l’intégration IT et métiers. Selon le MIT, quatre pratiques de management en matière d’architecture d’entreprise peuvent aider les entreprises à générer plus de valeur.
1. Rendre les coûts IT transparents. La transparence des coûts produit trois effets : l’assimilation, par les utilisateurs, des activités de la DSI à de vrais services, un contrôle plus efficace des coûts unitaires par la DSI et, du côté des métiers, une meilleure perception de la vraie valeur des technologies par rapport à leurs usages.
2. Intégrer la gestion des exceptions. Dès lors qu’une entreprise s’efforce de standardiser autour de principes, de méthodologies et de solutions d’architecture, il faut pouvoir gérer les exceptions ou les événements non prévisibles (par exemple la vente d’une activité). Comme la gestion des exceptions impose des compromis, il est préférable d’en avoir débattu en amont…
3. Systématiser les diagnostics post-implémentation. Des analyses systématiques de projets (avant, pendant et après leur réalisation) constituent de puissants outils d’apprentissage. Une réévaluation régulière pendant le projet permet de savoir si l’entreprise accroît ou non ses performances à court et long termes, et offre donc la possibilité aux managers de réorienter les projets en cours. De même, un examen rigoureux après la mise en place d’un projet aide à mesurer les conséquences et, si besoin, à investir plus de ressources.
4. Lier les investissements IT à la problématique d’architecture d’entreprise. Cela suppose de clarifier les priorités en fonction de ce que l’architecture d’entreprise peut apporter aux investissements IT. Cette démarche est, au départ, relativement difficile à formaliser mais, à mesure que les retours d’expérience existent, l’alignement entre les futurs investissements IT et les principes d’architecture d’entreprise est plus étroit.
« Alors que les discussions autour de l’architecture d’entreprise se concentrent encore trop souvent sur la définition et la construction des processus, il convient de prendre en compte une autre facette : la capacité des individus à comprendre et à améliorer en permanence les plateformes. Si ce point n’est pas pris en compte, même une architecture d’entreprise très mature ne suffira pas à générer automatiquement de la performance business, souligne Jeanne Ross, directrice de recherches au Center for Information Systems Research, en effet, l’architecture d’entreprise ne s’adresse pas seulement aux architectes : tout le monde doit s’y rallier. »
Pourquoi les architectes d’entreprise doivent-ils se focaliser sur les métiers ? « Parce que c’est le seul moyen de se faire reconnaître : les directions métiers ne prêteront jamais attention à ce qui sera fait tant que cela ne sera pas fait ! Et l’architecture d’entreprise ne délivre pas de valeur si elle n’est pas concrète », indique Brian Burke, analyste chez Gartner. Autrement dit, il est inutile de consacrer trop de temps à des activités qui ne démontrent pas de valeur… ou alors seulement à long terme. « La valeur métier n’est pas proportionnelle au temps passé », résume Brian Burke, qui conseille de se focaliser sur la définition des cibles, l’identification des facteurs clés de succès et des chaînes de dépendance entre les informations.
La consolidation du marché en retard
Sur le terrain, il subsiste toujours des sources de confusion. Henry Peyret, consultant chez Forrester, en a identifié trois, lors d’un webinar organisé pour le compte de l’éditeur Mega. La première concerne les outils. « Si vous êtes perdus quant au choix de la bonne solution ou si son déploiement est difficile, rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls », assure Henry Peyret. Et il n’est pas aisé de s’y retrouver : « Auparavant, on se focalisait sur la question des métamodèles, aujourd’hui c’est davantage sur la restitution de l’information auprès des parties prenantes », note l’analyste. En outre, comment se passe la cohabitation avec les autres solutions installées, en particulier pour récupérer les informations ? Une solution d’architecture d’entreprise doit-elle fournir ces fonctions ou peut-on se contenter d’outils de type ETL ou EAI ? « On ne peut malheureusement pas répondre simplement à cette question », avoue Henry Peyret.
