L’accélération des investissements dans le cloud aggrave les risques de perte de maîtrise, notamment pour les aspects financiers. Services non ou mal utilisés, manque de transparence des offres, complexité des factures, les dérives potentielles ne manquent pas. L’une des voies d’optimisation réside dans la mise en œuvre d’une démarche Finops.
L’étude Insight European Intelligent Technology Index, publiée en 2019, avait révélé qu’un tiers des dépenses cloud correspondaient, en réalité, à des services inutilisés. Au niveau mondial, cela représenterait environ dix milliards de dollars ! Les entreprises mettaient en exergue trois difficultés majeures : la détermination des workloads qui se prêtent le mieux au cloud public, privé ou hybride, les difficultés de prévision et d’affectation des budgets pour la consommation de services cloud et le manque de visibilité des services utilisés en termes de centres de coût, de workloads et d’applications. Compte tenu de ces problématiques, il est probable que le montant des dépenses gaspillées soit encore plus élevé, alors que les entreprises peinent à optimiser leurs investissements cloud.
Réduire les coûts, accélérer l’innovation
« 80 % des entreprises françaises ont opté pour le multi-cloud, dont 70 % sont déçues, car elles ne s’y retrouvent pas et constatent des dépassements de budgets », confirmait Guy Leturcq, directeur général et co-fondateur de TNP Consultants, lors d’un webinaire organisé avec Apptio. Le cabinet de conseil a réalisé, en partenariat avec le Crip, une étude auprès de 80 entreprises françaises afin de mesurer leur degré d’adoption et de maturité vis-à-vis de l’approche Finops.
Dans un contexte où le cloud hybride domine (dans 58 % des entreprises), une entreprise sur deux s’est fixée des objectifs de réductions de coûts, et une sur dix attend entre 25 et 50 % d’économies, les autres privilégiant plutôt une logique d’innovation et de flexibilité. Finops, essentiellement piloté par les contrôleurs de gestion IT, renforcés par les équipes IT cloud, est vu comme un nouveau modèle opérationnel, combinant processus, culture et outils.
Ces derniers regroupent le monitoring (71 % des entreprises), le reporting (53 %), la politique de tags (47 %) et même les tableaux Excel (42 %). En 2020, huit entreprises sur dix ne disposent pas d’une cellule Finops, mais six sur dix envisagent de s’y mettre dans les 12 à 24 mois.
Une nécessaire montée en compétences
Au-delà de la compétence financière, « la connaissance technique du cloud et des architectures reste la clé de l’optimisation, la montée en compétences est réalisée en interne dans une entreprise sur deux, appuyée par les fournisseurs », notent les auteurs du baromètre TNP-Crip, qui observent toutefois que les processus de refacturation des coûts du cloud vers les clients internes sont qualifiés d’insuffisants par les trois-quarts des entreprises.
L’une des voies d’amélioration consiste à mettre en œuvre une démarche Finops. « On ne peut optimiser ce que l’on ne connaît pas », estime Laurent Gauzi, associate partner chez TNP Consultants. Selon lui, Finops se définit comme la recherche d’un équilibre entre les coûts, la qualité et la redondance/performance.
« Il est difficile de s’engager, vis-à-vis d’une direction générale, sans connaître les inducteurs de coûts, la prédictibilité est un enjeu essentiel du Finops, mais il ne faut pas se focaliser uniquement sur la maîtrise des coûts, il importe de privilégier l’adaptation de nouveaux services », estime-t-il. Les motivations principales pour mettre en œuvre une approche Finops concernent, en premier lieu, l’optimisation financière (84 % des entreprises), devant celle des ressources (76 %) et la gouvernance (47 %), selon le baromètre TNP-Crip.
La démarche Finops est un cycle d’amélioration continue selon trois mouvements : informer (visibilité des services, allocation des coûts), optimiser (les usages, les prix) et opérer les services. « L’objectif de Finops est de trouver le juste équilibre entre coût, qualité, rapidité pour aménager des marges de manœuvre pour le cloud et poursuivre l’investissement dans l’innovation », précisent les consultants de TNP.
