Comment placer l’expérience utilisateur au cœur de l’IT Service Management

L’expérience client s’est désormais imposée comme le credo des stratégies marketing et commerciales, notamment dans le contexte de transformation digitale. Et si ses principes servaient aussi à améliorer la qualité du support pour les utilisateurs ? Car, finalement, les deux mondes sont très proches…

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se soucier de l’expérience qu’elles proposent à leurs clients, soignant particulièrement l’ergonomie et le design des services qui leur sont destinés. Les analystes d’IDC prévoient qu’en 2018 la moitié des interactions entre les entreprises et leurs clients reposera sur le numérique, au sein de communautés en ligne.

Mais qu’en est-il de l’expérience collaborateur, tout aussi importante que celle des clients ? Dans le domaine du Service Management ces enjeux d’expérience utilisateur deviennent particulièrement sensibles. En tant que consommateurs, les collaborateurs sont habitués à des services souples, réactifs et bien conçus, qui laissent une large place à l’autonomie. En tant que salariés, ils souffrent de plus en plus de la lourdeur et de la complexité des applications internes, qui leur font perdre en temps et en efficacité.

Cette lourdeur est bien souvent un héritage des processus manuels : les formulaires papier sont encore très présents pour les demandes de congés, de fournitures, de matériels bureautiques, de consommables ou les notes de frais. Selon une étude Coleman Parkes Research pour Xerox (1), 46 % des entreprises, au niveau mondial, estiment perdre beaucoup trop de temps à gérer les processus papier, et six entreprises sur dix considèrent que cela a un impact financier significatif.

Plus précisément, cette étude met en exergue le poids des processus papier dans les entreprises : 51 % des formulaires ressources humaines, 47 % des bons de commande et 45 % des approbations d’achat. Ce décalage entre, d’un côté, un univers personnel très numérique et, d’un autre côté, un univers professionnel qui l’est beaucoup moins, crée un sentiment de frustration des collaborateurs et donc de défiance à l’égard des entités chargées de moderniser les processus. Dont la DSI, qui se retrouve en première ligne en tant que garante de l’implémentation de solutions technologiques pertinentes et à l’état de l’art pour combler ce fossé.

Face à cette nouvelle donne, il faut repenser la manière dont les services IT sont conçus et proposés, afin que les DSI et les métiers puissent mieux servir les collaborateurs de l’entreprise : pourquoi ne pas appliquer les mêmes principes que ceux qui permettent de garantit une expérience client réussie ? La DSI doit, pour sa part, s’outiller pour soigner la relation avec ses utilisateurs. Et proposer aux directions métiers les meilleures solutions pour qu’elles aussi intègrent l’expérience utilisateur dans leurs meilleures pratiques.

Les nouvelles exigences des utilisateurs : plus de simplicité !

Le Service Management trouve ses origines dans des référentiels comme Itil, conçus pour industrialiser les pratiques IT et les aligner sur la stratégie de l’entreprise. Dans ce monde « Itil-centric », les outils de Service Managementt étaient avant tout destinés aux équipes de la DSI, afin de les assister dans leurs différentes missions de support et dans la fourniture de services aux métiers. Ceux-ci commencent d’ailleurs à s’approprier les pratiques de Service Management, par exemple en proposant leurs services (formulaires RH, bons de commandes, notes de frais, gestion des temps…) avec la DSI comme fédératrice technologique des services.

Avec l’essor du numérique et les contextes de transformation digitale, ces métiers ont découvert de nouveaux usages et exigent de la DSI des services qui combinent plusieurs caractéristiques : facilité d’utilisation, ergonomie plutôt qu’un foisonnement de listes, onglets et boutons en tous genres, usages en mobilité, fluidité des processus (comme sur les grands sites de e-commerce), catalogue de type App Store.

Les équipes IT doivent intégrer ces éléments sous peine de se retrouver toujours en retrait par rapport à des stratégies d’entreprises qui se focalisent sur l’expérience client. Le décalage de perception entre les DSI et les métiers a toujours existé. Il s’exprime, par exemple, dans les enquêtes de satisfaction réalisées auprès des utilisateurs, ces derniers étant souvent beaucoup plus critiques que les équipes de la DSI vis-à-vis de la qualité du système d’information, des applications métiers, de la réactivité des équipes IT et de la performance du support proposé. Même si les SLA (engagement de services) sont parfaitement respectés, les utilisateurs peuvent avoir une perception plus nuancée, voire très négative, des services que leur fournit la DSI.

