Comment bien gérer son DG ?

Les DSI européens sont de plus en plus souvent rattachés hiérarchiquement à leur direction générale. Signe de maturité de la fonction de DSI, c’est une opportunité pour communiquer. Ou un risque…

En Europe, près de 60 % des DSI reportent directement à leurs directions générales et 27 % à leur DAF, selon une étude CIOnet-Society for Information Management parue en 2012. C’est une situation différente de celle des DSI américains, qui sont proportionnellement moins nombreux à dépendre de leur DG (49 %) et un peu plus nombreux à reporter à leur DAF (32 %).

Et la tendance, du moins si l’on en croit les résultats de cette étude, est à la croissance du nombre de DSI qui dépendent directement de la direction générale : la proportion a ainsi crû de douze points entre 2010 et 2011, le poids des DAF restant stable. Cette tendance modifie la façon de positionner la DSI et renforce les exigences de communication.

Pour Patrick Lalouette, DSI de Virbac, laboratoire spécialiste de la santé animale, qui est intervenu lors de la dernière conférence CIOnet sur les relations DSI-DG, « face à une complexité inquiétante de la DSI, le DG a besoin de la maitriser, de l’optimiser, de savoir s’en servir ». La maîtrise suppose, d’abord, de contrôler les coûts et de maîtriser les projets (pour leurs coûts, leurs délais et les périmètres couverts).

Optimiser concerne à la fois les projets (portefeuille, gestion des priorités et définition des arbitrages), la rentabilité des investissements (mesurer les effets du système d’information pour les métiers) et la performance de l’organisation IT (avec une mesure de la valeur produite et un benchmarking régulier). Pour un DG, savoir se servir de la DSI consiste, résume Patrick Lalouette, à « l’utiliser comme levier dans sa stratégie de DG, notamment pour transformer l’entreprise, réduire les coûts et développer l’activité ».

Une stratégie multidirectionnelle

Pour le DSI, cela implique d’agir dans quatre directions : « Globaliser les processus dans tous les pays et pour toutes les entités, optimiser l’usage du SI, faciliter ou développer l’innovation afin de changer les business models, et renforcer les partenariats externes, pour diminuer le « time to market », et internes, avec les directions métiers. » Avec, toutefois quelques risques inhérents : « Un problème de vision du potentiel du SI, des risques de dérapage sur les projets ou sur les coûts, un partenariat souvent limité avec les métiers et un manque de confiance du DG par rapport au DSI », résume Patrick Lalouette.

Trois paramètres sont à prendre en compte. « D’abord, connaître le cycle de la relation DG- DSI (voir encadré), explique Patrick Lalouette. Ensuite, maîtriser le contexte et les attentes de la DG. On s’intéressera ainsi à l’environnement de l’organisation, au niveau de maturité de l’entreprise, aux possibilités d’innover pour créer des avantages concurrentiels. » Enfin, il convient de prendre en compte le niveau de maturité de la DG vis-à-vis de la DSI. Sur ce point, on sait qu’il reste des marges de progression.

Le baromètre de la maturité des dirigeants français publié par IDC et Syntec Numérique au printemps 2012 avait dressé le constat suivant : si presque tous les dirigeants (93 %) sont conscients que le numérique représente une opportunité pour leur entreprise, il est considéré par 43 % des dirigeants comme un domaine encore trop complexe, mal maîtrisé, trop coûteux (54 %) et trop rigide (50 %).

