Banques : le numérique contre la baisse des marges

Pour le secteur bancaire, la transformation numérique devient urgente. Les grandes banques ont beaucoup communiqué, début 2017, sur ce terrain. Au-delà des discours rassurants sur leurs capacités à réussir, il reste aux banques cinq challenges à gérer : humain, technologique, d’écosystème, client et sécuritaire.

Dans un entretien publié par le quotidien Les Échos (7 février 2017), Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas, a détaillé sa stratégie à l’horizon 2020. En particulier pour la transformation numérique dont les objectifs sont « de mobiliser les nouvelles technologies et les modes de travail plus collaboratifs et agiles, pour des expériences clients plus fluides, plus simples et des collaborateurs plus performants. » Avec, à la clé, des économies de 3,4 milliards d’euros jusqu’en 2020.

Pour une banque, la transformation numérique adresse trois enjeux : la baisse des marges, la structure du réseau de distribution (les agences) et les modes de management. Le DG de BNP Paribas en est d’ailleurs bien conscient, même si son groupe a dégagé 7,7 milliards de bénéfices en 2016 : « La digitalisation des services bancaires va enfin de pair avec une plus grande pression sur les marges de certains services comme les moyens de paiement. » Il ajoute : « Piloter un réseau d’agences, dès lors que plus de 20 % des clients se connectent chaque jour sur nos plateformes digitales, dont plus de la moitié via leurs mobiles, nécessite aussi d’adopter un management plus horizontal. »

La Société générale a, elle aussi, mis en avant les principes de sa transformation numérique. Le groupe, bien que très bénéficiaire, a enregistré une baisse de son résultat brut d’exploitation de -7 % en 2016. Pour Frédéric Oudéa, le n° 1 de la Société générale, « face à l’émergence des technologies digitales, mais surtout face aux demandes nouvelles des clients, les banques dites « traditionnelles » ont pris un virage considérable depuis 4-5 ans. » La Société générale entend « continuer à investir dans la transformation digitale », selon deux axes. D’une part, « capitaliser sur les nouvelles technologies pour améliorer l’expérience client » et, d’autre part, « déployer les solutions de banque mobile et en ligne et les transactions électroniques. »

Dans le classement Best Practices de la maturité des groupes du CAC 40 en matière de transformation numérique (1), les trois banques qui y figurent sont plutôt bien placées : BNP Paribas est notée CAA (2), le Crédit agricole et la Société générale sont notées AAA. La différence de notation traduit, pour BNP Paribas, un léger déficit du discours institutionnel sur les problématiques de systèmes d’information, qui sont pourtant tout aussi cruciales pour réussir la transformation numérique.

Celle-ci repose en effet sur un équilibre entre le système d’information (globalement, l’informatique) et le numérique, autrement dit entre le front office (ce que le client voit) et le back office. Le Crédit agricole, de son côté, a lancé plusieurs projets numériques, le rapport d’activités publié en 2016 en recense 17, caractérisés par « de nouvelles méthodes de développement en cycles courts. » Il s’agit, selon la banque, « d’offrir à ses clients de nouveaux usages et de nouveaux services au travers d’une architecture digitale repensée. Ainsi, la dématérialisation accélérée des services, des processus digitaux interruptibles et interopérables sur les différents supports (device), dans les domaines de l’entrée en relation, du crédit habitat, du crédit à la consommation ou de l’épargne, permettra aux clients et usagers d’apprécier une nouvelle expérience différenciante lors de leurs interactions avec la banque. »

Quant à LCL, « le plan Centricité Clients 2018 a pour ambition de mettre le client au centre d’une banque interconnectée, relationnelle et digitale, pour répondre aux attentes croissantes des clients et leur proposer un parcours fluide à l’occasion de leur contact avec la banque. » De son côté, BPCE a annoncé, en février 2017, son intention d’investir, sur quatre ans, 750 millions d’euros dans le numérique avec l’objectif de « faire simple ». Objectifs de BPCE à l’horizon 2020 : que 90 % des clients utilisent la banque en ligne, avoir 100 % des collaborateurs formés au digital et plus de 50 % d’entre eux qui utiliseront le réseau social d’entreprise. En parallèle, BPCE rationnalisera ses systèmes d’information et prévoit 87,5 millions d’euros d’économies à fin 2019.

