Comment mettre en œuvre un centre de services partagés

La mise en place d’un centre de services partagés concourt à la transformation de la DSI, qui ne met plus des ressources mais des services à la disposition de ses utilisateurs. Les exemples du Groupement des Mousquetaires, de Pôle emploi et de Crédit agricole Corporate & Investment Banking (*).

Le regroupement des activités de services en centres de services partagés (CSP) est une tendance lourde dans les grandes entreprises, notamment pour ce qui concerne les services informatiques. À travers ces centres, où sont délivrés des services partagés entre plusieurs entités internes voire, mais c’est plus rare, avec des partenaires externes, les organisations peuvent agir sur quatre leviers majeurs pour créer de la valeur : la mutualisation des compétences, l’industrialisation des pratiques, la gouvernance et la localisation. Dans le domaine des systèmes d’information, les CSP permettent en particulier de mieux exploiter l’expertise disponible, tout en optimisant le rapport qualité/prix des services fournis. La mise en place de tels centres suppose néanmoins une évolution des relations vers un modèle de type client/fournisseur, l’entreprise et les métiers étant les clients et le centre, qu’il soit interne ou externe, le prestataire de services.

Dans cette optique, le référentiel eSCM (eSourcing Capability Model for Service Providers) peut s’avérer utile. Conçu à l’Université Carnegie Mellon par un consortium dirigé par l’IT Services Qualification Center (ITSqc), il fournit en effet un ensemble de bonnes pratiques adaptables au pilotage du modèle des CSP. À ce titre, il est pertinent aussi bien pour l’entreprise souhaitant mettre en place un CSP que pour les prestataires sollicités pour ce type de projet.

Le référentiel eSCM permet notamment d’apporter des réponses aux grandes questions qui se posent lors de la mise en œuvre de tels centres :

  • Quel périmètre de services proposer ? Quelle organisation et quels processus mettre en place ?
  • Comment fournir un service standardisé ?
  • Quelles compétences garder en interne, quels services externaliser ? Quelle taille doit avoir le CSP ?
  • Quelle gouvernance mettre en place ?
  • Comment mettre en œuvre le CSP ?

« eSCM est un référentiel complet sur toute la chaîne de gestion des fournisseurs, qui couvre même les questions de réversibilité des contrats et permet de bien prendre en compte les risques liés à ce type de projets, souligne Benoît Leboucher, directeur associé de Logica Business Consulting, intervenu sur ce thème lors de la conférence annuelle de l’Ae-SCM, le 19 octobre 2011. Il fournit un vocabulaire clair et partagé, ainsi qu’une grille de référence pour la comparaison avec d’autres CSP. »

Quels services livrer ?

Dans le cadre défini par eSCM, la définition des services à livrer est abordée à travers les pratiques suivantes : collecte des exigences, communication des exigences, rédaction du contrat et conception du service. « Souvent, les problèmes rencontrés par les CSP proviennent d’une incompréhension des besoins, pointe Benoît Leboucher. eSCM permet de se poser les bonnes questions. » Le référentiel fait notamment la distinction entre services (la prestation telle que l’utilise le client) et activités (le travail nécessaire pour fournir les services). Il facilite la définition d’un catalogue de services, en proposant un modèle standard pour décrire ces derniers : objectif et description du service, modalités de demande au CSP, définition des livrables fournis en sortie, macroprocessus lié au service, etc.

Comment procéder ?

Lors de la mise en place d’un CSP, il est essentiel de définir des indicateurs pour piloter la qualité de service, au niveau opérationnel (respect des délais par exemple), tactique (suivi de l’amélioration continue) ou stratégique (respect du planning de livraison du contrat, tenue régulière de comités de pilotage, etc.). Ces indicateurs doivent être alignés sur le tableau de bord de la DSI. Ce sont eux qui permettent d’obtenir un tableau d’ensemble de la performance du centre. Les pratiques d’eSCM portant sur ces aspects sont notamment la définition des objectifs de la prestation, les interactions client/fournisseur, la revue de la performance du prestataire et enfin la conception et le déploiement du service.

La question des compétences

Il est fondamental de bien analyser les compétences requises pour un projet de CSP, notamment pour identifier celles qui peuvent être externalisées, voire délocalisées, et celles qu’il faut impérativement conserver en interne. Dans eSCM, cela implique notamment de prendre en compte pour chaque activité de la DSI les contraintes spécifiques pour le choix d’un fournisseur (langue, localisation, etc.), les critères de choix (réactivité ou flexibilité, interactions avec les métiers, etc.) et enfin le business case. L’objectif est d’identifier activité par activité quel modèle est le mieux adapté.