Reste, pour les DSI, à « former leur patron au potentiel du système d’information, conseille Patrick Lalouette, c’est-à-dire partager sa vision, le sensibiliser au potentiel du SI, à la fois en interne pour la collaboration et le partage des connaissances, et en externe pour l’innovation et les avantages concurrentiels ». Autrement dit, il s’agit de « développer la confiance en démontrant la maîtrise des fondamentaux pour la stratégie, le budget, les projets, les ressources humaines ou les partenariats avec les métiers ». Bref, suggère Patrick Lalouette : « Faites-le rêver ! Mais vers une réalité possible. »

Maturité numérique des dirigeants : on cherche encore…

Le challenge est d’importance : une enquête réalisée auprès de 685 DSI dans le monde par le cabinet Vanson Bourne pour le compte de CA Technologies, révèle un manque de compréhension des comités de direction des entreprises pour les enjeux et de la valeur du numérique : selon 90 % des DSI français (et 80 % des DSI dans le monde), cette méconnaissance des dirigeants peut mettre en cause la compétitivité de leurs entreprises. Les DSI craignent en particulier que ce manque d’intérêt soit à l’origine d’une réactivité trop faible de leur entreprise face aux évolutions constantes du marché.

Selon près d’un tiers des DSI interrogés, les comités de direction ne comprennent pas l’impact des technologies émergentes et appréhendent mal leur valeur au regard de la compétitivité de leur entreprise. Et pour seulement 20 % des DSI, le comité de direction est parfaitement au fait des possibilités offertes par les technologies numériques et de leur impact. De plus, selon 30 % des DSI (35 % en Europe de l’Ouest et 23 % en Amérique du Nord), la perception des systèmes d’information par le comité de direction ne s’apparente qu’à un poste de dépense obligatoire, et non à un centre de valeur.

L’exigence de communication et de marketing de la DSI, avec plan d’action à la clé n’en est que plus urgente. « Le DSI est et doit être son propre directeur marketing, la communication est un élément clé, expliquait Marie-Hélène Fagard, DSI d’Europcar lors de la dernière conférence CIOnet sur les relations DSI-DG. Il est absolument nécessaire de montrer par de petites actions la valeur ajoutée des SI au métier et au sein de l’entreprise, engageons de grand programmes de transformation en faisant des petits pas. »

Plus largement, outre la communication les DSI ont besoin de cinq ingrédients : « Du leadership, de l’imagination (au-delà du quotidien), du courage, du temps et de l’argent », résume Dave Aron, vice-président chez Gartner.

Un autre analyste de Gartner, Mark Raskino, estime pour sa part que « le mot-clé qui domine le discours des DG en 2012 est : imprévisible ». Les dirigeants d’entreprises sont en effet eux-mêmes confrontés à des situations à risques : selon Gartner, 24 % d’entre eux ont déjà annulé ou décalé des initiatives stratégiques, 31 % admettent qu’ils ne peuvent pas innover de façon efficace et 29 % sont freinés dès lors qu’il s’agit de saisir des nouvelles opportunités de marché.

Une des issues serait que les DSI ambitionnent d’accéder à la direction générale. L’analyse sur l’ADN du DSI menée en 2012 par Ernst & Young indique que seulement un sur dix souhaite prétendre au poste de DG dans les cinq prochaines années. « La représentation des DSI au sein des comités de direction est très faible (17 %), limitant ainsi leur potentiel décisionnel, note l’étude Ernst & Young. Ce constat semble pourtant échapper à la plupart des DSI, à en croire le décalage entre la perception qu’ils ont de leur apport à l’entreprise et celle qu’en ont les cadres dirigeants des autres fonctions. »

Quels scénarios d’évolution de la DSI ?

Gartner identifie quatre futurs possibles pour les directions des systèmes d’information (voir schéma).