Globalement, selon une étude IDC-Syntec numérique, plus de 75 % des entreprises du secteur financier ont déjà avancé sur le sujet de la transformation numérique. Mais seules 33 % des entreprises ont mis en place une stratégie numérique groupe, bien structurée et portée par un responsable de l’innovation/de la transformation disposant d’un budget dédié. Cette étude distingue trois familles de déclencheurs :

  • Les problématiques autour de l’expérience client, la connaissance client, l’analyse des données et le parcours client, l’évolution des habitudes de consommation et les besoins de fidélisation/rétention client.
  • L’amélioration des indicateurs clés de performance de l’entreprise comme le produit net bancaire, la marge et la rentabilité. Pour les banques, le numérique peut être aussi un levier permettant de réduire des coûts de structure importants.
  • La pression concurrentielle ressentie par les entreprises du secteur, qui vient à la fois des concurrents traditionnels, c’est-à-dire les autres banques et assurances, mais aussi des nouveaux entrants sur le marché comme les grands acteurs du Web, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les Fintech (prêts pour les particuliers, collecte d’argent, gestion de l’épargne…).

Les cinq challenges à réussir

Pour les banques, surtout pour les groupes de réseau, les efforts de transformation numérique vont devoir se poursuivre, voire s’accélérer.

Tous les groupes bancaires ont cinq enjeux principaux qu’ils doivent maîtriser : un enjeu humain, un enjeu technologique, un enjeu d’écosystème, un enjeu client et un enjeu sécuritaire.

L’enjeu humain : limiter les menaces sur l’emploi

En matière de transformation numérique, le plus long et le plus délicat reste de transformer le réseau de distribution et les modes de management, car l’emploi est en jeu. Rappelons que près de 20 % des salariés ont plus de 55 ans chez BNP Paribas, contre, par exemple, 14 % à la Société générale. Espérons que, sur les trois milliards investis par BNP Paribas pour se transformer à l’horizon 2020, une partie est dédiée à l’accompagnement du changement.

Pour les banques de réseau, tous les types d’emplois seront impactés, mais pas au même niveau. Pour les directeurs d’agence, le numérique va les obliger à transformer leurs modes de management (moins hiérarchiques, plus collaboratifs). Les conseillers financiers verront leur rôle challengé par les services et les banques en ligne, plus agressives commercialement.

Les plus menacés, à court et moyen terme, sont les gestionnaires de back office, du fait de la dématérialisation et de la part des opérations directement réalisables en ligne. À plus long terme, l’intelligence artificielle pourrait jouer un rôle d’accélérateur. Lors d’un colloque du Cigref sur la gouvernance de l’intelligence artificielle dans les entreprises, Françoise Mercadal-Delasalles, directrice des ressources et de l’innovation du groupe Société générale, a rappelé que « l’intelligence artificielle, les data et le Big Data sont complètement liés. »

L’enjeu technologique : la Blockchain en ligne de mire

Selon une étude Infosys-LTP, publiée début février 2017, plus de 80 % des banquiers interrogés s’attendent à voir l’adoption commerciale de la technologie Blockchain se concrétiser d’ici 2020, avec la moitié des institutions financières ayant déjà investi ou prévoyant d’investir dès 2017 dans cette technologie. L’étude confirme que le déploiement de la Blockchain sera prioritaire dans les secteurs d’activité où cette technologie peut considérablement améliorer la transparence, l’automatisation des processus entre les entreprises, ainsi que la réduction des temps de règlements et de transactions. L’étude révèle également que les cinq principaux cas d’utilisation qui devraient entrer rapidement en production sont : les paiements transfrontaliers, la gestion de l’identité numérique, la compensation et le règlement, la gestion des lettres de crédit et la syndication de prêts.

L’enjeu d’écosystème : apprivoiser les Fintech

Selon la première édition du World Fintech Report (WFTR) publiée par Capgemini et LinkedIn, en collaboration avec l’Efma, la moitié des clients des banques dans le monde font appel aux produits ou services d’au moins une Fintech. Selon le WFTR, les Fintech ont le vent en poupe auprès d’une clientèle jeune, technophile et aisée. Mais les établissements financiers classiques gardent, pour l’instant, une longueur d’avance en termes de protection contre la fraude, de qualité du service et de transparence. Ainsi, seuls 23,6 % des clients font confiance à leur prestataire Fintech, contre 36,6 % pour les établissements traditionnels. Toutefois, selon l’étude, les dirigeants des groupes financiers classiques sont « peu disposés à prendre des risques, les établissements traditionnels ont du mal à innover et 40,3 % des dirigeants estiment que la culture de leur entreprise ne favorise pas l’innovation. » La bataille se jouera sur la qualité de l’expérience client…

Ainsi, les Fintech vont pousser les banques à innover, du moins les banques de réseaux, car il y a une vraie menace en B2C. Mais le timing joue en faveur des banques traditionnelles. Il est peu probable que l’on observe de vraies ruptures à court ou moyen terme, plutôt de l’innovation incrémentale. Les banques vont davantage privilégier les stratégies d’alliances ou d’acquisitions de start-up et de Fintech, pour conserver le contrôle de leur base installée et des bases de leurs business modèles.

