Les objets connectés représentent un énorme potentiel pour de nombreux secteurs économiques. Les opportunités se matérialisent à la fois dans les usages, les technologies, les modèles d’affaires et l’innovation.
Fin 2013, l’IDATE estimait qu’en 2012 il existait déjà 15 milliards « d’objets » connectés dans le monde, toutes catégories confondues. Ce chiffre pourrait atteindre 80 milliards en 2020. Dans une étude publiée en juin 2014, IDC prévoit pour sa part que le marché de l’Internet des objets pèsera 7 100 milliards de dollars US en 2020.
Pour le consommateur d’aujourd’hui, cette tendance peut sembler, à première vue, comme un simple phénomène de mode. Chaque jour voit en effet apparaître son lot d’appareils connectés, dotés de capteurs et de connectivité sans fil. Dans cette profusion, difficile de distinguer ce qui relève de l’accessoire et du gadget, de ce qui est vraiment novateur.
Pourtant, un grand nombre d’entreprises ne s’y trompent pas : ces multiples objets vendus auprès du grand public ne sont que la crête d’une vague bien plus importante, qui pourrait bien transformer durablement leurs métiers. En juin 2013, le cabinet de conseil McKinsey a d’ailleurs mentionné l’Internet des objets dans sa liste de douze technologies de rupture, aux côtés de nombreux domaines proches, comme les véhicules autonomes, la robotique avancée ou l’Internet mobile.
« Dans cette tendance encore émergente, beaucoup d’organisations perçoivent d’ores et déjà des vecteurs d’innovation, venant y puiser l’inspiration pour de nouveaux services. Industriels, laboratoires pharmaceutiques, banques ou assurances, nombreux sont les secteurs qui explorent dès à présent les possibilités de cet Internet des objets », explique Philippe Mallet, responsable « Transformation digitale » chez Cognizant.
Néanmoins, ce monde connecté s’avère complexe, tant sur le plan des technologies qu’au niveau de l’écosystème nécessaire pour bâtir des services. Les projets liés aux objets communicants soulèvent de nombreux enjeux qu’il ne faut pas sous-estimer, faute de quoi l’intérêt croissant du monde professionnel pourrait rapidement se heurter à des obstacles imprévus.
Pour les entreprises, plusieurs questions fondamentales se posent : quels sont les principaux enjeux liés aux objets connectés et à la mise en place de services associés ? Quelles questions faut-il se poser avant de démarrer ? Comment déterminer les services qui sont susceptibles de répondre aux besoins des consommateurs ? Quels sont les principaux prérequis et les points d’attention ? Comment favoriser l’innovation dans ce domaine ?
De quoi parle-t-on ?
Le monde des objets connectés, souvent désigné comme l’ « Internet des objets » (Internet of Things) est vaste. Il englobe en effet tout objet capable de partager des données sur un réseau, ce qui inclut notamment :
- les échanges de machine à machine ou M2M (Machine-to-Machine), courants dans le monde industriel ou en télésurveillance, où des machines « intelligentes », équipées de capteurs (caméras, thermomètres, accéléromètres, capteurs de pression…) collectent et transmettent des données, soit vers d’autres machines, soit vers un serveur central, le tout sans interaction humaine ;
- les terminaux communicants de type smartphones, tablettes ou consoles de jeux, capables d’accéder directement à Internet et dotés d’une puissance de calcul de plus en plus proche de celle des ordinateurs classiques
- les objets (cartes, badges, clés) et les êtres vivants (animaux domestiques) équipés de puces qui contiennent des données pouvant être lues sans contact.
À ces grandes catégories s’ajoutent désormais de plus en plus d’objets du quotidien, eux aussi équipés de capteurs et de technologies de transmission sans fil : compteurs électriques, dispositifs d’éclairage, stylos, pèse-personnes, équipements médicaux, montres, chaussures, vêtements, réfrigérateurs, téléviseurs, voitures ou autres types de véhicules…
Tous ces objets ont désormais la possibilité de mesurer certaines données et de les partager sur un réseau, le plus souvent local. À partir de ce dernier, les données peuvent ensuite être retransmises sur Internet, via un routeur, puis exploitées dans le cadre de services en ligne.
De réelles opportunités pour de nombreux secteurs
« Pour la plupart des secteurs d’activités, ces objets connectés sont porteurs de nombreuses opportunités, que ce soit en tant que fournisseur de services, en tant qu’utilisateur ou en tant que partenaire », assure Philippe Mallet.
Dans tous les secteurs disposant d’importants équipements matériels à entretenir, comme l’industrie, la distribution d’eau ou d’énergie, les transports ou les télécommunications, le M2M et ses dérivées ont, par exemple, permis le développement d’approches de type maintenance prédictive. En mesurant en permanence différents paramètres indiquant l’état des équipements, les entreprises sont capables de détecter d’éventuelles défaillances avant qu’elles ne surviennent, optimisant ainsi les coûts d’entretien de leur parc et réduisant les risques de panne.
