Une grande partie du SI d’entreprise est, en théorie, « migrable » dans le cloud. Mais avec quelle approche, quelle méthodologie ? Dans quelle mesure les migrations vers le cloud sont-elles automatisables ? Quels sont les points délicats à surveiller ? Le DSI de Pénélope, les CTO de Bonduelle et de la CCI de Paris ont relaté leurs expériences lors d’une table-ronde organisée pendant le salon Cloud Computing World Expo 2018.
A l’horizon 2020, un tiers des applications des entreprises françaises seront dans le cloud, selon le baromètre 2017 des investissements numériques en France, publié par Accenture. Et, d’après IDC France, 70 % des entreprises se tourneront vers des approches multicloud d’ici à 2020. Un mouvement de fond qui va imposer une migration d’applications et de systèmes existants.
« J’ai migré dans le cloud tout ce que j’ai pu », affirme Didier Pawlak, DSI de Pénélope, entreprise de 250 personnes spécialisée dans les métiers de l’accueil de visiteurs et téléphonique. Le groupe avait historiquement internalisé l’ensemble de ses systèmes d’information (pour le recrutement, la planification des missions des hôtesses et la paie), les applications étant acquises en mode On Premise ou développées en interne. La finance et la paie sont désormais gérées dans le cloud.
Chez Bonduelle, depuis 2012 « la stratégie IT est orientée cloud first », résume Rodolphe Sallio, Chief Technological Officer du groupe agroalimentaire. Une approche qui a été initiée par l’adoption de la messagerie Google G Suite pour les 5 000 boîtes e-mails. « Pour chaque application, nous privilégions le mode SaaS, avec l’objectif de migrer 100 % de l’IT dans le cloud public à un horizon de trois ans, soit une quarantaine d’applications, en cours de migration vers Amazon Web Services », détaille Rodolphe Sallio.
Le cloud contre la sédimentation du SI
Pour Pascal Jacquin, DSI adjoint et CTO de la CCI de Paris Ile-de-France, le cloud est un levier : « Si le système d’information n’évolue pas, il meurt et les métiers sont menacés, la faillite du géant Toys’R’Us en est une illustration. Avec le cloud, nous recherchons des gains financiers, opérationnels et fonctionnels. »
C’est, pour le CTO de la CCI, « d’une part, l’occasion de reprendre la main face à la sédimentation des systèmes d’information et, d’autre part, le moment de revenir vers les métiers et de les accompagner avec de nouvelles fonctionnalités : si les métiers affirment « on a toujours procédé de cette façon », c’est que l’application existante est potentiellement candidate à une migration vers le cloud. »
C’est aussi l’occasion de suivre les roadmaps des éditeurs : « Pour notre application financière, nous avions cinq versions de retard par rapport au rythme proposé par l’éditeur, se mettre à jour en version On Premise nous aurait coûté beaucoup trop cher, par rapport à une migration cloud », se souvient Didier Pawlak, qui estime que les métiers et les DSI trouvent toujours une bonne raison de repousser à plus tard les montées de version, « on se retrouve vite avec trois ou quatre versions de retard. »
Il convient, toutefois, de considérer plusieurs points d’attention. Le premier est de procéder à une cartographie des applications existantes. « Cette analyse doit être fine, en essayant de se reposer les questions fondamentales des métiers : pourquoi ? Comment imaginer les fonctionnalités futures ? Quelle est la stratégie ? », conseille Pascal Jacquin, pour qui « si le métier n’est pas prêt, l’approche cloud ne fonctionnera pas, même si, sur le plan technique, la performance sera là… » Pour Didier Pawlak, l’objectif est de « présenter le cloud aux métiers comme une réelle opportunité. »
Deuxième point de vigilance : travailler de façon collaborative avec les métiers, par exemple dans le cadre d’une approche de Design Thinking. « Les métiers peuvent ainsi réfléchir à ce que veulent leurs clients et quel est leur parcours d’achat », précise Pascal Jacquin : « Il faut requestionner l’entreprise et sa stratégie, cela prend du temps car c’est une évolution autant culturelle que technologique, d’où la nécessité d’élaborer une vision, les systèmes Legacy sont forcément ancrés dans les valeurs de l’organisation. »
Cette approche Design Thinking est également utilisée chez Bonduelle : « Il en résulte des POC, sans Capex et sans risque, si on échoue, cela ne coûte pas cher », souligne Rodolphe Sallio, pour qui « le cloud est un libérateur d’innovation. » Chez Pénélope, des ateliers sont organisés entre la DSI et les métiers, avec des démonstrations d’applications. « Je ne choisirai jamais une application sans l’aval des utilisateurs », assure Didier Pawlak.
