La relation client-fournisseur classique pour l’achat de prestations et services informatiques est-elle suffisante pour assurer aux utilisateurs un SI au rapport qualité/prix imbattable ?
Depuis dix ans, la fonction achats s’est fortement professionnalisée : l’informatique a longtemps vécu en marge des services achats : « Pour vivre heureux, vivons cachés… » Les achats systèmes d’information n’étaient pas vus comme un chantier majeur d’optimisation des coûts de l’entreprise. Le système d’information n’apparaissait pas sur le radar des priorités.
Les pratiques habituelles ont perduré : le plus souvent, l’achat de services s’appelait « mission en régie » et la mise en concurrence se limitait aux choix entre quelques prestataires que l’on aimait bien.
À l’autre bout du spectre, on a connu de grands « deals », sous-traitant assez brutalement l’ensemble des systèmes d’information, DSI compris, au nom de l’optimisation d’une fonction de l’entreprise bien loin du « cœur de métier ».
L’un et l’autre de ces modèles, régie ou outsourcing complet, ont montré leurs limites et apporté leur lot de désillusions : croissance non maîtrisée des coûts, incompétence technique des relais de l’entreprise menant à des erreurs structurelles d’architecture des systèmes d’information, service aux utilisateurs plutôt moyen.
Du côté des bons points, ces systèmes s’avéraient souples et réactifs, façon mode pompier en cas de problème. Et une certaine osmose de fait existait entre les équipes clients et fournisseurs, lesquels travaillaient d’ailleurs souvent ensemble sur les sites.
Comment améliorer cet état de fait ? La prise de pouvoir des achats, en lien avec ou subie par la DSI, a imposé un nouveau dogme : la mise en concurrence et le choix du mieux-offrant. Mieux-offrant étant d’ailleurs une notion très proche dans la réalité de celle du moins-offrant ! Référencement… appel d’offres… et que le meilleur gagne !
Ce système, en apparence plus vertueux, a très souvent redistribué les cartes et fait progresser les organisations : au début, écrire un cahier des charges fut une vraie galère pour les DSI, mais cela a favorisé des pratiques de meilleure clarification des besoins et d’estimation des coûts des opérations dans lesquelles on se lançait. Et, en face, les prestataires se sont industrialisés, proposant des offres s’appuyant sur des modèles de « delivery » mondialisés (pour les plus grands) ou à base de centre de services pour les autres.
Les pratiques de SLA (Service Level Agreement, engagements de services) se sont généralisées. Les unités d’œuvre et les engagements forfaitaires sont devenus des pratiques courantes. Les relations durables entre une DSI et un prestataire devaient être dûment justifiées par des mises en concurrence rigoureuses et fréquentes.
Ce fut l’avènement des contrats courts, des forfaits intenables et des relations clients-fournisseurs façon guerre de tranchée : « C’est pas moi c’est l’autre et, d’abord, ça n’est pas écrit dans le contrat ! » Sans doute la situation est mieux optimisée financièrement, certains manques cependant deviennent sensibles : les besoins de transformation des systèmes d’information, en particulier les évolutions des infrastructures ou des modes de services, sont difficiles à mettre en œuvre.
Renvoyée à ses responsabilités de maître d’ouvrage du système d’information concerné, la DSI a trop peu de leviers pour agir sur ses fournisseurs. Certes, elle peut en changer, mais quand ceux-ci gèrent des activités importantes pour l’entreprise, cela signifie prise de risque, un an de chantier de changement, pour une amélioration pas forcément garantie.
En effet, plus les contrats sont courts, moins les prestataires peuvent investir en début de contrat pour optimiser la fourniture des services. Plus les prix sont tirés, moins les ajustements nécessaires pourront être considérés comme dans l’épaisseur du trait, ce qui signifie négociations incessantes pour toute opération sortant un peu de l’activité récurrente. En un mot, l’optimisation qui a eu lieu est réalisée en amont des opérations, la durée elle-même du contrat de prestations ne permettant guère les améliorations ultérieures.
Le nouveau mot à la mode pour caractériser les relations client-fournisseur de demain est celui de partenariat : ce n’est pas un hasard. Une grande partie des activités informatiques des entreprises sont aujourd’hui sous-traités et le resteront.Le débat ne concerne pas la réinternalisation, qui reste un phénomène extrêmement rare.
Mais cette sous-traitance n’est pas celle d’un service packagé facilement interchangeable : la nécessité de connaissance intime du fonctionnement d’un système d’information perdure, d’autant plus que celui-ci est en changement permanent. Les phases de consolidation/rupture qui rythmaient la vie d’une DSI ont laissé place à la ronde de l’amélioration continue, autrement plus exigeante.
La DSI a besoin, osons l’expression, de s’appuyer en confiance sur des sous-traitants partenaires qui jouent le jeu de cette progression permanente.
En s’industrialisant, le service informatique ouvre la porte à une ère plus mature de la relation client-fournisseur, similaire à ce qu’est cette relation dans le monde industriel. Prenons par exemple l’automobile : le constructeur est devenu un assembleur de pièces construites par ses sous-traitants, dans une relation où tous contribuent et ont intérêt à construire une voiture de qualité qui se vend.
Comment construire ce type de relation ? Tout d’abord, il faut identifier les prestataires informatiques clés (key vendors) de l’entreprise.
N’oublions pas que les limites se sont brouillées entre fournisseurs de services, fournisseurs d’infrastructures et fournisseurs de logiciels. Les observateurs du marché notaient que ces derniers tiraient au mieux leur épingle du jeu, la pression étant mise sur les achats de matériels ou de services bien plus que sur les achats de licences.
Les key vendors ne sont donc pas uniquement des fournisseurs de services au sens SSII. Ces acteurs principaux ont un rôle particulier à jouer dans l’informatique de l’entreprise : ils peuvent apporter des éléments innovants, en termes de technologie, de services ou de processus de fonctionnement. Ils doivent bien sûr y trouver leur intérêt et il est nécessaire d’identifier les éléments de donnant-donnant qui assureront la stabilité de l’accord.
Les key vendors seront suivis de façon particulière au niveau des achats et de la DSI : le rôle du service achats ne s’arrête pas à la signature du contrat, il se poursuit pendant toute la durée de ce dernier afin de s’assurer que les gains escomptés sont atteints, que les conditions contractuelles définies sont toujours valides (ou sinon d’en proposer des modifications), que les modes de facturation sont lisibles et donnent satisfaction.
Il est important également que soit évalué le niveau de satisfaction lié à un contrat. En effet, une entreprise aura généralement plusieurs contrats avec ses key vendors (par exemple plusieurs contrats d’achats de matériel, plusieurs contrats d’infogérance pour les grandes structures…). Ainsi la construction de la relation n’est plus seulement synchronique, elle s’inscrit dans la diachronie, au long cours en un mot, de la vie de l’entreprise.
Il est légitime qu’une entreprise établisse des relations au long cours avec certains de ses prestataires informatiques, afin de combiner la souplesse et l’intimité client développées au fil du temps, tout en gérant une relation contractuelle qui identifie et agit sur les leviers opérationnels et économiques définis pour optimiser le service attendu. Ce mode de relation ne doit pas être exclusif, les autres prestataires étant gérés sur les règles habituelles de mise en concurrence.
Cet article a été écrit par Catherine Le Louarn, directeur associé de Solucom.