Heureusement, on observe que le fossé se resserre depuis quelques années, car les DSI initient des démarches marketing pour se rapprocher des métiers. Ces approches répondent à plusieurs objectifs : améliorer l’image auprès des utilisateurs, communiquer sur les succès des projets, mettre en évidence la création de valeur et, bien sûr, proposer davantage de nouveaux services innovants, dont les portails self-service, très prisés dans le domaine du Service Management. Selon une étude des analystes d’Aberdeen Group (2), l’usage du self-service réduit de 65 % le temps de résolution des incidents, de 60 % les coûts et diminue par trois le nombre d’appels au Help Desk.

Réduire le fossé entre la DSI et les utilisateurs

Si, du côté des clients et de leur expérience en tant que consommateurs, les priorités sont bien claires, il n’en est pas de même pour l’expérience collaborateur. Celle-ci a toujours été caractérisée par l’existence de barrières entre celui qui fournit le service (la DSI et/ou ses sous-traitants) et celui qui le consomme (l’utilisateur du système d’information et/ou le client final).

Ces barrières sont à la fois techniques (manque d’outils répondant aux besoins), organisationnelles (processus inadaptés, trop longs, peu transparents…), ergonomiques (successions d’écrans, de formulaires et de clics de validation, difficultés de navigation dans des listes à rallonge…) et hiérarchiques (mauvaise définition des rôles et des responsabilités). Qu’il s’agisse d’expérience client ou d’expérience collaborateur, tout l’enjeu est de réduire l’énergie et l’effort nécessaires de la part de l’individu lorsqu’il consomme un service.

On peut donc effectuer un parallèle entre, d’un côté, les caractéristiques de l’expérience client et les principes à appliquer pour améliorer l’expérience collaborateur, dans le cadre d’une problématique de Service Management. Pour améliorer l’expérience client, les ingrédients sont connus, surtout pour des contextes B2C, dans lesquels elle est cruciale pour ne pas se laisser distancer par ses concurrents : le consommateur doit ainsi bénéficier d’une approche multicanal, de possibilités d’interagir avec les marques, de la possibilité de pouvoir acheter à n’importe quel moment et en situation de mobilité, avec des processus d’achat fluides, transparents, performants, simples et ergonomiques. Ces attentes en tant que consommateur se retrouvent dès lors que le collaborateur revient dans son entreprise. On peut ainsi dupliquer les principes de l’expérience client à l’expérience collaborateur (Cf. tableau ci-dessous).

Ne rien faire ? Une approche très risquée

Face à ce décalage entre, d’un côté, les avancées dans le domaine de l’expérience client et, d’un autre côté, le retard des entreprises en matière de Service Management (soit parce qu’elles ne sont pas équipées, soit parce que leurs solutions ne sont plus à l’état de l’art, héritées du passé ou incapables de gérer l’hétérogénéité et la mobilité), les DSI peuvent bien sûr choisir de ne rien changer.

Mais cette approche qui consiste à ne pas moderniser son Service Management n’est guère pertinente. Elle combine en effet plusieurs risques :

  • Un risque financier : celui-ci se manifeste sous plusieurs formes. D’abord, lorsque la DSI ne dispose pas d’une vision d’ensemble de sa problématique de Service Management, on assiste souvent à une prolifération d’outils hétérogènes qui offrent des fonctionnalités redondantes. Ensuite, la non prise en compte de l’évolution des usages et des périmètres (par exemple en cas de fusion-acquisition) conduit à agir à chaud, ce qui est toujours synonyme de coûts plus élevés, par rapport à une démarche proactive. Enfin, l’inadéquation des solutions de Service Management avec les besoins des utilisateurs et des métiers conduit au développement du Shadow IT (informatique fantôme), avec lequel les utilisateurs prennent leur destin technologique en main, faute d’accompagnement de la part des équipes IT.
  • Un risque organisationnel : il est lié à la redondance des processus de Service Management, à l’absence de transparence et de fluidité, qui aboutissent à complexifier l’organisation et à faire que le Service Management demeure une boîte noire dont les utilisateurs se détournent.
  • Un risque humain : un Service Management complexe à gérer, à maintenir et à faire évoluer contribue à démotiver les équipes qui s’en occupent. L’entreprise est alors confrontée à un turnover excessif.
  • Un risque personnel : les DSI qui maintiennent en l’état leur environnement de Service Management, accroissant de fait le fossé qui existe entre les équipes IT et les utilisateurs, courent le risque d’être remerciés pour ne pas avoir su prendre en compte l’évolution des besoins et des usages des collaborateurs de l’entreprise. Et, s’ils ne le sont pas rapidement, le risque que l’image de la DSI soit durablement entachée auprès des métiers.

