Bâtir un écosystème d’information ouvert : l’exemple de l’Etat de Genève

L’État de Genève, appuyé par un plan stratégique des systèmes d’information, a bâti un écosystème d’information ouvert. Objectif majeur, pour Jean-Marie Leclerc, Directeur général du Centre des technologies de l’information du Canton et de la République de Genève : transformer les données en informations et les informations en connaissances.

Vous dirigez le Centre des technologies de l’information de l’État de Genève : quel est son rôle ?

Jean-Marie Leclerc  Le Centre des technologies de l’information dépend du Département des constructions et des technologies de l’information, qui est l’un des sept départements de l’État de Genève, au même titre que les finances, l’économie et la santé, la solidarité et l’emploi, les territoires…

Nous sommes certes directement rattachés à un département, mais nous avons la responsabilité de l’informatique pour l’ensemble des départements.

Le CTI est responsable du « socle » des systèmes d’information de l’État de Genève, ce qui correspond aux matériels, logiciels et moyens nécessaires pour garantir le bon fonctionnement des systèmes informatiques et des télécommunications de l’administration cantonale genevoise.

Il est composé de quatre directions : un pôle clients, chargé du suivi de la relation client, notamment en analysant les besoins des services, et en élaborant avec eux leur stratégie informatique et son évolution ; un centre de solutions (développement, centre d’expertise ERP, intégration, qualité et tests…) : une direction infrastructures (pour les réseaux et télécoms, les architectures, les systèmes et gestion de données) et une direction services, pour les postes de travail, la gestion des biens informatiques, l’exploitation, le pilotage, l’éditique… Quelques entités y sont directement rattachées, notamment le Project Management Office (PMO), le Centre d’expertise et de gestion, l’Observatoire technologique et le programme AEL (Administration en ligne).

Comment considérez-vous l’administration en ligne ?

Jean-Marie Leclerc  Pour nous, c’est un changement total de relation entre le citoyen et l’Administration, entre administrations, ainsi qu’entre les entreprises et l’Administration. L’Administration en ligne nécessite donc une organisation totalement nouvelle. Auparavant, nous gérions des applications pour les services internes de l’Administration qui, eux, de leur côté, géraient les relations avec leurs clients.

Aujourd’hui, la technologie crée des liens directs avec les citoyens. Désormais, il nous faut répondre directement aux questions du citoyen. De fait, le système de l’Administration en ligne présente plusieurs volets : l’identification (qui doit être unique, avec une sécurisation des données et des accès), les connaissances, la transformation des procédures de gestion de la réponse à la question du citoyen et l’exploitation des différents systèmes d’information.

Le budget annuel de l’État s’élève à sept milliards de francs suisses, et si l’on arrêtait l’informatique, nous aurions le même problème que dans les entreprises privées : nous n’aurions plus de rentrées fiscales, par exemple ! Cela nous oblige à nous transformer en permanence.

Cela vous oblige notamment à gérer d’énormes quantités de données, comment faites-vous ?

Jean-Marie Leclerc  Dans la mesure où l’on place le citoyen au cœur des réflexions et que l’on ouvre le système d’information, cela complexifie le travail de création de valeur par les données. On peut toujours externaliser le help-desk, les développements, la gestion des infrastructures… Mais on ne peut pas adopter une telle stratégie pour garantir la gestion des données du citoyen.

En effet, au moment où celui-ci nous sollicite, nous devons être capables d’y répondre rapidement et correctement. Une administration se caractérise aujourd’hui par la valeur de ses données.

Il faut aller plus loin, en d’autres termes : à partir des registres des données et de nomenclatures, avec la collaboration de l’ensemble des départements, qui travaillent tous de manière différente, transformer notre stock de données en savoir, mais comment ?

Il s’agit en fait de transformer la donnée en information, puis l’information en connaissance et, enfin, la connaissance en savoir. On comprend dès lors que l’objectif n’est plus d’ordre technologique mais qu’il s’agit de fédérer un écosystème, avec une nouvelle approche sociétale. C’est ce que l’on met en place aujourd’hui pour l’État de Genève.

Quelles sont les étapes pour décliner une telle stratégie ?

Jean-Marie Leclerc  Nous avons d’abord utilisé une approche de cartographie des systèmes d’information, en dépassant toutefois le stade de la simple cartographie pour privilégier une vision commune. Ce travail de cartographie des systèmes d’information a mis en exergue le fait que les processus métiers de l’Administration étaient soutenus par des SI nombreux, non coordonnés et de dimensions variées. C’est le produit de trente ans d’histoire…

Résultat : nous avons identifié des récurrences au niveau des divers composants du système d’information (données, applications, solutions techniques). Nous disposons aujourd’hui de 1 400 cartes. Nous avons également mis en évidence, au sein des différents départements, les systèmes d’information qui sont stratégiques et, par construction, nous en avons déduit une vision globale de notre patrimoine.

Nous l’avons estimé à environ un milliard de francs suisses (environ 750 millions d’euros), dont 200 millions (environ 150 millions d’euros) pour les matériels, le reste pour les applicatifs et les autres composantes du système d’information. Or, ce milliard de patrimoine n’est recensé nulle part !