Quelle gouvernance ?

Dans le référentiel, la gouvernance est abordée à travers cinq pratiques : la gestion des prestataires, la définition des processus de sélection des fournisseurs, les interactions avec les prestataires, la gestion de la performance et la définition des accords de services et indicateurs. Sur chacun de ces aspects, un suivi opérationnel, tactique et stratégique s’impose. « Très souvent, des comités opérationnels prennent des décisions tactiques, constate Benoît Leboucher. De la même façon, on croise des comités stratégiques qui suivent une centaine d’indicateurs. » Il ne faut guère s’étonner que la prise de décisions soit très compliquée dans de tels cas… Le référentiel eSCM aide à repositionner les instances de décision au bon niveau pour éviter ce type de situation.

Faciliter la mise en œuvre

Trois pratiques d’eSCM sont particulièrement importantes pour réussir la mise en œuvre : la préparation du changement, l’implication des parties prenantes et la conduite du changement. Cette dernière est l’un des aspects les plus importants pour réussir la mise en place d’un CSP. En effet, comme le remarque le directeur associé de Logica Business Consulting, « piloter des indicateurs et des contrats peut être difficile pour un chef de projet habitué à un autre mode de fonctionnement ». Il convient donc de former les acteurs clés. Benoît Leboucher déplore un effort souvent insuffisant en la matière, « les entreprises se focalisant sur le choix du prestataire en laissant de côté les membres du centre de services partagés ». Il faut donc prendre soin d’expliquer à tous les acteurs du projet ce qu’ils vont faire et ce qu’ils ont à gagner.

(*) Les éléments de cet article sont issus de la conférence annuelle de l’Ae-SCM du 19 octobre 2011.


Le Groupement des Mousquetaires : un CSP pour maîtriser la stratégie numérique

Le projet du Groupement des Mousquetaires est parti d’un constat : un système d’information orienté client est en train d’émerger en parallèle du SI de gestion traditionnellement confié à la DSI. Que ce soit les logiciels en mode SaaS et leur modèle d’informatique en libre-service, la prolifération des outils personnels ou encore les technologies numériques (sites grand public, applications mobiles, réseaux sociaux) sur lesquelles la DSI s’implique assez peu, toutes ces tendances éloignent les utilisateurs de la DSI et font peser une menace de désintermédiation sur celle-ci. En outre, elles mettent en exergue certaines faiblesses de la DSI : comparaison pas toujours favorable entre les offres internes et celles du marché, faible transparence, gouvernance et dialogue avec les métiers insuffisants, tensions relationnelles sur l’accès aux ressources de la DSI, difficulté à vendre toute la valeur qu’il y a derrière leurs offres, etc. Conséquence de cet état de fait, ce système d’information client est massivement sous-traité : « Ce « SI client » est principalement sous-traité à des prestataires externes et proposé au coup par coup, sans cohérence d’ensemble, aux différentes entités du métier, confirme Hubert Tournier, DOSI adjoint du Groupement des Mousquetaires. Les agences de communication entraînent dans leur sillage tout un écosystème de prestataires : agences Web, hébergeurs, infogérants, éditeurs SaaS… Bien souvent, le « SI client » échappe totalement à la DSI. »

Pour l’entreprise, cela pose un certain nombre de pro­blèmes :

  • pas de maîtrise du sourcing et des coûts associés ;
  • difficulté à avoir une stratégie de présence numérique cohérente et alignée, que ce soit par métier ou par support ;
  • rapport de force en défaveur de l’entreprise, les prestataires étant en relation directe avec les clients internes influençant la stratégie, au détriment parfois de certains aspects importants comme la sécurité ;
  • réactivité bridée.

On le voit, ce nouveau système d’information soulève un certain nombre d’enjeux, sur lesquels les DSI peuvent, et doivent, se positionner. Consciente de cette situation, la DOSI du Groupement des Mousquetaires a décidé de mettre en place un CSP pour gérer tous ces aspects.