Vigilance renforcée sur les éditeurs
Le troisième point d’attention concerne la maîtrise des fournisseurs, qu’ils soient éditeurs, intégrateurs ou hébergeurs. « Les prestataires avancent toujours les bons arguments pour nous rassurer, mais nous ne devons pas être naïfs, il importe de bien comprendre leur business model », prévient Pascal Jacquin. Didier Pawlak estime, pour sa part, que « les éditeurs doivent être surveillés, car leurs actions engagent notre image de marque en interne et en externe. Ainsi, par exemple, un éditeur d’applications de paie ne peut se permettre d’avoir une non-conformité RGPD. » Pour Rodolphe Sallio, « les prestataires auront une certification RGPD, c’est un modèle de responsabilité partagée avec leurs clients et la Security by Design est au cœur de leurs métiers. »
Enfin, « les « tuyaux » doivent être bien dimensionnés, sinon les utilisateurs râlent et il faut évidemment prévoir des ressources réseaux de secours », conseille Didier Pawlak, surtout pour des activités soumises à des pics de saisonnalité. Selon ce dernier, la migration vers le cloud se heurte généralement à deux difficultés. La première concerne les équipes IT.
« Avec le cloud, les administrateurs réseaux perdent la maîtrise des serveurs. Il faut les former aux nouvelles fonctionnalités proposées par le cloud. Le nôtre est devenu chef de projet sur Office 365, il a compris pourquoi nous avions migré et est, depuis, devenu un ardent défenseur du cloud. » La seconde difficulté concerne les utilisateurs, qui doivent s’approprier les applications en mode cloud. Et s’habituer à ne plus avoir systématiquement la DSI comme interlocutrice qui, elle, se décharge d’une grande partie d’une activité chronophage et risquée.
« Avant le cloud, notre application de paie était gérée par la DSI, avec des volumes de 6 à 7 000 bulletins de paie chaque mois, et des utilisateurs peu investis dans le processus. Nous avons migré en six mois et la DSI n’a plus à s’occuper des serveurs ni des tests de performance, qui relèvent désormais de la responsabilité de l’éditeur, en l’occurrence Sage », précise Didier Pawlak.
Cloud : les facteurs clés de succès
- La collaboration de la DSI : 46 %.
- La sélection du bon fournisseur de cloud : 36 %.
- Le partenariat entre le DAF et le DRH : 36 %.
- La création d’équipes transverses : 35 %.
- La sélection du bon intégrateur : 34 %.
- La culture numérique de l’entreprise : 34 %.
- Des processus standardisés et simplifiés : 32 %.
- Le sponsorship au plus haut niveau : 26 %.
- La communication interne sur le projet : 26 %.
- La réduction de la dépendance aux systèmes On Premise : 24 %.
- Des coûts énergétiques compétitifs : 24 %.
Source : Finance and HR : the cloud’s new power partnership, MIT Technology Review, Oracle.
Lien : bit.ly/spot67-9
Les 15 questions à se poser avant de migrer
- Quelles est la sensibilité des données, qu’arriverait-il si elles étaient diffusées, perdues, corrompues ou inutilisables ?
- Quel est le degré d’acceptation par les métiers et les utilisateurs de l’idée de confier tout ou partie du système d’information à un tiers ?
- Quelles sont les justifications principales (réduction de coûts, accélération de la mise à disposition d’applications, diversification des fonctionnalités, allègement de la charge de la DSI…) ?
- Comment redéployer les ressources internes existantes ?
- Quel est le degré de personnalisation dont les métiers ont besoin ?
- L’hébergement des données ailleurs qu’en interne pose-t-il problème ?
- Qu’en est-il de la flexibilité et de la scalabilité de la solution cloud ?
- Comment assurer la sécurité, la conformité et la réversibilité, surtout pour les applications critiques ?
- Que faire des technologies déjà en place ? L’offre cloud est-elle compatible avec l’existant ?
- Les utilisateurs vont-ils gagner en simplicité et en productivité ?
- Les grilles tarifaires sont-elles claires, lisibles et adaptables ?
- Qu’en est-il du support de l’éditeur pendant la migration et la durée du contrat ?
- Dispose-t-on d’une vision complète de l’infrastructure technique et applicative potentiellement concernée ?
- Les contraintes de bande passante et de latence réseau ont-elles été prises en compte ?
- Comment s’assurer de la visibilité sur les performances des applications tout au long du processus de migration et au-delà ?