À un horizon de quatre ans, nous souhaitons mettre en place un plan de financement de nos systèmes d’information basé sur cette évaluation de notre patrimoine. Il doit être inscrit dans la comptabilité en termes d’immobilisations.

Nous avons défini un plan stratégique des systèmes d’information, pour la période 2009-2013, qui couvre tous les métiers (finances, transport, social, santé, sécurité…). Ce plan stratégique est basé sur trois axes : l’information est considérée comme ressource stratégique, l’organisation et la maîtrise de nos systèmes d’information, l’ouverture vers les citoyens et les entreprises.

Sur le premier axe, nous estimons que l’information est primordiale au sein du secteur public puisqu’une grande part des tâches qui incombent à ce dernier ont trait à la gestion et à la mise en valeur du capital informationnel, que ce soit au niveau de la prestation de services, de la nécessité de recueillir des données, de la prise de décision, de la responsabilisation à l’égard des résultats ou encore de la préservation du patrimoine.

L’État n’est, dans la plupart des cas, que le dépositaire de cette information. Il doit en garantir la valorisation, la pérennité, la sécurité et l’indépendance.

Sur le plan de l’organisation et de la maîtrise des SI, c’est la logique de création de valeur qui prévaut. D’où des impératifs d’alignement, de gestion de la complexité et des ressources, de flexibilité, de vision d’architecture d’entreprise et de pilotage par des indicateurs, des tableaux de bord et des outils d’aide à la décision.

Quant à la notion d’ouverture, elle ne prend toute sa valeur que si l’on sait aller au bout de la démarche en y incluant la plus grand nombre d’utilisateurs potentiels. Sans oublier que tous les usagers de l’Administration ne sont pas des « digital natives » !

Dans une perspective plus large, il faut envisager une mise à disposition de nos données pour les citoyens et les entreprises en leur laissant le loisir de les valoriser, au-delà de ce qui est dévolu à l’Administration et d’en faire profiter le plus grand nombre. Les technologies actuelles (Web 2.0, mashups) le permettent.

Pour transformer les systèmes d’information en systèmes d’information sociétaux, nous utilisons la notion « d’énergie », entre trois composantes que sont les métiers, l’information et les infrastructures.

Entre le métier et l’information, l’énergie métier correspond à la connaissance et à l’intelligence ; entre l’information et l’infrastructure, l’énergie informatique regroupe le stockage et les banques de données ; et, entre l’infrastructure et le métier, il s’agit de l’énergie informationnelle (les services). L’ensemble est soutenu par une architecture d’entreprise, basée sur une nomenclature transversale de données et des processus également transversaux de transformation de données.


Les principes fondamentaux d’un écosystème d’information ouvert

Interopérable : il permet, grâce à la mise en œuvre de standards ouverts, l’échange, la réutilisation et l’interprétation des données au travers de différentes architectures et organisations.

Centré sur l’utilisateur : il donne la priorité aux services répondant aux besoins des utilisateurs par rapport aux contraintes matérielles et logicielles.

Collaboratif : il permet aux gouvernements, mais aussi aux entreprises et à la société civile, d’innover et de faire évoluer les projets en fédérant les efforts pour résoudre les problèmes ; ce principe s’applique de façon aussi bien interne qu’externe aux organisations en s’appuyant alors sur la notion de partenariat.

Pérenne : il maintient un équilibre et une durabilité, tout en répondant aux contraintes organisationnelles, techniques, financières et légales de façon à permettre son évolution et sa croissance.

Flexible : il s’adapte aux nouvelles informations, technologies, protocoles et relations en les intégrant et en permettant la création de nouveaux marchés et de nouveaux processus gouvernementaux.

Source : Plan stratégique des systèmes d’information – État de Genève – 2009-2013.


Les différents niveaux de cartographie d’un système d’information
Niveau de cartographie Question Périmètre
Métier Quels métiers ? Cartographie métier : prestations de l’État, processus métiers, procédures…
Fonctionnelle Quoi ? Plan d’urbanisme et modèle de données métiers (MCD) : fonctions du SI permettant de supporter les processus métiers, informations métiers…
Applicative Comment ? Cartographie applicative : applications et progiciels…
Technique Avec quoi ? Cartographie infrastructure technique : base de données, serveurs, réseaux…
Source : Club Urba-EA, CTI Genève.
Un exemple de tableau de bord stratégique
Objectifs Mesures
 Urbaniser les SI
 Connaître les SI existants  Nombre de cartographies par couche et par SI
 Disposer de SI cibles  Nombre de cartographies cibles par couche
  Développer l’interopérabilité
 Intégrer les données depuis un référentiel source  Pourcentage de solutions informatiques respectant ce but
 Mutualiser les processus métiers  Pourcentage de processus mutualisés
  Améliorer la dématérialisation
 Augmenter l’efficience de l’administration  Pourcentage de documents dématérialisés
 Mise à disposition du patrimoine informationnel
  Promouvoir le pilotage par indicateurs
 Améliorer l’aide à la décision  Pourcentage d’indicateurs fournis par anticipation
 Faciliter la vision prospective des activités de l’Administration  Qualité de la prévision des indicateurs métiers
Source : Plan stratégique des systèmes d’information – État de Genève – 2009-2013.