Service management et expérience utilisateur : les indicateurs du ROI

Conjuguer les exigences des utilisateurs et le besoin d’un repositionnement de la DSI, à travers une réinvention du Service Management, conduit à un ROI significatif, voire très élevé, selon l’état de l’existant. Outre la réduction des risques (financiers, organisationnels, humains, personnel), le retour sur investissement d’un Service Management répond aux critères de l’expérience collaborateur. Pour mesurer ce ROI, plusieurs indicateurs de performance sont pertinents. Ils peuvent être regroupés en cinq catégories :

  • Les indicateurs financiers : visibilité budgétaire sur les coûts, avec le mode SaaS, coût total de possession des postes de travail, coût de mise à disposition d’un service/application…
  • Les indicateurs techniques : évolution du taux d’incidents qui remontent aux niveaux 2 et 3, temps de déploiement d’une nouvelle fonctionnalité, taux d’automatisation du processus de Service Management…
  • Les indicateurs de perception : % d’opinions positives dans les enquêtes de satisfaction, taux de connaissance des services proposés…
  • Les indicateurs organisationnels : évolution des ressources humaines dédiées au Service Management, économies de gestion du Shadow IT…
  • Les indicateurs d’adhérence : taux de connexion au portail self-service, évolution des modes de connexion en mode mobilité, répartition des demandes des utilisateurs…

Tous ces indicateurs se traduisent, directement ou indirectement, par une réduction des coûts que l’on peut toujours évaluer et suivre dans le temps avec des modèles simples. En externe, par exemple lorsqu’une partie des services sont externalisés, on peut mesurer les économies sur la facturation, générées par une chute du nombre d’appels au support de niveau 1, grâce à un portail en self-service, des bases de connaissances et des workflows simplifiés qui facilitent l’appropriation par les collaborateurs.

En interne, les réductions de coûts s’appuient sur une variable essentielle et souvent sous-estimée dans les calculs de ROI : le temps. Il est ainsi facile de démontrer que, dans une organisation de plusieurs milliers de collaborateurs, le simple gain de dix minutes par jour procuré par l’accès à un portail en self-service et des workflows raccourcis génère des bénéfices à très court terme.

Par exemple, pour une entreprise de 3 000 collaborateurs qui travaillent sept heures par jour pendant vingt jours par mois, un gain de seulement cinq minutes par jour augmente la productivité de 5 000 heures de travail par mois. Ramené à l’année et valorisé avec le coût salarial moyen pour l’entreprise, la rentabilité peut être énorme. Pour les très grandes organisations, il peut atteindre plusieurs millions d’euros par an. Auxquels s’ajoute un gain en qualité, à la fois pour les collaborateurs (meilleur service) et pour les équipes IT, qui peuvent se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

Les quatre niveaux de maturité du Service Management

Toutes les entreprises ne sont évidemment pas parvenues à un stade de maturité à partir duquel elles rassemblent tous les critères de l’expérience collaborateur en matière de Service Management.

On peut ainsi distinguer quatre positionnements, selon le niveau de maturité des organisations :

  1. Les entreprises qui ont intégré les bonnes pratiques standards, telles qu’elles sont par exemple définies dans le référentiel Itil.
  2. Les entreprises qui ont mis en œuvre une approche IT Service Management structurée, au-delà de l’implémentation d’Itil, avec un outillage logiciel adapté.
  3. Les entreprises qui sont plus avancées en matière de relations avec les utilisateurs, avec un focus sur l’amélioration, la simplification et l’optimisation de la gestion des actifs logiciels.
  4. Les entreprises qui ont aligné leur Service Management sur les critères de l’expérience client pour le repositionner au-delà de la simple « relation » entre un salarié et un service IT.

D’Itil à l’UEM (User Experience Management) : les grandes étapes

203 ITSM
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
  • Gmail

Pour chacune de ces étapes, on peut en dégager les principales caractéristiques (voir tableau ci-dessous).

