Comment créer une entreprise intelligente ? En actionnant les leviers de l’intelligence collective, du Knowledge Management et des technologies de l’information.
Peut-on parler d’intelligence collective ? Cela revient à se poser la question suivante : une action est-elle de meilleure qualité si on mobilise l’intelligence de plusieurs personnes pour la concevoir ? Si, dans la plupart des cas, la réponse est affirmative, dans la réalité, la mise en œuvre des conditions d’émergence et d’efficacité de cette intelligence collective reste problématique, voire inexistante.
C’est tout l’enjeu, outre celui de l’intelligence collective, du Knowledge Management. L’auteur, Olivier Zara, président d’une société spécialisée dans le Web 2.0, définit ces deux concepts de la façon suivante. L’intelligence collective correspond à la « capacité à unir nos intelligences et nos connaissances pour atteindre un objectif ainsi que la capacité d’un collectif à se poser des questions et à chercher les réponses ensemble. »
Le Knowledge Management est « l’action de capitaliser des connaissances et de les partager ». On peut faire référence à la biologie, qui nous enseigne que l’intelligence résulte, d’une part, du nombre de synapses qui interconnectent les neurones (et qui produit l’intelligence collective) et, d’autre part, d’un acquis de connaissances accumulé dès la naissance (le Knowledge Management).
« Le parallèle avec une organisation démontre la nécessité d’accroître les synapses, les interconnexions entre les membres et les entités de cette organisation pour développer son intelligence et de capitaliser les informations qui sont nécessaires à ces synapses », explique l’auteur.
Le Management de l’intelligence collective, vers une nouvelle gouvernance, par Olivier Zara, M21 Editions, 2008, 250 pages. intelligencecollective.cluster21.com
De fait, ces mécanismes ne peuvent fonctionner sans le support des technologies, ne serait-ce que parce qu’elles permettent de stocker de grandes masses d’informations et de les partager plus facilement entre les individus. Et le Web 2.0 va encore plus loin.
« Les technologies Web 2.0 augmentent la performance des interactions humaines et donnent à l’information une valeur opérationnelle », explique Olivier Zara.
Celui-ci insiste sur la nécessité de distinguer trois éléments : la communication, la réflexion et la décision. Ainsi, la communication permet d’échanger des informations sans qu’il y ait forcément des coopérations intellectuelles ; la réflexion implique, elle, de telles coopérations qui permettent « de créer l’information, de lui donner du sens et d’interagir sur l’information existante pour la transformer en une nouvelle information » ; quant à l’identification entre la réflexion collective et la décision collective, « on vous expliquera que l’intelligence collective, dans une entreprise, c’est très dangereux car cela conduirait à créer une entreprise démocratique », estime l’auteur, « une organisation dans laquelle toutes les décisions seraient prises à la majorité ». On imagine aisément qu’une telle perspective ne plaît guère à nombre de managers et de dirigeants : « Cette confusion sert à effrayer ceux qui voudraient changer l’état actuel des choses », assure Olivier Zara.
Hélas, il n’y a pas de relation automatique entre réflexion collective et décision intelligente : « Une réflexion collective peut donc aboutir à une décision stupide, de même qu’une réflexion individuelle peut aboutir à une décision géniale, assure l’auteur, ce n’est pas parce que c’est collaboratif que ce sera intelligent. »
De fait, les freins ne manquent pas pour créer l’illusion de la coopération : manque d’analyse sur la nature des activités qui induit un mode de management unique, confusion entre la coordination, communication (échange d’informations) et coopération (création de nouvelles informations), entre le collectif (un groupe) le collaboratif (méthode de travail), freins organisationnels divers (pas d’objectifs individuels fixés, pas d’évaluation, organisation hiérarchique et pyramidale trop cloisonnée…), mais également freins technologiques liés à l’absence de support de type Web 2.0, investissements en logiciels inadaptés, sans oublier la traditionnelle résistance au changement : « Elle est liée à la peur de l’inconnu, de la nouveauté, à l’aversion pour le risque, au confort et à la sécurité que procurent les habitudes », rappelle l’auteur.
Dans ce domaine, l’argument du temps est le plus souvent mis en avant : « C’est un faux argument », prévient l’auteur, « je n’ai pas le temps signifie en réalité je ne veux pas le faire, sous-entendu le travail collaboratif ne passera pas par moi : l’argument du temps est d’une grande utilité pour ceux qui veulent prévenir ou ralentir toute évolution culturelle, qu’ils jugent intempestive et dangereuse. »
Parmi les « trois piliers indissociables de l’entreprise intelligente » que sont l’intelligence collective (quantité et qualité des coopérations intellectuelles), le Knowledge Management (quantité et qualité des connaissances) et les technologies de l’information et de la collaboration, ces dernières jouent un rôle crucial, en particulier avec les intranets : « Ils augmentant la puissance de communication et de collaboration des organisations », précise l’auteur.