  • Le SI est un fournisseur de services
    Dans ce scénario, la DSI devient un fournisseur centralisé de services partagés qui fonctionne comme une entreprise, se focalise sur les valeurs métiers, adopte un point de vue marketing, capitalise sur sa position interne et délivre un service compétitif.
  • Le SI reste une « salle des machines »
    Ici, les services doivent être délivrés aux prix les plus compétitifs possible. Grâce à un contrôle de l’évolution des technologies et au développement d’une expertise en matière d’optimisation des ressources, du sourcing et des relations avec les fournisseurs.
  • Le SI est le métier
    Dans ce troisième scénario, l’information est indissociable des produits et des métiers de l’entreprise. Dans ce cas, le métier est structuré autour des flux d’information et le système d’information favorise l’innovation au sein de la chaîne de valeur.
  • Le SI, « c’est tout le monde »
    Dans cette dernière hypothèse, tous les acteurs de l’entreprise utilisent les technologies de l’information pour briser les frontières de l’organisation et ainsi favoriser la collaboration et l’innovation. Mais cette approche peut être considérée par certains comme suscitant un certain désordre : elle est donc plus adaptée, selon Gartner, à des entreprises de type start-up, à celles qui évoluent sur des marchés en forte croissance ou encore dans le cadre de projets communautaires.

Si au tout début des années 2000, les dépenses en technologie gérées en dehors de la DSI représentaient environ 20 % des dépenses IT totales, ce chiffre passera à 90 % d’ici à 2020, résume Gartner. Ce renversement est évidemment lié à la numérisation de l’ensemble des activités des organisations. Une tendance que les consultants de Gartner résument par la formule : « N’importe quel budget devient un budget IT. »

D’où l’émergence de la (nouvelle) fonction de nouvelle Chief Digital Officer (CDO). Gartner prévoit même que d’ici à 2015, 25 % des entreprises disposeront de ce profil de poste, avec la mission d’accompagner, voire de définir, la stratégie numérique de l’entreprise. « Et si vous n’êtes pas capable d’expliquer comment un projet affecte les clients de l’entreprise, alors ne le faites-pas ! », conseille David Willis, vice-président chez Gartner. Facile à dire…

   Quand les DSI veulent sortir de la DSI
   Comment se voient les DSI et les directeurs métiers dans cinq ans
 Fonctions  % des DSI  % des autres managers
 DG 11 % 3 %
 Direction métier 13 % 5 %
 DSI avec un rôle plus important 31 % 13 %
 Même fonction et position 33 % 62 %
 Autre fonction 13 % 17 %
   Source: Ernst & Young

 

   Les principales compétences d’un DSI
 Compétences  Importance (% de DSI)  Besoin d’amélioration
 Leadership 81 % 37 %
 Communication et influence 79 % 42 %
 Approche analytique et compétences organisationnelles 77 % 32 %
 Gestion de projets 74 % 35 %
 Compétences et savoir-faire technologiques sur les tendances informatiques 64 % 40 %
 Connaissances relatives au design et à l’exécution de la stratégie d’entreprise 64 % 35 %
 Gestion financière 51 % 31 %
 Connaissances approfondies des marchés clés de l’entreprise 48 % 29 %
   Source : Ernst & Young

Cycle de vie du DSI : les quatre étapes

  • La phase de recrutement durant laquelle seront abordées les attentes affichées par le DG, les ambitions du DSI et son rattachement.
  • La phase de construction du budget, du plan stratégique et la définition des priorités.
  • La phase de mise en œuvre pour industrialiser les systèmes, déployer les applications, gérer les services, stabiliser le système d’information et le faire fonctionner au meilleur coût.
  • La sortie : préparer le départ, la succession.

(Source : Virbac).


Portrait-robot du DSI de 2013

  • Âge moyen : 43 ans
  • Ancienneté dans le poste : cinq ans
  • En moyenne, un DSI occupe sa fonction pendant sept ans, contre huit pour les autres membres du comité de direction
  • Un DSI sur deux est diplômé en informatique et 10 % détiennent un MBA
  • La plupart des DSI ont fait carrière uniquement dans la fonction informatique
  • Les DSI ont moins d’une chance sur cinq de rejoindre le comité de direction de leur entreprise

(Source : Ernst & Young).