Les principes pour passer de l’expérience client à l’expérience collaborateur
Caractéristiques de
l’expérience client
dans un contexte B2C
Objectifs Caractéristiques de
l’expérience collaborateur
dans un contexte ITSM
Approche multicanal Acheter depuis n’importe quel terminal Intégration de services et excellence opérationnelle
Interactivité Agir en temps réel Résolution accélérée des questions liées aux services
Collaboration Intégrer les avis d’autres clients, favoriser les interactions entre l’entreprise et ses clients (assistants virtuels…) Traitement de tous les domaines métiers
Mobilité Accompagner les clients en situation de mobilité par un design adapté Gestion des environnements hétérogènes, intégration de toutes les interfaces pour harmoniser l’expérience utilisateur (responsive design)
Utilisation en self-service Encourager l’autonomie du client Catalogue et portail de services, adaptables aux besoins des différents métiers
Fluidité Garantir un processus fluide entre l’achat et la livraison Garantie d’interopérabilité et d’unification des opérations
Flexibilité Adapter les offres en fonction de l’évolution de l’expérience client Intégration des applications via des APIs, pour permettre aux métiers de créer leurs applications de services
Transparence Accompagner le client pendant la transaction Workflow clair et automatisé
Simplicité Réduire le temps de transaction Workflow intuitif et personnalisable pour la création de nouveaux services (Drag & Drop)
Ergonomie Encourager le feedback positif Profils personnalisés pour les utilisateurs, avec des assistants préconfigurés et une interface intuitive familière
Proactivité Anticiper le comportement des consommateurs Analyse prédictive, Business Analytics…
Source : Digitalonomics.

La reconfiguration/modernisation du Service Management ne peut que produire un cercle vertueux : davantage de simplicité, de réductions de coûts, de productivité, d’agilité et d’innovation vont rendre les utilisateurs plus satisfaits, ce qui changera l’image de la DSI dont le positionnement sera amélioré. Les DSI seront incités à innover encore plus, ce qui rendra les utilisateurs et les directions métiers encore plus contents, etc…

L’enjeu, qui est de passer d’une approche basée sur les infrastructures à une fédération de services, représente, pour beaucoup d’entreprises, une véritable rupture. Celle-ci est à la fois culturelle (préparer les équipes et les clients internes), technologique (moderniser les solutions existantes), organisationnelle (reconfigurer les processus pour les rendre plus fluides et plus simples) et stratégique (repositionnement de la DSI comme intégrateur de services et non plus comme une « usine » technologique).

IT Service Management : les différents niveaux de maturité
Niveau de maturité
Service Management
orienté Itil
Service Management
orienté ITSM
Management de la relation utilisateur Management de l’expérience utilisateur
Focus  Infrastructures  Applications Utilisateurs en tant qu’utilisateurs  Utilisateurs en tant que clients
Type de démarche  Réactive  Industrialisée  Proactive  Innovante
Objectif principal  Réduire les coûts  Industrialiser les processus  Optimiser la gestion des actifs logiciels  Améliorer l’expérience client
Mode opératoire privilégié Gestion de tickets  Solution(s) dédiée(s)  Catalogue de services  Modèle des apps stores et des centres de services
Positionnement de la DSI  Gestionnaire d’incidents, de problèmes et de changements  Intégrateur de solutions  Intégrateur de services Partenaire des métiers
Positionnement des métiers  Consommateurs de tickets d’incidents, de problèmes et de changements Générateurs de feedback  Influenceur de la DSI  Fédérateur de services
Principales caractéristiques du Service Management  Help Desk, persistance de processus manuels, mise en œuvre des principaux processus Itil (gestion des incidents, des problèmes, des changements, des configurations, des mises en production…) Solutions logicielles dédiées, tableaux de bord, Service Desk, CMDB, enquêtes de satisfaction, indicateurs de qualité, catalogue de services… Portail self-service, niveaux de services, indicateurs de pilotage (KPI), guichet unique, processus automatisés et agiles de delivery, indicateurs de performance, intégration avec d’autres outils (SAM)…  Approche multicanal, excellence opérationnelle, création de services par les métiers, analyse prédictive, tableaux de bord dynamiques, approche Mobility First, gestion du cycle de vie des services, workflows fluides et transparents…
 Source : Digitalonomics. 

 


(1) Service Management, Coleman Parkes Research, Xerox.
(2) Bring ITSM into the modern age with end-user self-service support, Aberdeen Group, novembre 2015.