L’intranet est utilisé à trois niveaux : l’information (gestion électronique de documents, moteurs de recherche, annuaires, actualités…) où l’utilisateur est récepteur ; la communication (messageries électroniques, gestion de tâches…), où l’utilisateur est à la fois émetteur et récepteur ; la collaboration (forums de discussion, places de marché d’informations…) où l’utilisateur est à la fois récepteur, émetteur et acteur, dans le sens où il transforme l’information qu’il a reçue pour en créer une nouvelle.
En réalité, observe Olivier Zara, les intranets sont aujourd’hui principalement utilisés pour l’information, beaucoup moins pour la communication et très rarement, voire jamais, pour la collaboration. à la différence des technologies de l’information dites classiques, centrées sur les transactions informationnelles (déplacer une information d’un point A à un point B, stocker, la trier et la rechercher), les technologies Web 2.0 sont centrées sur les interactions humaines.
Toutefois, limiter les technologies dans l’entreprise à une fonction d’information et de communication, ou utiliser des outils d’information pour faire de la collaboration (avec la messagerie par exemple) rend « l’organisation collectivement contre-productive ». L’e-mail, notamment, s’il est adapté pour communiquer, ne l’est pas pour coopérer : « Ce n’est qu’un téléphone par écrit de nouvelle génération », observe l’auteur.
Faut-il dès lors s’engager dans la création d’une blogosphère dans l’entreprise ? Pourquoi pas, mais, avertit Olivier Zara : « Créer un écosystème de blogs au sein d’une entreprise peut produire soit une entreprise intelligente soit une usine à gaz contre-productive, il ne faut pas se laisser aveugler par la simplicité de l’outil blog en pensant que l’on a trouvé le remplaçant de l’e-mail ».
C’est, là encore, une question d’évolution des usages dans un contexte où la culture d’entreprise constitue le frein majeur, ainsi que les préoccupations de sécurité : « Le discours sécuritaire est souvent le grand vainqueur dans le débat. » Et les DSI ne sont souvent pas les derniers à mettre en avant un tel discours…
Les idées à retenir
- Les intranets collaboratifs sont aujourd’hui déficients sur la dimension management d’équipe car ils n’assistent pas les managers dans la maîtrise de la complexité des relations humaines.
- L’important est plus de protéger l’intégrité des supports de stockage des données que d’éviter la duplication de l’information.
- Un système informatique n’a pas vocation à manager à la place des managers, à suppléer leur incompétence ou leur défaillance, mais à les aider dans leurs missions de management.
- La quantité d’informations qui sont spontanément partagées en permanence dans une organisation est de 10 % en moyenne.
- Pour les Digital Immigrants, un intranet collaboratif sert à envoyer des e-mails. Si vous leur demandez plus de collaboration, ils vont comprendre qu’ils doivent envoyer plus d’e-mails ! Dans ces conditions, mobiliser l’intelligence collective est très difficile.
- Les intranets collaboratifs vont beaucoup plus loin que les intranets de communication ou d’information car ils imposent des règles d’interactions, classent l’information et l’évaluent. Ces intranets ont la forme d’une place de marché virtuelle et de la collaboration.
- La valeur de l’information est fonction de la qualité de l’interaction des individus autour de l’information.
- Dans l’incapacité à diviser les problèmes, de nombreuses personnes préfèrent chercher à les résoudre toutes seules dans leur coin ou à s’en décharger sur quelqu’un d’autre.
- L’intelligence collective peut être perçue par un manager comme la remise en cause de ses compétences, de son expérience et de son indépendance. En fait, on s’attaque à son ego et à l’image qu’il a de lui.
- En acceptant le support du collectif, à travers une réflexion, un manager peut craindre de voir émerger des idées, des propositions de décisions qui ne lui conviendraient pas et ensuite de devoir expliquer pourquoi il ne les prend pas en compte.
- Un manager peut prendre une décision qui suscite de l’opposition car on ne dirige pas une organisation en fonction du consensus qui émerge dans un groupe mais en fonction d’une vision que l’on doit être capable de faire partager pour susciter l’adhésion.
- Si le consensus est trop fort pendant la réflexion, cela nuira à la créativité. Si le conflit est trop fort, cela conduira à la paralysie de la réflexion.