Car elles ne peuvent pas agir seules : « Depuis quatre ou cinq ans, la digitalisation fait se multiplier les pistes à explorer pour rechercher la véritable innovation de rupture, nous ne pouvons plus tout absorber seuls ; il n’y a que l’Open Innovation qui nous permette de tenir autant de fers au feu », explique Frédéric Laurent, directeur général adjoint en charge du Pôle innovation et opérations de Crédit Mutuel Arkéa, dans le baromètre Innovation et Open Innovation publié par Gfi Informatique et l’EBG.

L’enjeu client : éviter les fuites

« Les banques ne vont probablement pas complètement disparaître. Le risque d’ubérisation n’est pas le plus important. À l’ère digitale, le risque majeur est certainement celui de la désintermédiation de la relation entre le client et la banque », assurait, en mai 2016, Françoise Mercadal-Delasalles, directrice des ressources et de l’innovation du groupe Société générale, lors du colloque Cigref « Designer l’entreprise 2020 ».

C’est effectivement sur ce terrain que la bataille numérique peut se jouer entre les banques traditionnelles et les nouveaux entrants (Fintech, mais aussi les opérateurs comme Orange Bank). Une analyse, menée par Eptica en 2016, a dressé un constat pour le moins mitigé de la situation sur le terrain, avec l’étude du service client en ligne des banques : par exemple, en dépit de l’effort d’investissement réalisé dans les FAQ statiques, les outils de self-care montrent rapidement des limites. À dix questions basiques que se posent les internautes, il est possible de trouver seulement 29 % de réponses en moins de 2 minutes sur les sites des banques. De même, en terme de taux de réponses, l’e-mail est décevant : 60 % des questions posées restent sans réponse.

Il faut donc reconquérir les clients. Les auteurs d’une étude Sopra Banking sur ce thème (3), réalisée auprès de 5 000 clients dans l’Union européenne, estiment qu’il est « temps pour les banques de sortir de leur zone de confort, la banque devient une commodité. Et même plus, une commodité ennuyeuse. Pour les clients, toutes les banques se ressemblent, les plus traditionnelles perdent de leur attrait. Les clients en veulent plus et y sont prêts : la rupture est imminente. » Géants de la technologie, du e-commerce, réseaux sociaux, acteurs de la grande distribution et opérateurs de télécoms : tous font aujourd’hui figure d’alternative crédible. D’ailleurs, 57 % des clients des banques traditionnelles seraient prêts à souscrire à des services financiers auprès de l’un de ces acteurs, selon l’étude Sopra Banking.

D’autres études confirment cette tendance : aux États-Unis, révèle une étude Saleforce sur les banques de détail, 62 % des baby-boomers américains ont déjà eu recours aux services de Fintech pour des opérations de paiement de base, même si les agences physiques conservent une place importante. Une analyse de Xerfi sur « la réinvention de la relation client dans la banque et l’assurance » estime que « les banques peuvent mieux faire en matière de relation client : l’efficacité et le niveau de compétences des interlocuteurs dans les banques ne sont pas à la hauteur des attentes des clients. Tout l’enjeu consiste ainsi à allier présence physique et digitale pour établir avec le client un rapport personnalisé. »

L’enjeu sécuritaire : les attaques au plus profond du SI

Lors de la présentation du panorama de la cybercriminalité, le Clusif a mis en exergue le fait que les banques sont toujours des cibles de choix, avec des attaques de plus en plus diversifiées. Pour Gérôme Billois, consultant chez Wavestone, « les attaques vont de plus en plus en profondeur dans le système d’information, y compris dans les systèmes anti-fraude. » Le cas le plus emblématique étant la banque du Bangladesh, en 2015, qui s’est fait dérobé 81 millions de dollars via des flux interbancaires et qui a entraîné la démission du directeur général. On peut bien sûr considérer que les banques du tiers monde sont plus vulnérables que les établissements occidentaux mais, en matière de sécurité, le pire est toujours possible, les contrôles internes présentent toujours des failles, on l’a vu avec l’affaire Kerviel.

Selon Symantec, plus d’une centaine d’organisations issues de 31 pays ont été victimes de tentatives de cyberattaques depuis octobre dernier. Les cyber attaquants ont utilisé des sites Web compromis ou des attaques par « point d’eau » pour infecter des cibles présélectionnées. C’est le cas d’une banque polonaise qui a décelé un logiciel malveillant sur un certain nombre de ses ordinateurs et a partagé des indicateurs de compromis (COI) avec d’autres institutions. Elles ont ainsi pu découvrir qu’elles avaient également été exposées.