Autre définition, proposée par l’éditeur Apptio : « Finops est une combinaison de systèmes, de pratiques recommandées et de cultures qui permet à l’entreprise de mieux comprendre les coûts du cloud et de faire des compromis. L’objectif de Finops est d’équilibrer les coûts, la vitesse et la qualité, afin d’améliorer l’efficacité du cloud et de continuer à réinvestir dans l’innovation. »
Adapter la culture d’entreprise
Le succès de la mise en œuvre d’une démarche Finops repose sur cinq facteurs :
- Adapter la culture d’entreprise.
- Disposer des bonnes compétences, qui sont rares et demandent de la technicité.
- Pouvoir maîtriser les coûts.
- Adapter l’organisation.
- S’équiper des outils ad hoc.
« La culture d’entreprise est la clé de la réussite surtout face à des équipes habituées à provisionner un peu trop », estime Guy Le Turcq. Il reste toujours assez difficile de démontrer la valeur du cloud, en regard des investissements mais, poursuit Guy Le Turcq, « Finops est adapté à une vision du ROI : d’une part, parce que l’on peut disposer d’une vision en temps réel de la consommation et, d’autre part, parce que cela permet de discuter avec les métiers sur des éléments beaucoup plus parlants que de la technologie, la discussion se déplace sur un autre terrain. »
Toutefois, la refacturation s’avère délicate pour plusieurs raisons : il est difficile de taguer toutes les consommations, la gestion des comptes n’est pas exhaustive et il faut pouvoir trouver les bonnes clés analytiques selon le mix cloud privé – cloud public. Pour Cyril Deblois, business developper chez AWS, « les outils ne font qu’accompagner une stratégie, ils ne sont pas suffisants. En outre, la démarche ne se résume pas à réaliser des économies, mais à la mettre en perspective par rapport aux enjeux métiers. »
Pour variabiliser, les entreprises peuvent jouer sur deux options : les usages (déduire la consommation) et le prix (réduire la facture). Dans le premier cas, les entreprises utilisent (à 72 %) le rightsizing d’instances, le déprovisionning d’environnements, l’auto-shudown et l’auto-scaling. Dans le second cas, les DSI misent sur des instances réservées (76 %), la gestion des tags (66 %) et l’utilisation de services managés (51 %).
Cinq bonnes pratiques pour maîtriser les dépenses cloud | |
Bonnes pratiques | Comment faire |
Éliminer la confusion des factures de cloud accablantes | • Automatiser l’acquisition et le regroupement de toutes les factures de cloud provenant de multiples fournisseurs dans un système unique pour l’analyse, la surveillance et les rapports • Mapper automatiquement les factures multi-cloud sur une taxonomie professionnelle standard que tout consommateur de technologie (ou de cloud) de l’entreprise peut comprendre |
Arrêter de gérer les fournisseurs de services cloud en silo | • Exploiter une taxonomie commune pour comparer les fournisseurs • Visualiser les dépenses liées aux fournisseurs de services cloud sur un seul et même écran |
Empêcher l’entreprise de consommer le cloud public comme s’il était gratuit | • Mettre en place une stratégie de balisage des meilleures pratiques pour comprendre le contexte métier des ressources cloud • Analyser les balises pour allouer les coûts du cloud aux applications et aux départements de l’entreprise qui stimulent l’utilisation • Améliorer le balisage au fil du temps (exhaustivité et validité) • Responsabiliser les départements de l’entreprise à propos du coût total de possession du cloud et pas seulement des coûts sur la facture d’un fournisseur |
Éviter les surprises qui entraînent des dépassements du budget alloué au cloud | • Surveiller les coûts et l’utilisation du cloud grâce à une analyse des dépenses et de la consommation en temps réel • Se coordonner avec les métiers pour budgéter et prévoir correctement les futurs projets de migration vers le cloud |
Réduire les pertes liées aux instances réservées | • Analyser les économies potentielles en comparant les prix à la demande aux remises d’utilisation engagées en tenant compte des caractéristiques et de l’utilisation de la charge de travail • Gérer les stocks d’IR arrivant à expiration pour éviter de payer les prix à la demande |
Source : 5 étapes pour mettre fin aux dépenses cloud chaotiques, Apptio. |
Société générale : accompagner les métiers dans leur consommation de cloud
Exemple de mise en œuvre d’une démarche Finops : la Société générale. Le système d’information de la banque regroupe pas moins de 55 000 serveurs et 120 000 postes de travail. Les DSI de la banque gère plus de 8 000 applications et plus de 1 500 API en production. Le plan de transformation des infrastructures, initié en 2017, s’articulait autour de plusieurs éléments : le cloud, la virtualisation des postes de travail, la sécurité, le Big Data et l’intelligence artificielle, les postes de travail. Ainsi, 72 % des infrastructures sont d’ores et déjà dans le cloud et 95 % des messageries sont sur Office 365.