D’une certaine façon, la DSI est déjà un centre de services partagés sur certains domaines. Néanmoins, dans celui du numérique, elle n’a pas à elle seule la légitimité et les compétences nécessaires (ergonomes, graphistes, développeurs pour smartphones…) pour offrir les services demandés. Le groupe de distribution a pu le constater lors d’un premier essai qui s’est avéré infructueux. Fort de cette expérience, la DOSI a alors établi un « centre de compétences digitales », conçu comme une sorte de coentreprise avec la direction de la communication. D’autres fonctions de support ont rejoint ultérieurement la structure, dont la direction financière, les services juridiques ou le développement durable. Ainsi unis, ils ont pu reprendre les rênes d’un certain nombre de relations avec leurs fournisseurs, repartant de leurs besoins pour bâtir une stratégie de sourcing adaptée. Les fournisseurs ont été référencés en fonction de ce que le groupe voulait et pouvait faire en interne, et de ce qu’il ne voulait/pouvait pas prendre en charge. Les moyens ont été mutualisés : le centre fonctionne comme un guichet unique, avec un certain nombre de solutions prêtes à l’emploi, pour aller plus vite à moindre coût : QR codes, sites et applications mobiles, sites institutionnels, réseaux sociaux… Autour de ces solutions, le CSP a bâti des services qu’il vend aux clients internes. Le centre est piloté par une entité de gouvernance spécifique, le conseil stratégique du numérique, qui élabore et valide la stratégie, contrôle son exécution et procède aux arbitrages. « Il préfigure peut-être de futures directions des initiatives numériques réarticulées autour des clients et de leurs nouveaux usages », précise Hubert Tournier, DOSI adjoint du Groupement des Mousquetaires.


Pôle emploi : la politique de sourcing, clé pour des CSP véritablement mutualisés

En 2008, quand est annoncée la fusion entre l’ANPE et l’Unédic, les DSI des deux organismes se préparent à un travail de grande ampleur. En effet, les deux systèmes d’information, bien que proches en termes de données, sont constitués d’applications et de socles technologiques différents. Sur un délai très court, il leur faut passer d’une juxtaposition à une fusion et une concentration des moyens, afin de supporter le fonctionnement du nouveau Pôle emploi. Celui-ci totalise près de 45 000 collaborateurs et 950 sites d’accueil. « Avec la fusion, il est devenu nécessaire de refondre les systèmes existants au sein d’une nouvelle trajectoire plus rationnelle devant simplifier les outils mis à disposition des agents », précise Michel Cottura, directeur DCP Placement chez Pôle emploi.

Dès la fusion officialisée, les DSI se réunissent au sein d’une direction générale adjointe des DSI pour travailler sur la refonte du SI et des marchés associés. Dans ce cadre, la DSI de Pôle Emploi constate qu’un certain nombre de fonctions précédemment gérées de manière verticale peuvent être mutualisées. Elle souhaite aussi se recentrer en interne sur des missions à plus forte valeur ajoutée. Pour ces raisons, elle décide de mettre en place un nouveau cadre contractuel avec ses fournisseurs, en déployant des centres de services sur des activités comme la tierce maintenance applicative, la tierce recette applicative ou le support technique. Avec cette démarche, il s’agit d’une part de gagner en industrialisation pour faire des économies, d’autre part de faire évoluer la culture interne en matière d’achats. Cela signifie aussi passer d’un engagement de moyens à un engagement de résultats. Pour répondre à ces exigences, l’idée de centres « partagés » entre plusieurs clients semble la plus adaptée, même si la plupart du temps la demande n’apparaît pas de manière explicite.

Les marchés existants sont répartis en douze lots. Le déploiement des centres est prévu sur une période de quatre ans. Le contenu des activités à couvrir est défini en s’appuyant sur le référentiel eSCM, celui-ci servant également à évaluer les fournisseurs. Des catalogues de services sont mis à la disposition des clients internes. Une structure de pilotage légère et transverse est mise en place, avec un responsable par lot.

Trois scénarios de déploiement sont retenus :

  • les équipes sont regroupées sur un site unique de Pôle emploi et utilisent l’infrastructure de l’organisation, ce qui réserve le CSP aux clients internes ;
  • les équipes sont délocalisées, mais utilisent l’infrastructure du Pôle emploi, ce qui limite là encore le CSP aux clients internes ;
  • Les équipes sont délocalisées et utilisent l’infrastructure du fournisseur, ce qui permet de partager le centre avec des clients externes.

Des douze centres, neuf suivent le scénario n° 1, deux le n° 2 et un seul le n° 3. Chaque centre est spécialisé dans un domaine : fabrication des applications et industrialisation des développements, support et expertise technique, activités de recette et de qualification. Ils interviennent à la demande des clients internes, qui gardent la main sur la conception du SI.

La démarche a rencontré quelques freins, dont les principaux sont d’ordre culturel. Il faut en effet rompre avec les habitudes héritées de l’organisation verticale, où chaque métier gère tous ses moyens de bout en bout. Par ailleurs, la structure retenue pour découper les marchés s’avère quelque peu rigide, au risque de devenir inadaptée : les indicateurs ne sont pas forcément les plus pertinents, les unités d’œuvre sont excessivement détaillées, la prise en compte des nouveaux besoins peut se révéler compliquée…

Au final, le bilan est en demi-teinte. La tentative de passer à des centres réellement partagés n’a pas abouti, pour plusieurs raisons :

  • une standardisation des offres de service insuffisante, avec des activités et des outils encore trop spécifiques ;
  • des règles de sécurité limitant les possibilités de partage avec des clients externes ;
  • un éclatement des lots qui bride les possibilités de mutualisation, d’autant plus que certains marchés sont attribués à des consortiums qui ne mutualisent pas leurs ressources.