Cette question de la sécurité est plus large, elle inclut également la transformation du SI et les aspects réglementaires. Pour Jean-François Marie, directeur produit, solutions et alliances de NetApp, « les équipes informatiques des banques ont de multiples enjeux à gérer. Le premier, et le plus général, au-delà de la digitalisation des services, est celui de l’accès aux données depuis n’importe quel périphérique. De tels services supposent une profonde transformation des infrastructures informatiques. Les données doivent être convertibles sous un format unique et accessible.

Le second aspect, qui explique partiellement la frilosité des services financiers à développer leur infrastructure digitale, est celui de la cybersécurité. Le troisième aspect à prendre en considération est celui de la réglementation qui impose aux établissements financiers d’exercer un contrôle permanent sur leurs données, où qu’elles soient situées. Le dernier aspect est celui de la gestion des données, dont le volume croît exponentiellement. »


Les cinq piliers de la transformation digitale de BNP Paribas

  • De nouveaux parcours clients digitalisés et personnalisés.
  • Une simplification du modèle opérationnel.
  • Une adaptation des systèmes d’information.
  • Une meilleure utilisation des données clients.
  • Des modes de travail plus agiles.

Blockchain, de quoi parle-t-on ?

La technologie Blockchain va-t-elle révolutionner l’éco­nomie ? Beaucoup le pensent. Don Tapscott, économiste américain, co-auteur de l’ouvrage « Blockchain Revolution », estime ainsi que c’est la plus importante innovation technologique, car c’est la première fois qu’il n’y a plus d’intermédiaire pour capturer la valeur. Il anticipe même la fin des entreprises et l’avènement de communautés décentralisées d’agents autonomes.

Mais qu’est-ce que la Blockchain ? L’association Blockchain France la définit de la manière suivante : « Technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, fonctionnant sans organe central de contrôle. » Concrètement, la Blockchain est une vaste base de données qui regroupe l’historique de toutes les transactions entre ceux qui l’utilisent. Les échanges sont ainsi enregistrés en quasi temps réel et cette base de données est sécurisée et distribuée : elle est partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité de la chaîne.

Vers une remise en cause des tiers de confiance

La technologie Blockchain a été décrite pour la première fois, en novembre 2008, par Satoshi Nakamoto (pseudonyme d’un groupe d’auteurs), dans un article intitulé « Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System », détaillant un « système de transactions électroniques non basé sur la confiance ». La Blockchain a trouvé sa première application concrète avec le Bitcoin : ni monnaie scripturale, ni monnaie fiduciaire, cette monnaie virtuelle est apparue sur fond de crise de confiance (et de crise financière…) à l’égard des monnaies nationales et des banques.

Les créateurs de cette monnaie virtuelle estiment, en effet, que le système actuel est vulnérable, car supervisé par des organisations humaines. Face à ce constat, la Blockchain est considérée comme une alternative, du fait de son caractère décentralisé et de son inviolabilité. Certains analystes décrivent la Blockchain comme un « Internet du transfert de valeurs », dans la mesure où ce transfert s’effectue en tenant à jour un « grand livre de compte » (Ledger) infalsifiable, présent à l’identique sur une multitude de machines. L’analogie avec le fonctionnement d’Internet est claire : comme la Blockchain, Internet s’appuie sur un réseau de réseaux où l’information est transmise grâce à un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données, qui permet de nombreuses applications, comme la messagerie électronique, les discussions instantanées ou le peer-to-peer, sans que les échanges ne soient contrôlés par un point central.

On conçoit aisément que la suppression des tiers de confiance (les banques, les États, les assureurs, les notaires, les acteurs de l’économie collaborative…) permise par la Blockchain remette en cause l’ordre traditionnel tel que nous le connaissons, en remplaçant les infrastructures basées sur des tiers de confiance par une nouvelle infrastructure de confiance décentralisée, anonyme, sûre, moins coûteuse et plus fiable… Au-delà de la monnaie virtuelle, les applications potentielles de la Blockchain sont multiples, car elles visent à la fois à réduire les coûts, simplifier les échanges, garantir l’intégrité et la traçabilité des transactions.


(1) Cf. Best Practices SI, n° 182, 28 novembre 2016 et Executive Business Review, n° 2.
(2) Le digital rating de chaque groupe du CAC 40 est basé sur trois critères : le fait que le rapport annuel et/ou le document de référence aux actionnaires cite les systèmes d’information, le fait que le numérique soit cité et la place qui est accordée à ses problématiques. À chaque critère est associé une lettre : A (bon), B (moyen), C (faible ou inexistant). Les trois lettres associées forment la notation.
(3) Reconquérir le client, Sopra Banking.