« Nous avons fait le choix du cloud hybride, avec une plateforme de cloud privé, pour des questions réglementaires, et deux fournisseurs de cloud public. L’objectif, en 2020, est d’atteindre 80 % de nos infrastructures dans le cloud, dont 20 % dans le cloud public. L’enjeu est d’accompagner les métiers dans leur consommation du cloud, y compris sur la partie financière, pour les aider à optimiser leurs consommations », souligne Claire Clauss, responsable des services technologiques Transformation & Finance à la Société générale, qui est intervenue lors du webinaire TNP Consultants-Apptio.
L’approche Finops, dont les équipes sont intégrées dans la direction des infrastructures, a un double rôle. D’une part, en tant que fournisseur de cloud privé, « il faut travailler pour créer l’intérêt économique du cloud privé. Nous privilégions une logique de juste prix en nous comparant aux offres traditionnelles IaaS et de cloud public. Nous proposons aux métiers des leviers d’optimisation des coûts, dans une logique de paiement à l’usage, car nous savons facturer à l’heure », précise Claire Clauss. Les DSI internes ont également à leur disposition un module de showback leur donnant une visibilité sur leur consommation et les coûts qui leur sont imputés.
L’optimisation des coûts s’effectue à deux niveaux : d’une part, les responsables applicatifs sont facturés chaque mois et « en tant que direction des infrastructures, nous sommes proactifs pour suggérer des actions, par exemple lorsque l’on constate que des machines provisionnées ne sont pas utilisées », assure Claire Clauss.
D’autre part, pour le cloud public, « notre rôle est de clarifier les factures pour les DSI internes, nous avons mis en place un reporting sous forme d’un tableau de bord, avec la solution Apptio, des consommations de cloud public, sur Amazon WS et Microsoft Azure », ajoute-t-elle. Mais il reste à faire. « Diffuser la culture Finops reste un vrai sujet de pédagogie, avec des enjeux de pilotage contractuel pour maîtriser des montants financiers très significatifs », estime Claire Clauss. Sans oublier le volet des compétences. « Nous ne sommes pas partis de zéro, nous avions des catalogues de services et une expérience du pilotage des coûts et de la facturation, mais les équipes en charge des infrastructures traditionnelles sont montées en compétences vers Finops, par souhait ou par appétence pour cette problématique où l’on peut capitaliser sur nos expériences et nos historiques », rappelle Claire Clauss.
Veolia Eau : des incitations financières pour réduire les coûts du cloud
Autre exemple : Veolia Eau, qui a initié un projet multi-cloud dès 2015. « Nous avons été l’un des premiers grands groupes à mettre tout le système d’information dans le cloud », rappelle Michel Poulalion, spécialiste Finops chez Veolia Eau, qui a partagé son expérience lors du webinaire TNP-Apptio. Cette stratégie a concerné les postes de travail et les datacenters. Google Suite a été privilégié pour promouvoir le travail collaboratif et diminuer les coûts.