Sur la base de cette première expérience, la DGA-SI a décidé d’élaborer une nouvelle politique de sourcing avec un modèle plus souple, capable de s’adapter aux différentes activités à couvrir. Elle souhaite renforcer le catalogue de services et s’oriente désormais vers des CSP par technologie, des CSP sur les services transverses (framework, gestion de configuration…) et un CSP de développement véritablement partagé entre les différentes directions métiers.


Crédit agricole CIB : passer de la culture du « faire » à « faire faire »

Crédit agricole CIB est une banque de financement et d’investissement, filiale du Crédit agricole. Une entité mondiale, Global IT, est chargée de définir les politiques en matière de système d’information. Elle représente plus de 2 600 ETP (équivalents temps plein), dont 35 % en interne. La recherche des fournisseurs est répartie sur deux pôles : la direction des achats et SGC (Sourcing Global Coordination), une cellule projet de six personnes rattachée à l’informatique, chargée de définir le modèle opérationnel pour les centres de services et la politique d’offshore.

Crédit agricole CIB a adopté le modèle des centres de services partagés à l’issue d’une phase d’évolution de sa stratégie de sourcing. L’entreprise a d’abord entrepris de mettre l’accent sur l’offshore, puis en 2010, elle décide de revoir sa politique pour les fournisseurs locaux, poussée par plusieurs facteurs, en particulier la volonté de maîtriser ses coûts et de gagner en efficacité et en flexibilité au niveau global.

Le contexte métier étant soumis à des changements très fréquents, il était impossible d’aboutir à un cahier des charges stable et le modèle au forfait a rapidement été écarté. Le centre de services avait quant à lui le mérite de reposer sur un contrat de prestation très clair : des activités sont confiées à un prestataire, qui met en œuvre les moyens nécessaires pour rendre le service. Il nécessite en revanche un pilotage rigoureux, qui s’appuie sur des livrables cléss comme le plan d’assurance qualité. Le passage aux CSP impose un certain nombre de prérequis : il faut tout d’abord formaliser son expérience, en fournissant la documentation concernant les applications par exemple. Il faut également déléguer aux sous-traitants la capacité à recruter les bons profils, et définir de quelle façon la performance des fournisseurs sera suivie.

Pour sécuriser cette démarche dans le temps, Crédit agricole CIB s’est appuyé sur le référentiel eSCM, aussi bien pour les aspects liés au modèle opérationnel que pour établir le cycle de vie des CSP. Le déploiement des premiers centres a démarré dès l’été 2010. Actuellement, le modèle est en phase de stabilisation, avec quarante-trois centres représentant environ 360 ETP, soit 40 % des effectifs que l’entreprise avait auparavant en assistance technique.

« Le passage d’un modèle où l’on fait à une logique où l’on fait faire a nécessité un accompagnement fort. témoigne Julien Kokocinski, responsable « Purchasing & Supplier Management » de Crédit agricole CIB. L’entreprise est passée d’une mesure subjective à une mesure objective de la performance. » Le modèle des centres de services a également permis d’externaliser les charges administratives et d’augmenter la valeur apportée par les achats à l’IT. Il sert désormais de levier de transformation pour accroître la maturité de l’informatique.

Les cinq freins à la mise en œuvre des centres de services
Difficultés Expression de la difficulté
Une culture du sourcing « assistance technique » bien ancrée en interne
  • Passage d’une logique de « ressource » à une logique de « service »
  • Des donneurs d’ordres qui passent par un seul point d’entrée (Team Leader)
Une maturité faible de la majorité des prestataires
  • Des difficultés à sortir du cadre assistance technique habituel et à faire évoluer les modes de livraison
Une transformation à marche forcée dans un premier temps, impliquant de gérer certains échecs
  • Des périmètres diversement adaptés au modèle centre de services
La nécessité de faire évoluer les pratiques achats
  • Des processus standard à concevoir
  • Des outils à adapter
Une prise en compte de fortes contraintes métiers pouvant ralentir la mise en place d’un centre de services
  • Une « capacité à faire » des centres de services monopolisée par les contraintes opérationnelles
Source : Crédit agricole Corporate & Investment Banking.