De manière générale, la dématérialisation et l’automatisation de nombreuses interactions (surveillance, activation, mise en veille…) peuvent contribuer, dans une proportion importante, à la réduction des coûts dans de nombreux secteurs.
Innover pour créer de nouvelles sources de revenus
Ces objets connectés permettent aussi d’imaginer de nouvelles offres à proposer aux clients : dans des domaines aussi divers que l’assurance, la santé, les banques, la fourniture d’eau ou d’énergie, les transports ou la sécurité, les idées ne manquent pas, comme le montrent ces quelques exemples :
- télésurveillance du domicile proposée en complément d’une assurance habitation,
- applications pay how you drive qui ajustent le coût des assurances automobiles au comportement de conduite,
- outils de suivi de la consommation énergétique,
- dispositifs de suivi médical au domicile, pour aider l’utilisateur à atteindre ses objectifs en matière de santé ou déclencher une intervention d’assistance en cas de problème,
- paiement sans contact avec les smartphones,
- etc.
« Pour les entreprises désireuses de proposer de tels services, il est important de ne pas se limiter à leur métier d’origine. Pour offrir le maximum de valeur, la plupart des services nécessitent, en effet, de faire appel à plusieurs métiers différents, au sein d’un écosystème de partenaires », précise Philippe Mallet.
Il faut, par exemple, travailler avec les constructeurs automobiles ou les réseaux de garagistes pour équiper les véhicules de boîtiers pay how you drive, tandis qu’une application dans le domaine de la santé peut impliquer les fabricants de matériel médical, des laboratoires pharmaceutiques, des assureurs et un réseau de soignants capables d’intervenir à domicile…
Des implications pour l’ensemble de l’entreprise
Les projets autour des objets connectés sont souvent présentés sous un angle purement technique. S’il est vrai que les questions liées à la technologie représentent une part non négligeable des enjeux, cela ne doit pas masquer un autre fait essentiel : ces projets ont un impact sur l’ensemble de l’entreprise et ils peuvent modifier la manière dont elle fonctionne.
Les organisations ne doivent pas sous-estimer l’ampleur de la transformation qui peut en découler : plus tôt celle-ci sera prise en compte, plus les projets ont des chances d’aboutir. « Avant même de s’intéresser aux questions techniques, l’entreprise souhaitant se lancer doit ainsi s’interroger sur les services qu’elle souhaite proposer et le choix des données qu’elle souhaite collecter. En effet, sans ces services, les objets connectés n’ont que peu de valeur, aussi bien pour l’organisation que pour le consommateur », assure Philippe Mallet.
Rapidement, se pose aussi la problématique de l’innovation. Dans ce domaine, les entreprises se heurtent fréquemment à un écueil classique : au départ, une multitude d’idées fusent, mais, progressivement, un filtrage se met en place, et celui-ci a souvent pour résultat de ne garder que les idées déjà vues ou éprouvées ailleurs. Pour ne pas se limiter à « calquer » ce qu’ont fait les autres, un changement de culture peut s’avérer nécessaire.
Pour de nombreuses entreprises, il s’agit sans doute de la principale difficulté : en effet, ce n’est pas toujours chose aisée d’identifier les collaborateurs capables d’innover ou les pratiques qui ralentissent le processus d’innovation. « Par ailleurs, certaines de ces pratiques et procédures peuvent avoir été mises en place pour s’assurer de la qualité des services fournis ou des produits fabriqués par l’entreprise, et une remise en cause complète ferait peser plus de risques sur l’organisation », ajoute Philippe Mallet.
Pour savoir quelle orientation donner au projet, une entreprise doit donc commencer par préciser ses objectifs :
- S’agit-il de gagner de nouveaux clients ou de fidéliser les existants en proposant des services à valeur ajoutée ?
- L’entreprise est-elle dans une perspective de réduction des coûts à travers l’automatisation de certains processus ?
- S’agit-il simplement de rattraper un retard ou l’entreprise cherche-t-elle à se différencier de ses concurrents ?
Une fois établies les grandes lignes de la stratégie, en particulier quand l’entreprise souhaite innover, mieux vaut voir large et engager une logique d’expérimentation. En effet, il est difficile de savoir à l’avance quels services vont rencontrer leur marché et générer des revenus. D’un pays à l’autre, un même service peut être accueilli de manière très différente pour des raisons culturelles : en France, par exemple, il existe une certaine réticence face aux objets connectés, liée aux incertitudes sur la manière dont les données collectées seront utilisées. Pour cette raison, tester un éventail de services plutôt qu’un service isolé permet de mieux comprendre lesquels sont les plus prometteurs.
