Le colloque organisé en juin dernier par l’Afai, le Cigref et l’Ifaci sur la gouvernance de l’entreprise numérique a été l’occasion de rappeler les bonnes pratiques dans ce domaine. Et de s’interroger sur les missions de l’audit et l’avenir de la fonction SI.
Dans les entreprises, quels sont les deux métiers qui peuvent appréhender, par leur vision et leur expérience, le paradoxe « entre la frilosité et la flexibilité, entre une hiérarchie intangible et un centre qui occupe tout l’organigramme », dans un contexte où « plus que jamais, la coopération entre les métiers, la fluidité des processus et le couple vitesse-discernement fondent la différence compétitive ? »
Réponse, proposée par le document de référence issu d’un groupe de travail commun entre le Cigref (Réseau de grandes entreprises), l’Afai (Association française de l’audit et du conseil informatiques) et l’Ifaci (Institut français de l’audit et du contrôle internes) : l’informatique et l’audit. L’interdépendance de ces deux métiers devient encore plus cruciale dans l’entreprise numérique. Ce thème a été le pivot du dernier colloque organisé par l’Afai, le Cigref et l’Ifaci, en juin dernier.
L’entreprise numérique amène les DSI à jouer de nouveaux rôles : « Quand on parle système d’information, on ne parle pas d’informatique », rappelle Régis Delayat, DSI du groupe Scor, qui identifie les impacts multiples de la « e-transformation des entreprises » sur la fonction SI : « L’appropriation du SI par les métiers, le décalage des SI par rapport aux attentes des entreprises, le SI qui devient acteur de l’offre de l’entreprise, un portefeuille de projets et des budgets en augmentation, le focus sur la gestion de l’information et des données en assurant une cohérence de globale, le renforcement de la sécurité, du contrôle interne, de la mise en conformité, et une dualité des systèmes entre production robuste et solutions agiles… » D’où un challenge plutôt difficile qui consiste à « gérer à la fois la complexité et la réactivité », résume Régis Delayat.
Ce dernier dessine le profil du DSI de demain : « On peut prévoir un DSI chef d’orchestre, entre pilote des changements et garant de la cohérence, leader de la transformation de l’entreprise, et plus que jamais au carrefour des échanges en interne et avec l’externe. Je crois à ce scénario. »
Audit et DSI : vers un rapprochement fonctionnel
De fait, dans un tel contexte, les modes de gouvernance s’en trouvent modifiés. Farid Aractingi, directeur Audit et maîtrise des risques de Renault rappelle qu’auparavant, « le directeur de l’audit interne était vu comme « l’homme de l’assurance », aujourd’hui il est davantage positionné comme un partenaire métiers, avec accès direct à la direction générale, avec un recentrage sur les sujets de gouvernance, les processus transversaux et les sujets qui « grattent » ».
On observe ainsi, de plus en plus, un rapprochement fonctionnel entre la gestion des risques, le contrôle interne et l’audit interne : « La moitié des entreprises ont d’ores et déjà réalisé un tel rapprochement entre ces trois fonctions », assure Farid Aractingi. Après une décennie qui a suivi les scandales financiers comme ceux d’Enron ou de Worldcom et considérablement renforcé les contrôles et les pratiques de gouvernance : « Le slogan de la gouvernance moderne est : formalisation-transparence-pouvoir de dire non », résume Farid Aractingi, pour qui « de nombreux dysfonctionnements naissent par manque de formalisation, dans des contextes d’urgence où il faut être plus réactif, mais au nom de cette flexibilité, on risque de négliger cette exigence de formalisation. »
La direction de l’audit interne pose légitimement quatre grandes questions. Comment les décisions ont-elles été prises ? Sont-ce les bonnes décisions ? Comment est-on sûr que la mise en œuvre est conforme à la décision ? Comment est-on sûr que le déploiement est efficient ? « Chacune de ces questions peut couvrir des domaines typiques d’une DSI », assure Farid Aractingi, par exemple pour l’alignement métiers, la gestion des compétences, la sous-traitance, l’architecture, le développement ou la maintenance.
