La dernière édition de la Conférence des praticiens de l’architecture d’entreprise a été l’occasion de revenir, à travers différents témoignages, sur la manière d’impliquer les métiers dans les démarches d’architecture.
Pour Eric Boulay, PDG d’Arismore et président de l’Architecture Forum France, « un des challenges dans la relation entre les informaticiens et les représentants des métiers réside dans la traduction des objectifs stratégiques en exigences opérationnelles et technologiques ». Une des pistes de réconciliation (dans le pire des cas) ou de rapprochement repose sur une démarche d’architecture d’entreprise.
« Elle traduit le mode opératoire de l’entreprise, elle impose d’établir une communication reposant sur un langage et des méthodes partagés par les parties, elle complète les descriptions fonctionnelles, applicatives et techniques des systèmes d’information, poursuit Eric Boulay. Ces différentes représentations étant nécessaires pour analyser les scénarios d’évolution des SI. »
« L’architecture d’entreprise décrit la vision stratégique de l’entreprise en différents « chantiers », en impliquant à la fois les métiers, la communauté des architectes et la DSI », précise Thierry Betmont, responsable du département Architecture et Infrastructure au PMU.
Le premier opérateur de paris européen a inscrit sa démarche d’architecture à la fois dans les changements de l’environnement économique et réglementaire, et dans les enjeux du système d’information. « Il s’agit à la fois de faire fonctionner le système d’information, car une heure d’indisponibilité peut occasionner plusieurs millions d’euros de pertes, de délivrer les projets (une soixantaine par an pour les métiers), de sécuriser dans la mesure où 90 % du chiffre d’affaires reposent sur une chaîne critique et d’innover avec, par exemple, l’usage de tablettes ou d’outils collaboratifs », précise Paul Cohen Scali, directeur adjoint des systèmes d’information du PMU.
Au Crédit immobilier de France, l’évolution de l’écosystème a rendu d’actualité une démarche d’architecture : caractère cyclique des marchés financiers, concurrence accrue sur le segment des prêts immobiliers ou encore essor de la gestion du crédit pour le compte de tiers. En 2009, une cartographie applicative met au jour la complexité du système d’information et une densité significative des flux interapplicatifs : « Pour 300 applications, nous avions 347 flux interapplicatifs et 300 types d’échanges différents avec les partenaires externes », témoigne Emmanuel Hector, DSI groupe du Crédit immobilier de France, pour qui cette phase de cartographie nécessite d’y consacrer tout le temps nécessaire.
En outre, l’organisation du Crédit immobilier de France, très régionale, gagnait à être plus concentrée. « Il y avait de nombreuses redondances applicatives, des redondances entre les systèmes, et un déficit d’agilité, résume Emmanuel Hector. La direction générale doit comprendre que le système d’information est son outil de production et de distribution : lorsque l’on montre, après avoir cartographié le système d’information, que l’on dispose de quatre systèmes de paie et de cinq systèmes de gestion électronique de documents, la direction générale comprend tout de suite qu’il y a un problème.