De ces futurs services dépendront également les processus à mettre en place et la manière de les agencer. « Derrière un service donné peuvent intervenir plusieurs acteurs et prestataires. Il faut raisonner non pas sur un service isolé, mais sur un écosystème de services », prévient ainsi Philippe Mallet.
Concrètement, cela signifie qu’un acteur public ou privé qui souhaite proposer un service de télésurveillance médicale a tout intérêt à s’associer à des partenaires capables d’intervenir sur le terrain, afin de pouvoir prêter assistance à l’usager en cas d’urgence.
De la même façon, un assureur automobile proposant des boîtiers connectés pour évaluer les comportements sur la route fournira davantage de valeur à ses clients si ses réseaux de dépanneurs et de garagistes participent activement au projet. Néanmoins, pour proposer de tels services, il faut être à même d’orchestrer les différentes interactions entre partenaires, de manière à éviter toute rupture dans les processus.
A ce stade commencent à émerger les questions d’ordre technique. Sur ce plan, la mise en place d’un projet lié aux objets connectés démarre généralement avec le choix des terminaux, en partie déterminé par le type de données que l’organisation souhaite collecter.
Ce choix implique de vérifier de nombreux paramètres, comme l’autonomie des objets ou la qualité et la fiabilité des données collectées : il serait risqué, par exemple, de mettre en place un service de monitoring médical basé sur la mesure du rythme cardiaque si l’appareil choisi est sensible aux perturbations électriques ou climatiques.
Il faut ensuite déterminer comment les données seront récupérées, sécurisées et exploitées dans les différents services. Beaucoup de ces points concernent l’intégration avec le système d’information de l’entreprise ou celui de ses partenaires. A ce titre, le DSI est un acteur-clé, tout comme le responsable de la sécurité. Ceux-ci doivent être impliqués dès le début des projets, afin de veiller à l’interopérabilité et à la sécurité, deux aspects cruciaux.
Enfin, il convient également de prendre en compte la manière dont les données seront restituées aux utilisateurs, en imaginant des formats agrégés, ergonomiques et simples. L’expérience utilisateur joue en effet un rôle important dans l’adoption du service par les consommateurs, qui plébiscitent souvent les services avec une dimension ludique. Le soin porté à la conception de l’interface peut donc également faire pencher la balance en contribuant au succès d’un service : en témoigne par exemple l’engouement pour les applications Nike+.
Concilier la capacité d’innovation avec l’industrialisation
Dans les projets liés aux objets connectés, deux mondes aux besoins divergents se côtoient. Tout l’enjeu est alors de concilier une logique « Core IT », centrée sur l’industrialisation du cœur de métier avec une logique « Fast IT » basée sur l’innovation et la brièveté des délais de mise sur le marché. Malheureusement, quand il s’agit d’innover, les règles définies pour le « Core IT »» s’apparentent bien souvent à des freins.
Pour résoudre ce dilemme, certaines entreprises ont choisi de déléguer le « Fast IT » à des cellules spécialisées, fonctionnant avec leurs propres règles, par exemple au sein de départements Marketing & Innovation. Néanmoins, une telle option peut s’avérer risquée pour les projets liés aux objets connectés. Dans ceux-ci, on ne peut faire l’impasse sur les sujets d’architecture, sous peine, par exemple, de se retrouver à devoir repenser tout le système de gestion des rôles et les accès aux systèmes.
Il existe pourtant une meilleure façon d’aborder ce challenge : il s’agit de mettre en place des cadres qui prennent en charge les différentes contraintes liées à l’industrialisation, comme la sécurité, l’interopérabilité, la conformité ou l’intégration avec les autres systèmes.
Ces cadres doivent être les moins contraignants possibles, afin que les équipes puissent se concentrer sur l’innovation sans se heurter aux freins préalablement évoqués. Cette approche industrialisée est préférable pour les entreprises désireuses de s’engager dans une transformation numérique durable.
Pour accroître encore les chances de succès de ces projets, il peut également être judicieux de se faire accompagner par un partenaire capable d’accompagner l’innovation et le changement culturel associé.
Projet objets connectés : les cinq points clés
- Ces projets nécessitent de « voir loin » et de tester plusieurs services, ce qui suppose une certaine capacité d’investissement.
- Ces projets reposent fréquemment sur une logique d’agrégation de services, dont certains fournis par des partenaires. L’interopérabilité et la capacité à orchestrer les interactions de manière fluide sont donc essentielles.
- Il ne faut pas faire l’impasse sur les sujets liés à l’architecture d’entreprise. De ceux-ci dépendent la sécurité des données et, de ce fait, la confiance des clients.
- La capacité à innover nécessite une culture adaptée : ces projets peuvent nécessiter un changement culturel dans les entreprises habituées à se comparer au marché.
- Sans une expérience utilisateur bien conçue, un service, même innovant, a peu de chance de trouver son public.