Pour les serveurs, les objectifs étaient de privilégier le modèle du paiement à l’usage et d’améliorer la sécurité. « Il s’agit de bénéficier de la flexibilité et de la rapidité de déploiement du cloud », résume-t-il. La démarche Finops est intervenue très tôt : « Nous avions été sensibilisés sur les dérives budgétaires et les difficultés de mesurer le ROI de la part d’autres entreprises. » Cela s’est, dans un premier temps, matérialisé par la création d’un fichier Excel, alimenté à partir des factures AWS.
« La croissance du nombre de lignes de facturation l’a vite rendu ingérable », déplore le responsable Finops, qui a élaboré un tableau de bord, développé en interne et alimenté automatiquement. « Les factures ont toujours été maîtrisées, sans mauvaises surprises, nous avons observé une baisse de 10 % entre 2018 et 2019 », précise Michel Poulalion, qui formule trois recommandations : bien réfléchir en amont à ce qui peut être optimisé, partager l’information, par exemple via une newsletter, dans l’ensemble de l’organisation et réaliser régulièrement des partages d’expérience.
« Le soutien de la direction générale nous a considérablement aidé à diffuser la culture Finops dans l’entreprise, de même que l’intégration d’une part variable dans les salaires liée à la baisse des coûts, car dès que l’on touche au portefeuille, les résultats sont là ! » indique Michel Poulalion, qui estime que, dans le domaine Finops, il faut à la fois des compétences techniques et des capacités de communication avec les métiers et les équipes IT, notamment pour les processus de refacturation. « Nous identifions la consommation en fonction du tableau de bord et des tags par services ou par départements, en début d’année nous fixons des objectifs de consommation sur AWS et l’évolution est communiquée tous les mois. »
Si la démarche Finops intervient une fois que les contrats cloud sont signés et opérationnels, les réflexions en amont, pour les critères de choix des fournisseurs, sont tout aussi cruciales. « Pour s’y retrouver, il faut toujours se demander quel modèle répondra le mieux aux ambitions de chaque organisation et les aidera à relever le défi de leur transformation digitale, sans négliger ni la sécurité de leurs données stratégiques/sensibles, ni le coût total de possession (TCO). C’est pour cela qu’il faut bien définir au préalable une approche claire de sa gouvernance sur le moyen et le long terme avant de se lancer ! », explique Jean-Paul Alibert, président de T-Systems France.
Pour lui, la première question à se poser en tant qu’acheteur est de savoir si le fournisseur qui sera choisi propose le modèle le mieux adapté aux objectifs et au périmètre concerné : Saura-t-il répondre aux enjeux de l’entreprise ? Le delivery model (process et points de productions) correspond-il aux besoins de l’entreprise ? La seconde concerne le choix des éléments critiques (et communs à tous les modèles cloud), des engagements contractuels (dont le degré sera variable) et de la localisation des données qui va influer sur le régime juridique applicable. La transparence doit être garantie sur ce sujet. Enfin, les critères varient en fonction du type de cloud. Ainsi pour le PaaS, « les notions clés seront la disponibilité et le prix à l’usage des services proposés ainsi que de l’entrée et de la sortie des données stockées », résume le président de T-Systems France.
Pour le cloud privé, qui s’inscrit davantage dans la durée, la disponibilité et la sécurité seront des critères importants, avec une nécessaire classification des données. Les SLA et l’engagement dans le contrat seront au cœur des enjeux. Les critères principaux pour le PaaS et le CaaS, qu’il soit opéré en cloud public ou privé, se concentrent sur le prix des infrastructures et le type de services opérés. Concernant le SaaS, souvent acheté et géré par les métiers, l’élément principal restera les fonctionnalités, ainsi que l’accès au support technique et la conformité réglementaire (RGPD).
Les principales missions d’une organisation Finops
Les principaux leviers d’optimisation pour réduire la consommation cloud