De même, chacune de ces questions peut être traitée selon trois dimensions : la formalisation (référentiels, traçabilité), la transparence (pilotage, communication, tableau de bord) et le « pouvoir de dire non » (analyse des risques et des scénarios alternatifs). Jean-Pierre Bouillot, directeur de l’audit informatique chez Sanofi-Aventis, estime pour sa part : « Prendre le sujet de l’audit de la DSI sous l’angle de l’efficacité de son dispositif de pilotage rend possible un nouveau dialogue entre auditeurs et experts des systèmes d’information. L’audit interne, par son indépendance, par son objectivité et son lien privilégié avec la direction générale est l’une des fonctions qui peuvent supporter la dimension stratégique de la fonction système d’information. »
Dans le cadre de leur groupe de travail commun, le Cigref, l’Afai et l’Ifaci ont formalisé, dans un document d’une centaine de pages, les bonnes pratiques en matière d’audit de la gouvernance du système d’information. La gouvernance du SI concerne trois niveaux, de façon indissociable : le management, l’opérationnel et le support. « Il est en effet illusoire de vouloir positionner le SI au niveau stratégique si les opérations ne sont pas sous contrôle, explique Jean-Louis Leignel, consultant chez Mage Conseil. À l’inverse, un SI performant au niveau opérationnel ne garantit pas nécessairement sa contribution au développement de l’entreprise, et, en tout état de cause, les activités de « support » doivent contribuer à développer la transparence et la proximité entre la DSI et les métiers. »
Prendre en compte le contexte
Avec ce document, « l’ambition est de démystifier et décomplexifier la spécificité du SI pour le rendre accessible aux parties prenantes de l’audit, explique Patrick Geai, directeur de la gouvernance du système d’information à la direction du Courrier de La Poste. Il s’agit de donner aux auditeurs et contrôleurs internes la légitimité pour évaluer le niveau de maîtrise du SI et de donner l’assurance raisonnable que les processus métiers sont bien soutenus par le SI . »
Ce document est aussi intéressant pour les DSI. « Il facilite le dialogue avec la DG et les directions métiers et leur permet d’aligner le SI sur la stratégie de l’entreprise, de façon partagée et en toute transparence », poursuit Patrick Geai. S’il s’agit de créer les conditions d’une collaboration « ouverte et contradictoire », il est inutile de « tenter de reproduire les normes certifiantes dans leur complétude et leur complexité, et de tomber dans le piège d’une « conformité formelle » aux bonnes pratiques, les jugements des auditeurs devant être pondérés par la prise en compte du contexte organisationnel », rappelle Jean-Pierre Bouillot, directeur de l’audit informatique chez Sanofi-Aventis. En effet, comme le précise Georges Epinette, « la gouvernance ne peut s’apprécier en termes de performance et n’a donc pas de dimension comparative. Et ce n’est pas parce que la gouvernance est formalisée qu’elle est efficiente… et inversement ».
Vecteurs de gouvernance dans le domaine du management | |
Vecteurs | Quelques bonnes pratiques |
Planification du SI et intégration dans le plan stratégique de l’entreprise |
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Urbanisme et architecture d’entreprise au service des enjeux stratégiques |
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Gestion du portefeuille de projets orienté création de valeur pour les métiers |
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Gestion des risques SI en fonction de leurs impacts métiers |
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Source : Gouvernance du système d’information, guide d’audit, Cigref, Ifaci, Afai, 2011. |
Vecteurs de gouvernance dans le domaine opérationnel | |
Vecteurs | Quelques bonnes pratiques |
Alignement de la fonction informatique par rapport aux processus métiers |
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Maîtrise de la réalisation des projets en fonction des enjeux métiers |
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Fourniture de services informatiques conformes aux attentes clients |
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Pilotage des services externalisés |
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Source : Gouvernance du système d’information, guide d’audit, Cigref, Ifaci, Afai, 2011. |
Vecteurs de gouvernance dans le domaine du support | |
Vecteurs | Quelques bonnes pratiques |
Contrôle de gestion informatique favorisant la transparence |
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Gestion prospective des compétences informatiques |
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Gestion et mesure de la performance du SI |
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Gestion de la communication |
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Source : Gouvernance du système d’information, guide d’audit, Cigref, Ifaci, Afai, 2011. |
Françoise Mercadal-Delasalles, directrice des ressources, groupe Société générale : « Le DSI ne va pas disparaître, au contraire »D’une banque moyenne au milieu des années 1980, le groupe Société générale est devenu un groupe mondial avec 200 000 collaborateurs, dont la moitié hors de l’Hexagone. « Durant toute cette phase d’expansion, le pilotage a essentiellement reposé sur l’autonomie des nouveaux métiers et des nouveaux pays, explique Françoise Mercadal-Delasalles. L’IT a été asservie et se débrouillait pour accompagner la croissance. »La crise financière conjuguée à l’affaire Kerviel a amené des réflexions sur le fonctionnement et l’organisation. « Le système d’information a été caractérisé par une entropie croissante, avec 9 000 applications, ajoute Françoise Mercadal-Delasalles. Les coûts se sont accrus, de même que les risques opérationnels, du fait de la dispersion du SI. Au-delà de ces aspects coûts et risques, le SI était peu agile. » Et le DSI ne participait pas au comité exécutif. Une direction des ressources a été créée. Elle regroupe les systèmes d’information, l’immobilier, les achats, les processus et l’innovation, et dont la mission officielle est la suivante : « Développer l’efficacité opérationnelle et la productivité du groupe à travers l’industrialisation de processus, la mutualisation des ressources et la mise en œuvre de politiques assurant un accès efficient aux ressources (« sourcing »). » « En 2008, nous avons commencé à demander à la DSI de sortir de sa situation d’asservissement, autrement dit, de penser au-delà de l’alignement métier, pour penser transformation », explique Françoise Mercadal-Delasalles. D’où des réflexions, au sein d’une DSI forte de 12 000 personnes et d’un budget de 3,4 milliards d’euros, sur la mise en commun des applicatifs, des infrastructures et sur les macroprocessus. « Autrefois asservie aux métiers, l’IT a désormais le droit de donner son point de vue et de dire non », assure Françoise Mercadal-Delasalles. Par conséquent, assène la directrice des ressources de la Société générale : « Le DSI ne va pas disparaître, au contraire, le système d’information étant au cœur de nos activités, les métiers de l’IT sont les métiers de l’avenir. » |