La seconde source de confusion porte sur le décalage entre ce qui est attendu en matière d’architecture par les entreprises et ce qui est réellement délivré par les architectes. « Ceux-ci ne se focalisent pas toujours sur ce qui est attendu de leur part, en particulier l’agilité métier, ils restent encore trop orientés sur les standards », assure Henry Peyret. Pour ce dernier, « alors que les demandes des utilisateurs concernent des solutions pour supporter les architectures métiers et modéliser les processus de façon transverse, les architectes d’entreprise demeurent trop centrés sur une pure problématique d’architecture, et ne se posent pas suffisamment la question de la valeur délivrée. »
Enfin, la troisième source de confusion se rapporte au marché. Celui-ci se caractérise par une multiplicité d’acteurs, donc de solutions, et n’est pas vraiment en phase de consolidation active. « Les grands acteurs n’ont pas encore bien compris l’intérêt de procéder à des acquisitions pour investir en architecture d’entreprise de manière à mieux accompagner leurs clients pour déployer leurs plateformes », note Henry Peyret.
Attention à l’effort de déploiement et d’intégration
Malgré tout, le marché se configure en deux grandes catégories de solutions. D’une part, les solutions d’architecture d’entreprise historique, d’autre part, les solutions à vocation fonctionnelle plus large. « Les premières sont moins complexes, se concentrent sur la modélisation, la collecte et l’organisation des informations, mais délivrent moins de valeur », note Henry Peyret. « Les secondes apportent de la valeur en terme de création de rapports d’aide à la décision et d’analyse, elles demandent aussi davantage de temps pour l’intégration des sources de données. » Ce dernier point est important à considérer. Henry Peyret rappelle que si, pour un ERP, il faut investir l’équivalent de 3 à 5 fois le coût de la solution pour le mettre en œuvre, pour une solution d’architecture d’entreprise, le ratio est plus proche de 10. Pour le choix d’une solution, celui-ci conseille de prendre en compte le niveau de risque (appropriation, traitement de la qualité des données, capacité à consolider de manière durable…), le niveau de maturité de l’organisation (compréhension de l’architecture d’entreprise, langage commun…) et le contexte, afin de relier l’architecture d’entreprise à des enjeux métiers clairs. « C’est le point sur lequel les architectes d’entreprise pêchent le plus… », déplore Henry Peyret.
Architecte IT : le métier peine à attirer
Le site www.jobintree.com a publié son baromètre des métiers les plus recherchés, à partir de l’analyse, fin 2013, de plus de 75 000 offres d’emplois et plus de 720 000 actes de candidatures. Le métier d’architecte informatique figure parmi ceux qui génèrent le moins de candidatures, à la cinquième place, derrière les enseignants, les ergothérapeutes, les kinés et les psychomotriciens. Il ne s’agit pas ici de postes d’architecte d’entreprise, mais on peut se douter que la situation n’est guère plus favorable. Pour un taux moyen de candidature par offre en base 100 (soit environ dix candidatures par offre en moyenne), le nombre de candidatures pour les postes d’architecte informatique s’établit à 23. On pourra en conclure que ce métier offre un potentiel pour ceux qui veulent embrasser cette voie. Un potentiel en tous cas beaucoup plus élevé que pour des emplois qui génèrent des flots de candidatures dès qu’une annonce est publiée : dans le Top 3 des postes les plus prisés figurent conducteur de trains (27 fois plus de candidatures que la moyenne), Web designer (18 fois plus) et gardien d’immeuble (14 fois plus).
Les 13 mauvaises pratiques qui portent malheur
- Ne pas relier architecture d’entreprise, stratégie métier et processus budgétaire.
- Confondre architecture IT et architecture l’entreprise.
- Négliger complètement la gouvernance.
- Standardiser à outrance.
- privilégier le discours sur la réalisation des résultats.
- Respecter à la lettre les “frameworks” d’architecture l’entreprise.
- Conserver une approche de type « tour d’ivoire ».
- Ne pas investir en communication et surtout ne pas capitaliser sur les feedbacks.
- Limiter l’équipe d’architecture d’entreprise aux collaborateurs de la DSI.
- Ne pas élaborer d’indicateurs de mesure de la performance.
- Acheter d’abord une solution avant de se préoccuper des besoins et des fonctionnalités qu’elle doit couvrir.
- Se focaliser sur l’existant sans définir une cible à atteindre.
- Considérer que vous n’avez pas besoin d’architecture d’entreprise et que tout a déjà été fait dans votre organisation.
(Source : Gartner)