Influencer son DG : les trois leviers privilégiés

1. L’alignement stratégique et la vision : capacité de la DSI à animer une stratégie gagnante au service de la DG.2. La maîtrise des coûts et des moyens

  • Maîtriser les coûts globaux de l’IT pour l’ensemble du périmètre de la DSI dans l’entreprise.
  • Optimiser les coûts : faire un maximum avec un budget négocié
  • Contrôler la gestion des ressources : sourcing, gestion prévisionnelle des emplois et les compétences, mobilité…
  • Gestion des priorités pour les projets en fonction de la stratégie

3. La degré de maturité de la DSI, son positionnement, et sa communication

  • Partenariat avec les métiers : améliorer la performance des métiers et la mesurer (contrats sur résultats)
  • Partenariats avec la DG en fonction de la vision de celle-ci
  • Capacité à communiquer

(Source : Virbac)


Le DSI quatre en un

Pour Jean-Luc Deixonne, auteur de l’ouvrage Piloter les systèmes d’information (Dunod, 2012), les systèmes d’information ne sont plus du ressort exclusif des DSI.Comme un DG, un DSI a une vue et une compréhension de l’ensemble de l’entreprise. Pourtant, le DSI est un cas spécifique. Il assure les opérations informatiques comme ses collègues assurent le fonctionnement opérationnel de leur domaine. Mais il est aussi l’homme du changement dans l’entreprise. Il a donc un rôle « à part » entre DG et direction opérationnelle.

Vous décrivez le DSI comme « quatre hommes en un ». Quelles sont ses caractéristiques ?

Jean-Luc Deixonne  C’est d’abord un CTO (Chief Technology Officer) pour manager la technologie et l’innovation. Il s’agit d’un rôle de veille appliquée, de décryptage, d’analyse et de benchmarking. Le choix important est souvent non pas celui de telle ou telle technologie mais de son adéquation avec une opportunité métier pour l’entreprise. C’est, ensuite, une fonction de management de la performance métier, avec, outre la compréhension des processus métiers, beaucoup de savoir-faire de communication. La troisième facette concerne la gestion des niveaux de services. C’est le cœur de métier de la DSI, d’autant plus que ces niveaux de services sont encore peu ou pas définis. Enfin, la fonction nécessite de manager les informaticiens, avec un recentrage sur les activités d’intégration, d’expertise et d’automatisation.

Le système d’information est-il l’affaire exclusive du DSI ?

Jean-Luc Deixonne  Non, même si c’est encore trop souvent le cas. Comment ne pas s’interroger sur la faisabilité de faire supporter, par un seul homme, un spectre de responsabilités et de compétences aussi large ? Cela doit amener les DSI à réfléchir sur les limites de leur action. Quatre acteurs majeurs sont incontournables pour permettre aux SI d’être performants : les actionnaires, la DG, le DSI et les directions opérationnelles.

Quelles sont les attentes respectives de ces différentes parties prenantes ?

Jean-Luc Deixonne  Pour résumer, les actionnaires s’intéressent au « quoi ? », la DG au « quand ? », la DSI au « comment ? » et au « faire », et les directions opérationnelles aux aspects pratiques. Pour les actionnaires, il s’agit principalement d’identifier les nouveaux business models rendus possibles par les technologies, de décider des grands projets de rénovation, et de maintenir le système d’information entre amortissement et rénovation. La DG, pour sa part, est la seule à pouvoir donner l’impulsion et créer le cadre organisationnel pour que le SI se développe. Son rôle est d’apporter un niveau de compréhension suffisante des enjeux, de les traduire dans une vision et d’équilibrer les pouvoirs entre la DSI, le marketing, l’innovation et les directions opérationnelles. On attend du DSI qu’il supporte sa DG et les directions opérationnelles pour identifier et promouvoir des solutions technologiques en les traduisant en bénéfices pour tous les domaines de l’entreprise. Le DSI est le leader de la transformation et le garant des projets transverses. Quant aux directions opérationnelles, elles ont des responsabilités en matière d’utilisation conforme du SI par rapport à ce qui est prévu, d’assurer que les référentiels dont elles sont responsables sont gérés en permanence, et d’être force de proposition pour améliorer le parc applicatif.