Autrement dit, il s’agit de constater ensemble, entre la DSI et la direction générale, que l’on souhaite suivre une trajectoire pour atteindre un but, mais que l’on ne dispose pas du « bon GPS ». » Le DSI du Crédit immobilier de France explique : « L’architecture n’est pas un projet technique. Au Crédit immobilier de France, elle est certes pilotée par la DSI parce que l’on était demandeur, mais la direction financière était également partie prenante. »
« Nous avons osé le mot « urbanisation » et comme nous opérons dans le secteur immobilier, le message a plutôt été bien compris », ajoute Emmanuel Hector. Le principe est de « faire rêver les métiers » avec une démarche pragmatique, même si cela prend du temps. « La cible d’architecture correspond à l’articulation de trois fonctions (assembler, produire et distribuer) avec deux leviers essentiels : la gestion des risques et la maîtrise des coûts. »
Dans ce domaine, la démarche doit s’appuyer sur des efforts en termes de communication : « Les entretiens avec les métiers, et nous en avons réalisé environ 150, prennent beaucoup de temps, avec également la direction générale, les managers intermédiaires, les métiers, la maîtrise d’ouvrage, les équipes de la DSI. Mais il faut démontrer l’utilité d’une démarche d’urbanisation, en repérant les moteurs et les freins et en insistant sur le fait que la démarche n’est pas un projet technique, mais un véritable projet de transformation de l’organisation. »
Pour Emmanuel Hector, associer les métiers et la maîtrise d’ouvrage à la démarche d’architecture passe par trois actions privilégiées : « Faire partager la cartographie applicative, travailler en ateliers sur les orientations métiers à un horizon de cinq ans et fédérer les besoins centraux et ceux des filiales. »
Les best practices du groupe Adeo | |
Principes d’action | Best practices |
Adaptation |
|
Pragmatisme |
|
Agilité |
|
Source : Adeo. |
Comment construire un plan de transformation métier ? « D’abord en réalisant moins de livrables d’architectes et davantage de livrables d’architecture », assène Renaud Phélizon, consultant chez Arismore. Pour ce dernier, un plan de transformation doit être « unique, utile et réaliste ». Unique parce qu’il ne faut pas d’abord réaliser un plan métier puis un plan système d’information.
« Il ne faut jamais penser que l’intendance suivra… », rappelle Renaud Phélizon. Utile et réaliste car il faut le coconstruire en rapprochant l’architecture, les métiers et les projets. « Les trois ne peuvent réussir qu’ensemble et il n’y a pas de transformation sans projet, car le problème, ce sont les interfaces entre ces trois composantes et elles ne sont pas normalisées », poursuit Renaud Phélizon. Ainsi, entre les métiers et l’architecture, il faut capter les besoins, en établir un ordre de priorité et clarifier les choix.
Entre les projets et l’architecture, il faut identifier les différents paliers et relier les trajectoires avec les projets. Entre les métiers et les projets, « c’est une question d’engagement et d’adaptation des différents acteurs. Il est possible de faire fonctionner ensemble ces trois interfaces, il faut juste essayer », commente Renaud Phélizon.
Même si l’architecture couvre, par définition, un périmètre étendu, le rôle du DSI reste central. « L’architecture est la science de la représentation et de la modélisation. Le rôle du DSI est triple : c’est l’acteur clé de la mise en place d’un dispositif de gouvernance opérationnel fondée sur l’architecture d’entreprise, il a une bonne expérience de l’architecture et une bonne compréhension de la complexité de l’entreprise à travers son système d’information, résume François Tabourot, directeur général de Mega International. Et qui sont les gardiens des business models ? Les DSI, même s’ils ne se nourrissent pas seulement d’initiatives informatiques. »
Dans un groupe très décentralisé avec des entreprises autonomes comme Adeo (Leroy Merlin, Bricomarché, Weldom…), « l’enjeu pour l’entreprise consiste à développer la distribution cross-canal afin de rendre le service le plus cohérent possible pour les consommateurs », précise Laurent Ostiz, architecte coordinateur multicanal du groupe. Ce dernier a créé une cellule d’architecture d’entreprise qui possède la particularité d’être rattachée à la direction marketing, elle-même rattachée à un membre du comité de direction.
« L’avantage d’une telle organisation est que cela facilite le dialogue entre les métiers et l’informatique : le sponsor nous aide et communique dans toute l’entreprise, mais il ne décide pas, il nous fait confiance et joue son vrai rôle de soutien et d’accompagnement », ajoute Laurent Ostiz, pour qui le métier d’architecte est avant tout « un état d’esprit, caractérisé par la curiosité, le pragmatisme, l’empathie avec les métiers, l’expertise SI et la capacité à résoudre les problèmes. » Pour sa démarche d’architecture, le Groupe Adeo utilise Togaf : « C’est un langage commun et une boîte à outils d’accélération », ajoute Laurent Ostiz. Deux projets sont en cours de finalisation : un référentiel de données (produits, clients, collaborateurs) et une plate-forme de publication cross-canal.
Les témoignages ont été recueillis lors de la Conférence des praticiens de l’architecture d’entreprise qui s’est déroulée le 20 septembre 2011 à Paris.